Les Say : une réussite sucrée
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Les Say font partie de ces familles que l’on rencontre fréquemment quand on étudie d’autres personnalités du XIXe siècle. Ils menèrent une politique matrimoniale habile qui leur permit de s’insérer dans l’élite aristocratique et bourgeoise de leur époque. Possédant plusieurs de leurs dernières demeures, j’ai décidé de faire un article les réunissant. L’occasion aussi de tordre le cou à certaines informations qui circulent sur le net.
Je me suis contenté de n’aborder que les membres de la lignée ayant eu une certaine notoriété. Cet arbre simplifié pourra toujours être complété au gré de mes trouvailles ou celles de mes lecteurs.
La famille Say est une famille protestante, issue de l’arrondissement de Florac, en Lozère. Elle quitta la région lors de la révocation de l’édit de Nantes et se réfugia à Genève, dont elle acquit la bourgeoisie. Jean, l’ancêtre commun, est marchand drapier. Il eut un fils, Jean Etienne, qui constituera pour nous le point de départ de notre saga familiale.
1ère génération
Jean Etienne SAY (1739-1806) vint travailler à Lyon et épousa la fille de son patron. Il fit le négoce des soieries qu’il expédiait en Hollande, en Allemagne, en Italie et jusqu’en Turquie. Comme beaucoup de Genevois installés à Lyon, il en vint à pratiquer autant la banque que le négoce. Il se trouva ainsi en relation avec les Delessert. Toutes les relations ultérieures tissées par les descendants confortent cette pratique du commerce international lié à la banque. Il mourut à Paris en 1806 et j’ignore où il fut inhumé.
Ils eurent trois enfants survivants :
2nde génération
Jean-Baptiste SAY (1767-1832), l’aîné : il découvrit lors d’un séjour au Royaume- Uni la révolution industrielle et, en même temps, la pensée d’Adam Smith qui fit de lui un apôtre du libéralisme économique. Il se lança dans le journalisme et mit sa plume au service des idées nouvelles. Remarqué par Bonaparte, qu’il avait soutenu lors du 18 brumaire, il siégea au Tribunat, mais, ses convictions libérales heurtèrent le Premier consul, partisan du dirigisme. Quittant la politique, il devint en 1807 entrepreneur dans le Pas-de-Calais, où il fonda une filature de coton. Parallèlement, il mena à bien son œuvre théorique pour adapter à la mentalité française les idées d’Adam Smith – malgré certains désaccords. En 1803, il publia son Traité d’économie politique, puis, en 1815, son Catéchisme d’économie politique ou d’instruction familière. Il enseigna au Conservatoire des arts et métiers et le Collège de France créa pour lui la chaire d’économie politique, qu’il occupa jusqu’à sa mort. Il fit paraitre son Cours complet d’économie politique pratique, destiné à promouvoir le capitalisme en France. Il repose au Père Lachaise (39e division).
Jean-Honoré « Horace » SAY (1771-1799), le cadet : soldat napoléonien, il fut tué au siège de Saint Jean d’Acre, pendant la campagne d’Egypte. J’ignore ce que sa dépouille est devenue.
Louis Auguste SAY (1774-1840), le benjamin : courtier de commerce à Paris, puis fabricant de cotonnades à Abbeville, la crise cotonnière de 1812 le contraignit à cesser son activité. Il se reconvertit dans le raffinement de sucre de canne à Nantes. Gérant associé, puis seul dirigeant, il créa la société « Louis Say et Cie ». Pendant le blocus continental, il comprit l’intérêt de fabriquer du sucre à partir des betteraves. Dès la Restauration, avec la reprise du trafic maritime, il fit venir la canne à sucre des Antilles, moins chère, et son entreprise prospéra. C’est seulement en 1967 que la raffinerie Say fut racheté par l’industrie Beghin, fusion donnant naissance à notre connu Beghin-Say. Auteur d’ouvrages économiques, il ne partageait pas les vues de son frère sur le libéralisme. Il fut inhumé en un premier temps au Père Lachaise (39ème division). Quelques jours plus tard, il fut transféré à Elbeuf (76).
3ème génération
Horace Emile SAY(1794-1860), fils de Jean-Baptiste, économiste tout comme lui, il fut professeur d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers de Paris et professeur d’économie politique au Collège de France. Il fut élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1857.
