SAINT-DENIS (974) : cimetière de l’Est
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Sur le front de mer de Saint-Denis, un long mur blanc sépare le boulevard Lancastel de la mer : il signale la présence du vieux cimetière de la ville, le cimetière de l’Est.
C’est en 1825 qu’est créé, à l’est de Saint-Denis (au lieu-dit Les Sables), un nouveau cimetière. Il gardera le nom de Cimetière de l’Est pour se différencier du Cimetière de l’Ouest, implanté en 1784, et abandonné par la suite, pour cause de problèmes de salubrité publique. Il connut plusieurs agrandissements successifs. Désormais plein, seules les familles possédant déjà des concessions peuvent y faire inhumer leurs défunts.
Proche de l’Océan, le cimetière en subit les aléas : son mur nord a été emporté plusieurs fois par les vagues cycloniques. Pour cette raison, on observe une plus grande densité de tombes le long du mur sud. A l’origine, ce mur séparait le cimetière de la voie ferrée, qui se poursuivait par le pont ferroviaire dont la structure métallique enjambait la ravine du Butor : cette voie ferrée fut remplacée dans la seconde moitié du XXe siècle par le Boulevard Lancastel. Il est aujourd’hui le plus important cimetière marin de l’île, même s’il demeure moins médiatisé que le cimetière marin de Saint-Paul. Depuis 1929, marins, capitaines, enseignes de vaisseau… y sont inhumés.
- L’enseigne de vaisseau Charles-Pierre Siou, noyé en 1881 à l’âge de 22 ans alors qu’il tentait de sauver la femme de son commandant.
Le Cimetière de l’Est raconte l’histoire des hommes et des femmes venus de leur plein gré – ou pas – à la Réunion. Même dans la mort, les statuts sociaux avaient encore leur importance : on ne mélangeait pas esclaves et hommes libres, riches propriétaires et modestes pêcheurs. Les morts ont leurs « quartiers », tout comme ils en avaient de leur vivant. Au nord du cimetière, les riches firent édifier d’énormes et somptueux caveaux ou pierres tombales. Au sud, les tombes des plus modestes se côtoient de façon désordonnée. Ici, pas d’allées et de belles pierres tombales. Un muret ou quelques galets peints en blanc, délimitent des tombes tellement denses qu’il est difficile de s’y déplacer.
Les esclaves ne se faisaient pas enterrés avec les Hommes libres : murs et entrée distinctes séparaient les lieux d’inhumation. Une exception notable dans ce cimetière : Toinette Atis-Rilo – une esclave affranchie – fut enterrée au Cimetière de l’Est. Sa tombe de marbre blanc est entourée de tombes d’hommes et de femmes libres. Quelques documents nous permettent d’en savoir un peu plus sur elle : cette « esclave noire créole d’1m50 aux cheveux crépus » serait née vers 1798, et originaire de Sainte-Suzanne. Esclave de Jules Lory, arrivé à la Réunion en 1825, elle faisait partie d’un groupe d’esclaves présents dans les propriétés achetées par les Lory au Chaudron, en particulier une sucrerie. Elle devint la servante de Jules père, puis de Jules fils. Elle décéda en 1860. Son épitaphe est signée par ses deux anciens maîtres (famille Lory des Landes) : il faut passer le texte paternaliste pour aller vers le fait que les deux propriétaires imposèrent la présence d’une femme noire, ancienne esclave, dans un espace réservé à la bourgeoisie blanche. Cela n’efface pas la mise en esclavage mais montre qu’elle a su dans cette période créer un cadre qui humanise celle-ci aux yeux de ses maîtres, les amenant à transgresser les codes sociaux de leur époque. Cette situation particulière montre qu’elle faisait sans doute partie des nénènes, mères nourricières des enfants du maître. Du fait de l’importance de cette tombe unique, des panneaux explicatifs furent placés à proximité de sa tombe en décembre 2021.
