Les Reclus : géographie, anarchie, chirurgie

samedi 25 juin 2022
par  Philippe Landru

La famille Reclus est originaire de Sainte-Foy-la-Grande en Gironde, où le nom est déjà attesté dès 1260 en la personne d’un Jacques Reclus échevin. Au début du XIXe siècle, la famille Reclus est installée au Fleix en Dordogne, sur la rive droite de la rivière de Dordogne, à quelques kilomètres de Sainte-Foy-la-Grande située sur la rive gauche.

Issue de ce pays de Réforme, plus tout à fait Dordogne et pas encore vraiment Entre-deux-Mers, la descendance d’un couple, le cultivateur Jean-Louis Reclus (1760-1848) et son épouse Jeanne Virolle (1767-1819), va donner un grand nombre de personnalités, particulièrement dans les domaines de la géographie et de l’enseignement. Ils eurent trois enfants en particulier sur lesquels on s’attardera :
- Jean Reclus (1794-1859), inspecteur des écoles en Gironde, qui épousa Jeanne Ducos (j’ignore où ils reposent) (branche A). Ils furent les parents de Marie-Pauline Reclus (1838-1925), plus connue sous son nom d’épouse de Pauline KERGOMARD
- Jacques Reclus (1796-1882) (branche B)
- Marie-Jeanne (1798-1877), qui épousa Jean-Daniel Ducos (branche C)


La branche A


Jean Reclus x Ducos eurent plusieurs enfants, dont :
- Noémie Reclus, qui épousa son cousin-germain Elysée (voir plus bas)
- Marie-Pauline Reclus (1838-1925), plus connue sous le nom de Pauline KERGOMARD du fait de son union avec le poète et journaliste républicain Jules François Duplessis-Kergomard, qui fut en particulier chargé de suivre la campagne de Garibaldi pour le journal Le Siècle [1]. Elle passa deux ans de sa vie adolescente chez son oncle, le pasteur Jacques Reclus, et sa tante qui tenait une école. Elle fut marquée par la pédagogie mise en œuvre dans cette école, sans programme et sans emploi du temps. Devenue institutrice, elle fut à l’origine de la transformation des salles d’asile, établissements à vocation essentiellement sociale, en écoles maternelles, formant la base du système scolaire. Elle introduisit le jeu, qu’elle considérait comme pédagogique, et les activités artistiques et sportives. Elle prôna une initiation à la lecture, à l’écriture et au calcul, avant 5 ans. Elle fut nommé par Jules Ferry inspectrice générale des écoles maternelles, poste qu’elle occupa jusqu’en 1917, multipliant les visites d’inspection dans toute la France, faisant acter par les programmes que le jeu est le premier travail du jeune enfant, et réclamant un mobilier adapté à leur taille, précédant ainsi Maria Montessori. De ce fait, de nombreuses écoles maternelles françaises portent son nom.

Elle repose dans la 57ème division du cimetière parisien de Bagneux. Dans ce caveau se trouvent également ses deux fils, Joseph Duplessis-Kergomard (1866-1946), qui fut géographe, et Jean Duplessis-Kergomard (1870-1954). Ils avaient tous les deux épousé deux sœurs (Steeg), dont le frère Théodore fut un éphémère président du Conseil en 1930. Elles ne reposent pas dans cette tombe [2].


La branche C


Marie-Jeanne Reclus x Ducos eurent une fille, Louise, qui épousa le géographe prussien Ferdinand Schrader (j’ignore où ils reposent). Ce couple eut plusieurs enfants dont Franz SCHRADER (Jean-Daniel François Schrader : 1844-1924). Géographe, alpiniste, cartographe et peintre paysagiste, il fut un des grands pyrénéistes qui contribuèrent à la connaissance et à la cartographie des Pyrénées. Sa dépouille fut transférée dans un tombeau sur un flanc du cirque de Gavarnie (65). Le monument sépulcral fut construit par l’architecte Maussier-Dandelot de Pau, et est orné d’un bas-relief en bronze par Gaston Leroux.