Adrienne SAY (1796-1857), sœur du précédent, épouse de Charles Comte (1782-1837), avocat, journaliste et député de la Sarthe, membre de l’Institut. Ils reposeraient dans la 43e division du Père Lachaise (à confirmer).
Octavie SAY (1800-1865), sœur des deux précédents, qui repose dans le tombeau de ses parents.
Elle était l’épouse de Charles-Edmond Raoul-Duval dit RAOUL-DUVAL (1807-1893), magistrat, qui fut sénateur de la Gironde de 1876 à 1879. Il ne repose pas avec son épouse mais dans un autre tombeau du Père Lachaise (93ème division).
Achille SAY (1812-1858), fils de Louis Auguste, il reprit la raffinerie créé par son père. Il fut inhumé au cimetière Miséricorde de Nantes (44).
Constant SAY (1816-1871), frère du précédent, qui travailla à la raffinerie familiale qu’il ne créa pas (comme nous l’avons vu), contrairement à ce que disent les guides peu scrupuleux qui pullulent dans le cimetière. On trouve peu de chose sur lui, et force est de constater que la chapelle dans laquelle il repose, au Père Lachaise, a plus de notoriété : à la fin des années 70 et au début des années 80, elle devint un squat de turpitudes, comme l’attestaient à l’époque le grand nombre de préservatifs et d’inscriptions sataniques à l’intérieur (je me souviens y avoir vu également des slips et des culottes !). Il n’en fallait pas plus pour que tout un tas de gogos en mal d’émotions fantasment : lieu de rassemblement vampirique, on y aurait organiser des messes noires et des sacrifices, une jeune fille y aurait été tuée..., à tel point que Paris-Match à l’époque en avait fait un article. Depuis, la conservation a mis fin à la récréation : la porte a été blindée, la chapelle grillagée. Le délai d’expiration de cette chapelle étant arrivé à échéance, la famille n’a semble-t-il pas voulu prolonger. Compte tenu de son intérêt architectural néogothique, elle ne sera pas détruite. (26ème division)
Louis-Octave SAY (1820-1857), frère des deux précédents, qui travailla à la raffinerie de Nantes. J’ignore où il fut inhumé.
4ème génération
Léon SAY (1826-1896), fils d’Horace Emile. Economiste, il se lança en politique en 1869 : député et Préfet de la Seine en remplacement du Baron Haussmann en 1871, il fut à quatre reprises ministre des Finances entre 1872 et 1882. Il fut élu à l’Académie des sciences morales et politiques en 1874 et à l’Académie française en 1886. Il repose dans la chapelle funéraire de son père avec son épouse, Geneviève Bertin, petite-fille de Louis-François Bertin. Avec lui se termine la branche ainée (plusieurs de leurs enfants, tous morts jeunes, reposent dans leur chapelle).
Edgar RAOUL-DUVAL (1832-1897) : magistrat, il fut député de la Seine Inférieure de 1871 à 1876, puis de l’Eure de 1876 à 1887. Il afficha ses sentiments bonapartistes, et se distingua des conservateurs monarchistes (qui défendaient des intérêts dynastiques et s’opposaient au régime républicain) en essayant de fonder un groupe politique attaché aux idées conservatrices mais acceptant les institutions républicaines, la « Droite républicaine ». Son arrière-petite-fille, Nadine Raoul-Duval (née en 1927), épousa en secondes noces l’écrivain Roger Nimier. Son arrière-petit-fils, Claude Raoul-Duval (+2018), aviateur dans les Forces françaises libres, fut compagnon de la Libération [1]. Il repose avec sa mère dans le tombeau de Jean-Baptiste Say, son grand-père (39ème division), et pas dans celui de son père.
Fernand RAOUL-DUVAL (1833-1892), ingénieur des Mines, agriculteur à Genillé en Indre-et-Loire, il fut président de la Compagnie parisienne du Gaz, régent de la Banque de France en 1888. En 1881, il fut nommé jusqu’en juillet 1887 président de la Société Minière du Tarn, société de recherche minière du prolongement sud du gisement du bassin houiller de Carmaux. Contrairement à son frère, il repose, ainsi que sa descendance, dans le tombeau de son père au Père Lachaise (93ème division).