Concernant l’esclavage, mentionnons aussi la présence dans ce cimetière du cénotaphe d’Alexandre MONNET (1812-1849). Prêtre, il fut connu pour son engagement antiesclavagiste à l’île de La Réunion, où il arriva le 9 juin 1840 (au point, sous la pression des colons, de se faire expulser par le gouverneur général en 1847). En 1848, il devint Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit et l’interlocuteur de Victor Schœlcher sur l’île durant le gouvernement provisoire. Nommé « Vicaire apostolique (Évêque) de Madagascar », il mourut de la malaria à l’âge de 37 ans à l’hôpital de Mayotte au cours du long voyage qui l’emmenait de Cherbourg à Madagascar. Apprenant sa mort, les anciens esclaves de la Réunion lui édifièrent un cénotaphe dans ce cimetière. Ses restes furent transférés à la Réunion cinq ans plus tard, et furent enterrés dans l’église de La Rivière des Pluies, qu’il avait construite avec l’aide des esclaves.
- Tombe chinoise hakka
Le Cimetière de l’Est est aussi le témoignage de la pluralité ethnique et de la multiplicité des religions de l’île. En arrivant vers le centre du cimetière, le visiteur peut découvrir des sépultures longues et arrondies sur le dessus. Ces anciennes sépultures chinoises ont adopté le modèle Hakka : les Hakkas représentent une grande partie des ancêtres des Réunionnais descendants de Chinois. La présence de croix sur leurs tombes est la preuve du processus de christianisation de populations à l’origine bouddhistes.
Plus de 120 000 Indiens engagés débarquèrent dans l’île après l’abolition de l’esclavage et y restèrent. Contrairement à la coutume hindouiste qui incinère ses morts, les Indiens vivants à Saint-Denis furent inhumés au Cimetière de l’Est. Comme pour les Hakkas, le processus de christianisation est visible sur les tombes. Souvent,
- Très présent sous diverses formes : le trident en hommage à Shiva
ceux-ci pratiquaient le double culte. A partir des années 1970, les Indiens ne voulurent plus cacher leur croyance religieuse. Sur les tombes, les couleurs vives et des signes ostentatoires firent progressivement leur apparition, témoignant de leur appartenance culturelle hindouiste. Surplombant les tombes hindoues, le trident en hommage au dieu Shiva se dresse, d’un jaune vif presque aveuglant à la lumière du soleil. Colliers de fleurs, foulards colorés, symboles hindous s’affichent sur les tombes.
- Tombe indienne : colliers de fleurs et dominante jaune, symbolisant le renouveau.
Je n’ai pas d’explication sur la présence d’une chapelle à la mémoire de la reine Ranavalona I de Madagascar, qui régna de 1828 à sa mort en 1861, et qui repose dans le Rova d’Antananarivo. Hommage de la communauté malgache de la Réunion ? Et quid de la princesse RAZAFINANDRIAMANITRA (1882-1897), fille de la princesse Rasendranoro, une sœur de la reine Ranavalona III, reconnue comme l’héritière présomptive du trône de Madagascar mais qui ne régna jamais en raison de l’abolition, en 1897, de la monarchie malgache par la France. Elle mourut en exil à la Réunion, ne survivant que quelques jours à l’accouchement d’une fille, et fut inhumée dans ce cimetière, sous une pierre blanche selon la tradition ? Je suis preneur si quelqu’un a une explication...
Il existe enfin un petit cimetière des condamnés à mort qui se trouve à l’extérieur du cimetière de l’Est à Saint-Denis. Trois tombes subsistent dans un parterre, dont l’une contient la tête du criminel Volcenay Zitte, qui en 1919 tua, viola et brûla sans hésiter les gens endormis pour les voler. Si sa tête repose ici, son corps décapité fut mis en terre à Hell Bourg sous une grosses pierre peinte de blanc, surmontée d’une petite croix.