La branche B : la descendance de Jacques Reclus et Marguerite Zéline Trigant


La plupart des personnalités de cette famille descend de cette branche.

Jacques RECLUS (1796-1882) fut bibliothécaire du duc Élie Decazes, ministre du roi Louis XVIII. En 1819, il entreprit des études de théologie à la Faculté de théologie protestante de Montauban puis fut consacré pasteur à Nîmes en 1821. Il exerça son ministère successivement à La Roche-Chalais, où il se maria, puis à Montcaret. Il devint professeur au collège protestant de Sainte-Foy-la-Grande, mais il démissionna de ses fonctions en 1831 et assura la direction d’une communauté évangélique libre à Castétarbe (Orthez).
Avec son épouse, il eut quinze enfants [3], dont cinq fils, qui suivent.

Jacques Reclus fut inhumé au cimetière Guanille d’Orthez (64)


Les enfants de Jacques Reclus


1. Suzie RECLUS (Jeanne Suzanne Reclus : 1824-1844). Morte à 20 ans à Sainte-Foy-la-Grande (33)

2. Elie RECLUS (Jean-Pierre Michel Reclus : 1827-1904). Journaliste, écrivain, ethnologue et militant anarchiste, il fut proscrit avec son frère Elisée, lors du coup d’Etat de 1851 et devint précepteur en Irlande jusqu’à son amnistie où il put rentrer en France. Il fut le porte-voix des ethnies minoritaires et a beaucoup écrit en faveur de ce qu’on appelait alors les « peuples sauvages ». Il fut, sous la Commune de Paris, directeur de la Bibliothèque nationale qu’il sauva du désastre. Il fut à nouveau condamné par contumace et s’enfuit en Suisse. Il rejoignit son frère Élisée à Ixelles, en Belgique, où il collabora à l’Université nouvelle de Bruxelles en occupant la chaire de mythologie comparée. Il mourut des suites d’une grippe infectieuse. Ses restes furent enterrés, avec ceux d’Élisée, au cimetière d’Ixelles.

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Tombe des frères Reclus à Ixelles.
Il semble qu’en réalité, ils aient été tous les deux inhumés dans une fosse commune du cimetière, selon leur volonté. Ultérieurement, cette plaque avec leur identité signala leur présence à cet endroit. Ils ne figurent pas, malgré leur importance, dans les listes et autres guides des célébrités des cimetières.

3. Elise Reclus (1829) : morte à 6 jours à Sainte-Foy-la-Grande (33).

4. Elisée RECLUS (1830-1905) : géographe, communard, théoricien anarchiste, il fut un pédagogue et un écrivain prolifique. Membre de la Première Internationale, il créa en 1894 à Bruxelles l’Université nouvelle. Citoyen du monde avant l’heure, précurseur de la géographie sociale, de la géopolitique, de la géohistoire et de l’écologie, il était également végétarien, naturiste, partisan de l’union libre et espérantiste. Ses ouvrages majeurs sont La Terre en 2 volumes, sa Géographie universelle en 19 volumes. Il avait épousé sa cousine-germaine Noémie Reclus, qui repose avec lui et Elie au cimetière d’Ixelles. Conformément à ses dernières volontés, aucune cérémonie n’eut lieu : seul son neveu Paul Reclus suivit le cercueil. Tombe des frères Reclus à Ixelles.

5. Suzanne Reclus (1831-1831)

6. Jeanne-Marie Loïs Reclus (1832-1917). Morte à La Roche-Chalais (24)

7. Anne-Marie Reclus (1834-1918). Morte à Nîmes (30).

8. Zéline Reclus (1836-1911). Morte à Saint-Laurent-des-Combes (33). Elle épousa Pierre Faure avec lequel elle eut une descendance.