Henriette Lucy RAOUL-DUVAL (1834-1870), sœur des deux précédents, elle épousa Louis Sautter : ils sont les ancêtres de Christian Sautter, ancien ministre de Lionel Jospin.
Jeanne-Marie SAY (1848-1916), fille de Constant, épouse du marquis Roland de Cossé-Brissac : elle repose avec lui dans le mausolée des Brissac. D’eux descendent les branches contemporaines des ducs de Cossé-Brissac (dont le mémorialiste Pierre de COSSÉ-BRISSAC (1900-1993), qui repose dans ce tombeau) et des princes de Ligne.
Henri SAY (1850-1899), frère de la précédente. J’ignore où il fut inhumé, sans doute à Nantes.
Marie Constance SAY (1857-1943), sœur des deux précédents, elle épousa en 1ère noce le prince Amédée de Broglie. Elle fut une personnalité excentrique de la Belle Époque et des Années folles. Richissime héritière, elle dépensa sans compter, tint salon dans son hôtel particulier de la rue de Solférino (qui devint plus tard le siège du PS). Elle acheta et fit entièrement rénover le château de Chaumont (41), où elle s’entoura de ses animaux, dont une éléphante offerte par le maharajah de Kapurthala [2]. En 1905, le « krach Crosnier », au terme duquel le directeur général de la raffinerie Say, François-Ernest Crosnier (qui avait utilisé les fonds de la société pour spéculer sur le coton), se suicida, amoindrit les revenus du patrimoine de la princesse [3]. Veuve en 1917, la princesse se remaria, en 1930, avec le prince Louis-Ferdinand d’Orléans, infant d’Espagne.
- La princesse de Broglie et son éléphante
L’annonce fit scandale : l’extravagant prince Louis-Ferdinand était âgé de près de 42 ans alors que Marie en avait 73 ! Cet époux volage et peu scrupuleux acheva d’ailleurs de dilapider la fortune de sa femme. Il fallut vendre l’hôtel particulier de la rue de Solférino puis, en 1938, le château de Chaumont, cédé à l’État.
Contrairement à ce qu’on lit partout sur le net (y compris sur sa fiche Wikipédia), elle ne repose pas dans la chapelle de son père au Père Lachaise, mais avec son premier époux dans une chapelle du cimetière de Chaumont-sur-Loire (41). D’eux descendent des membres de la famille de Broglie, marié à des Berthier et des Lannes de Montebello.
L’explorateur Louis Jean-Baptiste SAY (1852-1915), fils de Louis-Octave, qui dépensa sa fortune pour créer en Algérie (à la frontière du Maroc) la ville portuaire de Port-Say (actuellement Marsa Ben M’Hidi), destinée au commerce, mais qui s’ensabla. J’ignore où il repose.
5ème génération
René RAOUL-DUVAL (1864-1916) : fils de Fernand, ingénieur des Mines, il accéda à la présidence au décès de son père. Il assura la continuité de la famille Say dont il défendait les valeurs. À la mort de Léon Say, décédé en 1896 sans héritier direct, René devint administrateur des sucreries Say (devenue Béghin-Say). Il mourut en 1916 d’une maladie contractée à la guerre. Il repose dans le caveau familial du Père Lachaise (93e division).
Maurice RAOUL-DUVAL (1866-1916), frère du précédent, fut rédacteur en chef du Courrier du Centre. Joueur de polo, il obtint la médaille de bronze aux Jeux olympiques d’été de 1900. Il fut tué à Verdun. Il repose dans le caveau familial du Père Lachaise (93e division).
Merci à Nicolas Badin pour le tombeau de Chaumont.
[1] J’ignore où il repose, mais a priori pas dans le tombeau Raoul-Duval de la 93ème division.
[2] Le parc du château de Chaumont contient le cimetière dans lequel furent inhumés ces derniers (dont le cénotaphe de Miss Pundgi, l’éléphante qu’elle avait finalement donné au jardin d’acclimatation).Ce cimetière se trouvait à la place de l’ancien cimetière de la commune, qui avait été déplacé intégralement lors de la rénovation du château !
[3] On dit qu’après une première chute de la Bourse qui lui avait fait perdre vingt-huit millions or, elle dit d’un ton léger à son mari : « Je crois qu’il faudra diminuer notre train de vie. Aussi j’ai décidé de supprimer les petits pains de foie gras du goûter. »
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