Reposent en ce cimetière
MAZAÉ AZÉMA (Etienne Azéma : 1776 ? [1]-1851). Magistrat, délégué de Bourbon auprès du Ministre de la Marine, il est surtout connu, en tant qu’homme de lettres, pour sa pièce Médée. Petit-fils de Jean-Baptiste Azéma, gouverneur de Bourbon au milieu du XVIIIe siècle, il est, en outre, le père de l’historien Georges Azéma et du médecin Mazaé Azéma, le grand-père du médecin Henri Azéma, l’arrière-grand-père du poète Jean-Henri Azéma. Concernant ce dernier, Jean-Henri AZÉMA (1913-2000) fut l’ami de Robert Brasillach et de Pierre Drieu La Rochelle et milita à l’Action française. Durant la Seconde Guerre mondiale, il devint la voix du gouvernement de Vichy sur Radio-Paris. Adhérent du Parti populaire français (PPF, fasciste) de Jacques Doriot, il publia également des nouvelles dans Je suis partout. En 1944, à l’approche des Alliés, il quitta la capitale avec les Allemands et s’engagea dans la Waffen-SS. Après la chute de Berlin, il passa en Suisse et parvint en Argentine, où commença une longue période d’exil. La France libérée le condamna par contumace à la prison à perpétuité. Amnistié en 1970, il revint à La Réunion en 1978. Lorsqu’il mourut, une partie de ses cendres et celles de son épouse furent jetées au vent au Champ Borne et à Boucan Canot. Le reste fut lancé à la mer depuis la baie du Tombeau, à l’île Maurice. Son souvenir est néanmoins évoqué sur le tombeau de famille. Il était le père de l’historien de la Seconde Guerre mondiale Jean-Pierre Azéma.
L’ingénieur des Ponts-et-Chaussées Joseph BONNIN (1817-1863) qui œuvra à la Réunion, en particulier à la réalisation de ponts. Un bas-relief sur sa tombe reproduit le tracé du port de Saint-Pierre.
L’entrepreneur Julien GAULTIER de RONTAUNAY (1793-1863). Engagé dans la Marine, il se lança dans le commerce et fonda des comptoirs sur la côte Est de Madagascar. Pour les desservir, il créa une flotte de commerce. Il fut également un philanthrope pour l’île. Il repose sous un tombeau de pierre grise surmontée d’une croix sur laquelle est inscrit le seul mot « Silence ».
Gabriel MACÉ (1906-1968) : maire de Saint-Denis en 1959, puis député de La Réunion en 1962, une élection invalidée l’année suivante pour cause de fraude électorale. Il fut réélu à l’Assemblée en 1967 mais mourut rapidement en cours de mandat.
François Achille MARBOT (1817-1866) : commissaire de la Marine natif de Martinique, il fut l’auteur de Les Bambous - Fables de La Fontaine travesties en patois créole par un vieux commandeur.
On ne trouve rien sur le Net sur "l’artiste" Hélène NAVARRE (1899-1973), dont l’épitaphe proclame Pass on poor spirit / Yours thousand years are done.
Jules OLIVIER (1881-1955) : instituteur, puis directeur du lycée Michelet à Paris ; il fut maire de Saint-Denis de La Réunion en 1953 et sénateur de la Réunion en 1948 ; deux fonctions qu’il exerça jusqu’à sa mort.
Le poète et musicien Alain PÉTERS (1952-1995), qui renouvela le maloya, chant hérité des esclaves. Alcoolique chronique, tantôt quasi SDF, tantôt interné en hôpital psychiatrique, il n’a laissé qu’une vingtaine d’enregistrements qui ont profondément marqué la musique de l’île.
L’explorateur Anne RAFFENEL (1809-1858) qui visita, de 1826 à 1842, les Antilles, le Brésil, les États-Unis, Madagascar, l’île Bourbon, le Sénégal. Il fut chargé en 1843 d’explorer la Falémé et les pays riverains, et publia à son retour un Voyage dans l’Afrique occidentale (1846). Il entreprit peu après de traverser l’Afrique dans toute sa largeur, mais fut pris et dépouillé sur les limites du Ségou, et ne put aller plus loin. Il profita de sa captivité pour rédiger un Nouveau voyage dans le pays des Nègres, qui parut en 1856. En 1855, il fut nommé gouverneur des établissements français de Madagascar.
Georges REPIQUET (1912-1988) : fils d’un Gouverneur de La Réunion entre 1925 et 1932, Maire de Sainte-Suzanne de 1945 à 1965, il fut sénateur de la Réunion de 1955 à 1983.
Le peintre Antoine-Louis ROUSSIN (1819-1894)
Merci à Nicolas Badin pour les photos.
Photos Azéma - Mace - Marbot - Olivier - Raffenel - Repiquet : Geneanet.
Source : https://carolinel3fle.wordpress.com/2018/02/18/visite-du-cimetiere-de-lest/
[1] C’est ce qui est écrit sur sa tombe. Les sources le font davantage naître en 1778.
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