CLAMART (92) : cimetière du parc

Visité en août 2011
lundi 20 février 2012
par  Philippe Landru

Le cimetière intercommunal de Clamart accueille depuis les années 50 les sépultures des habitants de Clamart et des communes environnantes de Vanves, Malakoff, Issy-les-Mouineaux, Boulogne-Billancourt et Châtillon. Il est le résultat d’un projet architectural et paysager ambitieux, visant une homogénéité urbaine entre une cité (la Plaine) et son cimetière central (à dimension paysagère), une reconquête du végétal sur le minéral à une époque où tout n’était pas aussi évident.

Les problématiques des cimetières paysagers

Les cimetière traditionnels n’offrent guère que des rangées de tombes serrées, séparées par les allées de circulation, avec très peu de plantations si ce n’est pour renforcer les clôtures. La superficie moyenne est de 5 à 7 m² par tombe, ou 1.5 m² par habitant. Le cimetière paysager est un équipement beaucoup plus vase, sorte de jardin à l’anglaise dans lequel les tombes sont disséminées. La superficie par tombe varie entre 15 et 30 m² et celle par habitant dépasse 3 m².

Alors qu’ils existaient déjà largement dans le monde anglo-saxon, Robert Auzelle a mené une réflexion qui contribua à leur développement en France. L’introduction d’éléments végétaux dans les cimetières constitue une réponse à la tendance actuelle de désocialisation de la mort et des lieux d’inhumation. Cette formule permet d’une part d’intégrer les cimetières au paysage existant, et d’autres part de réserver des espaces verts de proximité pour les habitants. Il s’agit avant tout de réaffirmer la fonction sociale que le cimetière a perdu dès le XIXe siècle, après avoir été clos de murs d’enceinte et exclu du centre-ville. En Île-de-France, la conception paysagère a été essentiellement concrétisée par la création de cimetières intercommunaux, dont la vaste superficie permit de définir un véritable programme d’aménagement.

Le premier de ces cimetières intercommunaux fut justement celui de Clamart, conçu par Robert Auzelle et ouvert en 1956. Sur les 32 hectares, 24 sont réservés aux espaces verts. Si la dimension paysagère est propre au cimetière (tombes isolées dans un paysage végétal), signalons toutefois qu’il existe également ici des linéaires de tombes. Cette dimension n’occupe donc qu’une partie de la nécropole. La végétation est cependant plus présente dans l’ensemble du lieu qu’elle ne l’est dans un cimetière traditionnel.

Traditionnel ou paysager ?

L’inhumation paysagère s’effectue sur une surface en herbe, plus ou moins boisée, où les corps sont généralement ensevelis en pleine-terre, sans caveau. Parfois, seules des plaques encastrées dans le gazon et portant une identité permet de se rappeler que l’on est dans un cimetière. La plupart du temps néanmoins, les tombes sont clairement identifiables et individualisées.

Le progrès de ce modèle s’explique en raison de l’évolution de l’opinion publique sur l’usage du cimetière traditionnel, de moins en moins apprécié, en liaison avec les préoccupations croissantes pour l’environnement, la sensation de trop-plein urbain, ainsi que le recul de l’influence religieuse. Pour autant, il ne faudrait pas croire que les cimetières paysagers recueillent tous les suffrages. Un certain nombre de paramètres expliquent la méfiance, voire le rejet d’une partie de la population (même si celle-ci diminue d’années en années)

- Ce clivage s’inscrit d’abord générationnellement : ce sont les plus âgés et les plus pratiquants qui préfèrent les cimetières traditionnels, où les rites et les pratiques s’inscrivent dans un cadre ancien connu et rassurant, là où la dimension paysagère, par sa nouveauté, sa simplicité, mais également son individualisme et l’absence de dimension collective, désoriente.
- La mentalité latine a du mal à intégrer que l’on puisse marcher sur les "champs des morts". Certains peuvent être gênés par l’absence de caveau et l’inhumation en pleine-terre.
- La difficulté, dans des zones urbaines déjà denses, de trouver de vastes espaces pour l’aménagement d’un cimetière paysager a conduit à édifier ces cimetières dans des périphéries assez lointaines, voire dans des espaces de relégation (Joncherolles), ce qui évidemment est un facteur dépréciatif.
- N’omettons évidemment pas le problème du coût, beaucoup plus important dans le paysager pour des raisons évidentes.


Curiosités



L’ensemble paysager de Clamart est très moderne bien qu’il soit plus que cinquantenaire. Tout en rondeur et en harmonie, respectueux du milieu et des hommes, mais établi également selon des normes de bon-sens qui manquent cruellement à la législation funéraire, il représente en bien des points ce que devrait être le cimetière moderne en France.

- Le porche d’entrée est éclairé la nuit par des diodes électroluminescentes au sol qui soulignent les ornementations voulues par Auzelle : pointes de diamant, lanterneaux en cuivre, plaques de marbre translucides composant le portail...

- Un parcours forestier est signalé par des bornes qui indiquent le nom des arbres et des plantes.