9. Onésime RECLUS (1837-1916) : engagé dans l’armée, sa santé l’obligea à renoncer au métier des armes, et il entra en 1860 à la maison Hachette. Pendant dix ans, il mena une existence laborieuse, entrecoupée de voyages à travers la France pour les Guides Joanne. Il publia un Dictionnaire des communes de la Suisse. En 1869, il fit paraître une Géographie, qui connut le succès public, grâce à son style, à la formule nouvelle de la présentation, à ses qualités scientifiques et descriptives. Durant la guerre franco-prussienne de 1870, il servit au corps des francs-tireurs béarnais, aux côtés de son frère Paul, médecin-major. Engagé dans la Commune de Paris, il s’expatria après son écrasement. Il est connu pour avoir créer le terme de « francophonie ». Il se fit le chantre de l’expansion coloniale française. Il repose avec son épouse dans la 95ème division du Père Lachaise à Paris, sous une tombe dont on peine à lire l’identité.

10. Grace Louise Reclus (1839-1917). Elle fut institutrice en Irlande mais ses frères, Elie et Elisée la rappelèrent, en 1863, pour s’occuper des petits enfants de Michelet dont la fille venait de mourir. Le gendre de Michelet, Alfred Dumesnil [4], était un ami d’Elie et d’Elisée qui passaient souvent des vacances dans son château de Vascœuil. Louise l’épousa en 1871, mais ne fut pas heureuse. Elle mourut à Vémars (95).

11. Noémie Reclus (1841-1915). Morte à Domme (24).

12. Armand RECLUS (1843-1927) : ingénieur naval, officier de marine et géographe, il explora la zone du Darien en Amérique centrale et fut l’un des pères du projet du canal de Panama. Il fut enterré dans le petit cimetière familial de son épouse, en bordure d’une parcelle de vignes, au lieu-dit Jarnac dans la commune d’Eynesse (33).

13. Anne Reclus (1844-1851) : morte à Sainte-Foy-la-Grande (33).

14. Johanna Reclus (1845-1937). Morte en Belgique.

15. Paul RECLUS (1847-1914) : médecin, membre de l’Académie de médecine, il fut professeur à la Faculté de médecine de Paris et chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu. Il reste connu pour sa description d’une mastopathie kystique diffuse en 1883, appelée également maladie de Reclus., ainsi qu’à une pommade antiseptique qu’il mit au point et à laquelle il donna son nom. Il fut l’inventeur de l’anesthésie locale par la cocaïne et de l’application de la teinture d’iode fraîche sur les plaies. Anarchiste franc-maçon, il fut maire du village d’Orion (64), et c’est dans le petit cimetière familial de son épouse de cette commune qu’il repose.


Les générations suivantes


- Descendance d’Elie Reclus (2)
Son fils Paul RECLUS (1858-1941) fut un militant anarchiste partisan du communisme libertaire. En 1871, après l’écrasement de la Commune de Paris, il se cache un temps avant de rejoindre la Suisse avec ses parents. Intellectuel brillant, il fut ingénieur. En 1903, à la demande d’Élisée Reclus, il s’établit en Belgique : il lui succéda comme directeur de l’Institut géographique de l’Université nouvelle de Bruxelles. Lors de la Première Guerre mondiale, il fut l’un des signataires du Manifeste des seize rassemblant les libertaires partisans de l’Union sacrée face à l’Allemagne. Après la Révolution sociale espagnole de 1936, il participe à l’association Solidarité internationale antifasciste (SIA). Il mourut à Montpellier (34) mais j’ignore où il repose.

