Les Nicolas : étape obligée avant de se rendre à un dîner

mercredi 15 novembre 2023
par  Philippe Landru

Il y a 35 ans, je me souviens des visites qu’organisaient Vincent de Langlade au Père Lachaise et dans lesquelles il présentait crânement, en bordure de la 54ème division, la sépulture de la famille Nicolas, créatrice des boutiques éponymes, « dont il avait été le premier à trouver la tombe ». Il ajoutait d’ailleurs que la graphie particulière du nom avait été reproduit sur le tombeau. Séduisant, mais complétement faux : Langlade fut un jalon important de la découverte des cimetières, mais il disait - et écrivait - beaucoup de sottises pour séduire son auditoire [1] ! A sa décharge, précisons qu’il ne pouvait disposer à son époque des sources dont nous disposons aujourd’hui.

Nicolas : un caviste que tous les Français connaissent, même les non alcoolisés !

En 1822 ouvrit au 53 rue Sainte-Anne (Paris 2) la première boutique Nicolas. A l’époque, le vin se vend uniquement en tonneaux, stockés dans des chais. On le boit dans les cabarets mais rarement à la maison dans la mesure où sa conservation est difficile. Innovation de la maison Nicolas : vendre le vin en bouteilles ! Cette nouveauté, qui nous semble relever aujourd’hui de l’évidence, est une véritable révolution. Autre nouveauté : dès 1840, Nicolas livre le vin à domicile, et ses voitures à cheval sillonnent la capitale (qui deviennent plus tard camions et triporteurs). A la fin des années 70, une trentaine de boutiques existent dans Paris.

Quid du fondateur de la boutique ? Il ne peut s’agir de Louis Nicolas contrairement à ce que médiatise l’entreprise : Etienne-Louis NICOLAS est né à Tarascon le 03 août 1829 ; il ne peut donc fonder une boutique 7 ans avant sa naissance ! Il est le fils d’un receveur Principal des Douanes domicilié à Tarascon, Jean-Baptiste Nicolas, né en 1790, pour lequel Internet est bien avare en renseignements. Dès lors, deux solutions : la première est que la création de l’entreprise ait été faite à la génération précédente, ce qui est peu probable : rien ne rattache Jean-Baptiste à Paris, et aucune source ne l’indique comme le créateur de la Maison. La seconde, la plus probable, est qu’elle ait été fondé par un autre (ou plusieurs) créateur(s), qu’à un moment il y eut mutualisation de plusieurs cavistes, et que Louis Nicolas récupéra l’ensemble auquel il donna son propre nom.

Il épousa en 1855 Marie-Mathilde Durouchoux [2]. L’entreprise s’installa à Charenton sur le quai de Bercy au port aux lions en 1878 puis acheta un terrain de 5 hectares dans le quartier des Carrières à l’est de la rue Valmy où elle établit son siège social. Il décéda le 17 janvier 1906 : après une cérémonie à Saint-Roch [3], il fut inhumé au cimetière Montparnasse, dans la 18ème division [4], comme l’atteste le registre d’arrivée du cimetière.
Il faut le savoir... et l’avoir bien cherché ! Il repose avec son épouse en bordure de division, à coté d’un petit bâtiment dévolu aux équipes techniques du cimetière, dans une chapelle « Thomas-Botevy », où reposent également plusieurs de leurs filles et une partie de la descendance de l’une d’entre-elles.

En 1895, il avait confié les destinées de l’entreprise à son fils, alors âgé de 25 ans : Etienne NICOLAS (1870-1960). Ce dernier dirigea d’une main de fer l’entreprise jusqu’en 1958, la faisant passer de 40 boutiques à son arrivée à 400 dans toute la France lors de sa retraite. Après la Première Guerre mondiale, il confia la décoration de ses boutiques à l’architecte Pierre Patout qui créa une ligne homogène qui perdure toujours de nos jours. Les boutiques ouvrirent dans toute l’Ile-de-France.

En 1922, pour le centenaire de la maison, Etienne Nicolas confia au dessinateur Dransy (Jules isnard) le soin de créer une mascotte : c’est ainsi que naquit Nectar, livreur de vin moustachu armé de seize bouteilles dans chaque main, l’air légèrement halluciné et éméché et les pieds en canard, qui s’afficha non seulement partout dans la capitale, mais qui fut avec le temps décliné sous toutes les formes, dont le dessin animé, mais également dans tous les styles (art Déco, cubisme, futurisme...).

On dit que c’est un vrai livreur de la maison Nicolas, nommé Le Paven [5], qui servit de modèle. La mascotte fut peinte par les plus grands, tels Jean de Brunhoff, Cassandre ou Dufy ! Un fils (Glouglou) lui fut même créé par la suite...
Preuve de la popularité du personnage : en 1939, la 107ème section de munitions d’artillerie du 7ème corps d’armée le choisit comme insigne ; les traditionnelles bouteilles de vin étant remplacées par des obus !

Etienne se retira en 1958, et décéda en 1960. Signe de réussite, ce n’est pas à Montparnasse mais au très bourgeois cimetière de Passy qu’il fut inhumé.

Le registre indique la localisation de la sépulture : 10ème division, chemin du milieu, n°10 Nord. Là encore, ce serait trop simple : il y a une erreur sur le registre. En réalité, C’est dans la 9ème division que repose Etienne, avec ses deux épouses (qui étaient sœurs : Suzanne et Thérèse Civet) et une partie de sa descendance. C’est d’ailleurs pour sa première épouse, morte à 28 ans en 1906, que fut bâtie l’imposante chapelle de famille. Aussi, on cherchera en vain une tombe Nicolas puisque celle-ci affiche à son fronton : tombe de Suzanne !

Deux générations de la famille gouvernèrent encore la maison Nicolas : Pierre Etienne NICOLAS (1901-1987) en 1958, qui repose également dans le tombeau de Passy, puis son fils Thierry en 1974, toujours en vie.

Rachetée en 1984 par le groupe Rémy Martin, la marque passe ensuite en 1988 entre les mains du groupe Castel qui abandonne les implantations à Charenton


[1Un travers qui n’a malheureusement pas totalement disparu pour certains, par répétition pleine de bonne foi assortie de fainéantise à mener ses propres recherches.

[2Morte en 1898, elle repose bien dans le caveau de Montparnasse avec son époux.

[3Il habitait 186 rue de Rivoli.

[41ère ligne Sud, n°1 par l’Ouest, 289 P1874

[5Un comble compte-tenu de son métier !


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