- A l’entrée de chaque division est schématisé l’emplacement numéroté des tombes, bien pratique pour les néophytes des cimetières.

- Au milieu du cimetière se trouve depuis 2003 un "Jardin des Ephémères", petit carré fleuri où les parents peuvent venir disperser les cendres de leur enfant mort-né. Au milieu trône une stèle de l’artiste Luc Talarn. Il n’existe que trois jardins de ce type en France. La création de ce jardin répond à une demande de l’hôpital Béclère, mais il n’est pas réservé aux enfants mort-nés là-bas. En outre, puisqu’il s’agit de dispersion de cendres et non d’inhumation, le lieu est ouvert à tous et pas seulement aux habitants des villes membres du syndicat.

- Dans une partie du cimetière, des divisions sont établies sur un plan étoilé : les branches orientées vers le sud-est ont été réservées aux populations musulmanes.

- Il y a très peu d’oeuvres d’art (buste, médaillon...) dans le cimetière, et il vrai qu’il existe un cahier des charges en terme d’ornementations possibles. Cela n’empêche néanmoins pas la très grande diversité des tombes, de la déco feng shui la plus harmonieuse au mauvais goût le plus assumé. L’inspiration orientale "zen" est flagrante sur nombre de compositions.

- La tombe du jeune pilote de chasse Marc de Jaeger, mort en 1972 à 19 ans, se signale par la présence d’une stèle en bronze (petit médaillon) rappelant par sa forme une hélice d’avion.

- En 2010 fut tourné dans ce cimetière le film Et si on vivait tous ensemble ? a la distribution étonnante (Claude Rich, Gérarldine Chaplin, Jane Fonda, Jean Richard, Guy Bedos, Daniel Bruhl...). Jane Fonda y organise d’ailleurs ses funérailles et s’y fait inhumer.


Célébrités : les incontournables...


Aucune

L’espace des concepteurs

En face de l’entrée principale se dessine une vaste pelouse dominée par une sculpture massive en béton : oeuvre de Maurice Calka, elle représente les signes du zodiaque dans plusieurs cultures différentes (occidentale, chinoise...).

A proximité de cette oeuvre se trouvent les trois tombes des trois concepteurs du cimetière :

- Robert AUZELLE (1913-1983) vient faire mentir l’adage que "Nul n’est prophète en son pays" puisque l’auteur du cimetière repose à une place d’honneur au centre de sa création. Cet architecte remarqué dès son jeune âge appartint à la génération qui oeuvra dans l’immédiate après-guerre, et qui, dans son cas, estimait que l’école ne leur avait pas apporté la formation nécessaire pour aborder les questions d’urbanisme qu’il jugeait fondamentales. L’axiome de base de sa méthode consistait à répéter que l’architecte-urbaniste n’était pas un " deus ex machina ", qu’il n’était pas omniscient. Il était absolument nécessaire qu’il s’appuie sur des savoirs autres que ceux strictement architecturaux. "Dès 1945, à 32 ans, Robert Auzelle fut nommé professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris. Fondateurs, avec André Gutton, du Séminaire Tony Garnier en 1961, convaincus de la nécessité d’une formation axée sur la pratique, il proposa des programmes ancrés dans le réel visant à simuler les conditions que devaient rencontrer les futurs urbanistes dans l’exercice de leur métier.

Robert Auzelle entreprit de publier à partir de 1947, une Encyclopédie de l’Urbanisme avec Ivan Jankovic. Chargé de mission en Bretagne en 1945, il anima et conseilla les architectes et élus locaux pour l’établissement des plans de reconstruction et d’aménagement des villes ravagées par la guerre. Urbaniste et architecte, son plan pour Neufchâtel-en-Bray jeta les bases d’un plan type de la reconstruction : les bâtiments publics sont regroupés autour d’une place plantée et paysagée. La réalisation du quartier de la Plaine à Clamart (1947-1953) fut la plus éloquente contre-proposition à la politique des grands ensembles. Il intervint dans le plan de la Défense, travailla sur de nombreux plans d’urbanisme notamment ceux de Papeete (Océanie) et de Porto (Portugal, 1951-1956). On le sait, il se préoccupa de l’aménagement des cimetières. Mais Robert Auzelle a fait de l’habitat des morts un objet de méditation qui l’a occupé sa vie durant. Il a beaucoup contribué à introduire en France la notion et la pratique du cimetière paysager. On lui doit, notamment, les trois grands cimetière intercommunaux de Clamart (1951), de Valenton (1971-1973), et de Villetanneuse (1972-1976), en Ile-de-France. Robert Auzelle a été président de l’Académie d’Architecture de 1976 à sa mort. Il fut en outre l’auteur de Dernières demeures, une somme sur les cimetières encore intéressante de nos jours.

Sa sépulture se présente sous la forme d’un espace circulaire de facture moderne, destinée à être évolutif en fonction de l’avancée de la végétation mais également du rythme des saisons.