- Descendance de Zéline Reclus et Paul Faure (8)

Parmi leurs enfants, deux se firent connaître :

- Jean-Louis FAURE (1863-1944) : chirurgien, assistant de son oncle Paul Reclus à l’hôpital de la Pitié, membre de l’Académie de médecine en 1924 et président de la Société de chirurgie en 1925, il se fit connaître pour avoir rénové les méthodes d’intervention de la chirurgie gynécologique. Il repose dans la 19ème division du Père Lachaise de Paris. Dans le même caveau repose sa fille Denise (+1994) et l’époux de celle-ci, Jean LABUSQUIÈRE (1895-1941), qui fut couturier, collaborateur de Paul Poiret puis directeur à la Maison de haute couture Lanvin. Pendant la guerre, il devint chef du cabinet civil du général Charles Huntziger : c’est en rentrant d’Alger à Vichy, au terme d’une mission d’inspection en Afrique du Nord, qu’il trouva la mort lors du crash de leur avion.

Signalons que le fils de Jean Labusquière et Denise Faure, René LABUSQUIÈRE (1919-1977), fut médecin militaire, pionnier de la médecine préventive et rurale dans la lutte contre les maladies tropicales endémiques en Afrique centrale et occidentale francophone. Il fut le premier secrétaire général de l’Organisation de coordination et de coopération pour la lutte contre les grandes endémies en Afrique Centrale (OCEAC). Il repose au cimetière de Saint-Laurent-des-Combes (33), où reposent d’autres membres de la famille Reclus.

- Elie FAURE (1873-1937) : bien que médecin, c’est dans un autre domaine qu’il laissa son nom. Passionné de peinture, il publia des articles consacrés à l’art dans L’Aurore. Il se passionna pour Paul Cézanne et surtout pour Diego Vélasquez, auquel il consacra son premier ouvrage. Entre 1905 et 1909, il tint une série de conférences sur l’histoire de l’art à l’université populaire La Fraternelle du 3e arrondissement de Paris et en tira le contenu de son principal ouvrage, une Histoire de l’art, publiée à partir de 1909. Dans un style très lyrique, cette œuvre monumentale, plusieurs fois remaniée, retrace l’évolution de l’architecture, de la sculpture, de la peinture et des arts domestiques de la préhistoire au début du XXe siècle, mais en occultant l’art académique de la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’engagea également dans les combats de son temps : pro dreyfusard, antifasciste en faveur des républicains espagnols. Il est enterré dans le cimetière familial du village des Laurents à Saint-Antoine-de-Breuilh (Dordogne).

Elie Faure eut également deux fils :

- François FAURE (1897-1982) : après s’être battu durant les deux Guerres mondiales, il entra dans la Résistance en 1941, fournissant faux papiers et renseignements militaires, et devint un membre important de la résistance intérieure. Il rencontra les cadres du Parti communiste clandestin qui lui confièrent la mission de proposer au général de Gaulle la collaboration des communistes, préparant ainsi l’union des réseaux de résistance. Arrêté à Paris par le contre-espionnage allemand, il fut détenu à Fresnes puis transféré au camp de Natzweiler-Struthof, en Alsace, comme déporté « NN », mais dont il revint. Il fut fait Compagnon de la Libération. Décédé à Fleury-Mérogis, j’ignore où il repose. Il eut un fils sculpteur, Jean-Louis FAURE (1931-2022), dont j’ignore également le lieu de la dernière demeure.

- Paul FAURE (1900-1991) : Ingénieur agronome et entrepreneur, il fut le co-fondateur du quotidien « Alger républicain ». Il mourut à Royan (17) mais j’ignore où il repose. Sa fille Hélène épousa le chanteur Hugues Auffray.


Tombe Paul Reclus : JP Remiche


[1Ce dernier mourut à Morlaix (29) en 1901 : j’ignore où il repose (sans doute Morlaix). Dans tous les cas, il ne repose pas avec son épouse.

[2Lucienne Steeg, épouse de Joseph, repose au cimetière de Bourg-Dun (76).

[3Selon les sources, on passe de 13 à 16 enfants !

[4Il repose dans le parc du château de Vascœuil (27), sans sa seconde épouse.


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