- Ivan JANKOVIC, architecte et urbaniste, qui le seconda dans son travail et qui fut, comme nous l’avons dit, le coauteur de l’Encyclopédie de l’Urbanisme. Il repose sous un tombe totalement anonyme : on croirait un simple banc envahit par le lierre et la végétation.

- Raymond LESAGE (1894-1982) : si ce cimetière fut conçu par Robert Auzelle, il fut en revanche l’entrepreneur qui le réalisa.


... mais aussi


Hardiesse de la structure, dimension paysagère : le lieu ne pouvait qu’attirer particulièrement les architectes, qui sont surreprésentés dans ce lieu.

- Jean BAZAINE (1904-2001). Peintre non figuratif qui pourfendait l’art abstrait, il fut une figure majeure de la nouvelle École de Paris et de la peinture d’avant-garde française du XXe siècle. Sa peinture — non figurative — est un humanisme, une abstraction qui tend vers la couleur, l’atemporel et l’épure [1].

- L’architecte Marcel CHENIVESSE (1906-1996).

- La comédienne Laure PAILLETTE (Laure Lapaille : 1896-1968).

- L’architecte Henry POTTIER (1912-2000), ancien Grand Prix de Rome, qui participa après la Seconde Guerre mondiale à la reconstruction de Vernon, sa ville natale, et à celle d’Évreux (cité administrative et préfecture). Il fut très actif dans la région parisienne, et on lui doit en particulier l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, la tour UAP à La Défense, l’hôpital de Val-de -Grâce à Paris, l’auditorium Maurice-Ravel de Lyon et le stade Louis II à Monaco. En 1959, un projet d’urbanisme de vaste envergure lui fut confié en collaboration avec Raymond Lopez : l’aménagement du front de Seine à Paris dans le XVe arrondissement. Ce projet, qui s’inspirait des principes défendus par la Charte d’Athènes (superposition des trois fonctions : circuler, travailler, habiter), fut controversé.

-  Le compagnon de la Libération Robert SAUNAL (1920-2008) : En mai 1940, bien qu’admissible à l’École normale supérieure, à l’École polytechnique et aux Ponts et Chaussées, il renonça aux épreuves orales d’admission suite à l’avance allemande, et rejoignit les Forces françaises libres.
Au sein de la Brigade Koenig, il participa à la campagne de Libye de 1942, à la bataille de Tobrouk, puis fut grièvement blessé à la bataille de Bir Hakeim. Fait prisonnier, emmené en captivité en Italie, il s’échappa du camp de prisonniers, traversa les lignes allemandes et parvint à rejoindre les troupes alliées. Il participa à la campagne d’Italie et à celle de France. Il reprit ses études après la guerre et devint ingénieur.

- Jean TEILLET (1866-1977), qui fut l’un des premiers supercentenaire français. Décédé à l’âge de 110 ans et 131 jours, il aurait été l’homme le plus âgé de la planète à son décès. Sa tombe ne se trouve pas dans la partie paysagère du cimetière.


Sources : Pernet J. et Tabeaud M., "Les cimetières paysagers" in Tabeaud M. (Dir.), "La mort en Ile-de-France", Publication de la Sorbonne, 2001.


[1(EG6 allée 2 tombe 6)


Commentaires

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CLAMART (92) : cimetière du parc
samedi 25 février 2023 à 17h05 - par  cp

Catherine de Seynes (1930-2012). On pouvait s’attendre à trouver ce nom sur la stèle de Jean Bazaine, dont elle était la veuve. Comédienne, surtout de théâtre, avec un peu de télé et de cinéma, elle est morte à Bénodet, et un hommage lui fut rendu au cimetière de Penmarc’h. Où elle doit reposer. Sous une forme ou une autre...

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vendredi 10 mai 2019 à 14h34 - par  cp

Enlevons-nous de l’oeil cette poutre qui nous empêche de voir, et mettons un terme à cette angoisse de l’incertitude, Laure Lapaille est bien là, mais dans l’ossuaire... C’est dur, je sais.

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CLAMART (92) : cimetière du parc
vendredi 13 janvier 2017 à 12h10 - par  Douay

Bonjour,

Je suis à la recherche d’une tombe dans ce cimetière : M. Debeugny Jacques Marcel, gardien de la paix, faisant partie des FFI, voir en bas de page : http://liberation-de-paris.gilles-primout.fr/le-tapis-vert-a-clamart
Né le 13/4/1914 à Barleux (Somme) , dcd le 4/4/1916 à Clamart des suites de ses blessures.

Si vous avez une piste ou non. Je vous remercie de votre réponse.

Cordialement

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CLAMART (92) : cimetière du parc
lundi 11 mars 2013 à 19h29 - par  Bruno

Bonsoir ...

Janet WOOLACOTT (épouse Dominique PERRIER) serait également inhumée dans ce cimetière.


Elle fut la seule et unique épouse de Claude FRANCOIS avant qu’elle ne se mette en ménage avec Gilbert BECAUD qui lui donna une fille.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Janet_Woollacott

Meilleurs sentiments,

Bruno MICOLINO

Site web : wikipediia

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samedi 29 octobre 2022

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vendredi 14 février 2014

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