SAINT-PIERRE (974) : cimetières

mardi 14 juin 2022
par  Philippe Landru

Proches de la mer, les trois principaux cimetières de Saint-Pierre sont mitoyens ; le cimetière communal n’étant séparé des cimetières paysager et musulman que par une rue.

S’ils ne possèdent pas l’intérêt et la médiatisation du cimetière marin de Saint-Paul, une petite visite reste envisageable.

Le cimetière communal


Comme tous les autres cimetières de la Réunion, il estle témoignage de la pluralité ethnique et de la multiplicité des religions de l’île : sépultures chinoises hakka (les Hakkas représentent une grande partie des ancêtres des Réunionnais descendants de Chinois : la présence de croix sur leurs tombes est la preuve du processus de christianisation de populations à l’origine bouddhistes), sépultures indiennes très colorées (en particulier en jaune, couleur du renouveau, et omniprésence du trident hindou, en hommage au dieu Shiva), le tour n’excluant pas la présence de croix chrétienne, le syncrétisme religieux étant fort dans l’île.

On trouve dans ce cimetière la tombe d’une figure locale : SITARANE (Simicoudza Simicourba : 1858-1911) : voleur, sorcier et assassin, il fut également surnommé « le vampire de La Réunion ». Né dans une famille de sorciers des possessions portugaises du Mozambique, il arriva à La Réunion à l’âge de 20 ans. Avec deux acolytes, il commit de nombreux vols, dont certains d’une façon mystérieuse et très audacieuse, puis bientôt trois assassinats, dont les victimes avaient été égorgées durant leur sommeil. La tradition réunionnaise leur prête une douzaine de meurtres à leur actif. Il fut arrêté et exécuté, demandant à être baptisé juste avant.

Depuis sa mort, sa réputation ne cesse de croître, bien que sa dépouille n’est pas à l’emplacement où se situe sa tombe. Enterré à Saint-Pierre en 1911, son nom demeure vivace dans l’histoire locale. Sa tombe, toujours fleurie et garnie de bougies et de cierges, est aujourd’hui l’objet d’un véritable culte : elle attire de nombreuses personnes, qui en échange d’offrandes lui demandent de répandre le bien ou le mal et de commettre des actes inimaginables.

Reposent ici plusieurs membres de la famille Isautier :

- Paul Alfred ISAUTIER (1911-1984) : Ingénieur, il s’investit dans la distillerie de son père Alfred autour de 1935 et la fit entrer dans les années qui suivirent dans l’ère du rhum de sucrerie, celui que l’on fabrique à partir de la mélasse. Surnommé Ti’Fred, il en devint le directeur général en 1951 et amorça la diversification de son activité en créant une branche consacrée au bâtiment et aux travaux publics. Il fut nommé conseiller de l’Union française en 1955 puis élu au Sénat français (1959-1974). Il céda alors les destinées des Établissements Isautier à son frère Charles. Il fut maire de la commune de Saint-Pierre de 1966 à 1983.

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Tombe de Charles Isautier, qui succéda à son frère Paul Alfred à la tête des Établissements Isautier lorsque celui-ci se fit élire sénateur de La Réunion.
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« ici repose Louis Charles Merlo , né à Saint-Pierre le 28 juillet 1760, premier maire de cette ville après le départ des Anglais, du 17 juillet 1815 à sa mort le 18 septembre 1820 »

Le cimetière musulman

De nos jours, l’île de la Réunion dispose de cinq cimetières musulmans sunnites privés dans les villes de Saint Denis, Saint Pierre, Saint Paul, Saint Louis et Le Tampon. Dans les villes de Saint-Benoît, Saint André, Le Port, Cilaos et St Joseph, la communauté musulmane bénéficie d’espaces séparés, avec une entrée indépendante, dans la continuité du cimetière municipal dont ils sont séparés par un mur.

A l’instar des musulmans de Saint-Denis, qui obtinrent en 1905 un cimetière pour leur communauté (ce qui en fit au passage le premier cimetière musulman de France !), ceux de Saint-Pierre, obligés d’ensevelir leurs défunts dans le cimetière municipal, manifestèrent l’intention d’avoir leur propre lieu de sépulture. C’est un commerçant de Saint-Denis qui, en 1923 acheta, dans ce but, un terrain de 10.000 m² à Saint-Pierre. Le Gouverneur Lapalud ayant accordé l’indispensable autorisation, le deuxième cimetière musulman de France, le cimetière musulman de Saint-Pierre fut inauguré en 1924. Si au tout début du XXe siècle les musulmans de Saint-Denis avaient eu du mal à obtenir leur cimetière (on leur objectait l’interdiction des cimetières confessionnels de 1881), celui de Saint-Pierre n’eut pas de mal à voir le jour.

Le contraste avec la luxuriance des cimetières de l’île, toujours fleuris, est saisissant. A l’ombre de frangipaniers, le cimetière musulman est un espace d’une grande sobriété. Les tombes, orientées dans la direction de la Mecque, ne reflètent rien des disparités sociales de la communauté. Hormis quelques tombes anciennes marquées en gujarati, elles sont toutes semblables : un rectangle de terre battue, dont les contours sont soulignés d’un encadrement en ciment, parfois peint en blanc. Une petite stèle, dans le même ciment blanc, porte une ou plusieurs inscriptions en français, parfois en arabe, qui indiquent l’identité de ceux qui reposent là. Ici, pas de marbre, de tombeaux, encore moins de mausolées, pas de photos non plus. A la Réunion, le cimetière appartient à la communauté, c’est un bien waqf – de mainmorte – les familles n’ont pas à acheter de concession. Ici, comme à la mosquée, on ne rencontre pas de femmes ou très exceptionnellement et seulement accompagnées de leur mari. Les femmes n’assistent pas aux enterrements.

A l’intérieur du cimetière subsiste un ancien four à chaux.

La chose la plus étonnante du cimetière est sans aucun doute les « conseils » adressés aux fidèles qui entrent dans le lieu (du pied droit comme il est prescrit). Un panneau indique les prescriptions : les sourates à réciter, mais aussi quelques quelques préceptes comme « faire preuve d’humilité et de méditer sur la mort », de ne pas « parler de choses futiles et mondaines » ou encore de l’interdiction de « se courber , de se prosterner devant une tombe ou d’adresser directement une demande aux morts ». Les rites ici mentionnés concernent plus particulièrement les sunnites hanafites (musulmans venus du nord-ouest de l’Inde, appelés « zarabes »). Les Comoriens sont également des sunnites (de rite chaféite, très proche).

Le cimetière paysager


Dans la partie paysagère du cimetière, contigüe au cimetière musulman, repose le musicien kabyle Cheikh EL HANAOUI (Muhend Xelwat : 1910-2002). Il fut l’un des piliers qui influença la chanson kabyle, pour sa musique ou sa thématique récurrente de l’exil comme source d’inspiration, notamment pour Matoub Lounes ou Ait Menguellet. Après avoir quitté l’Algérie pour la France métropolitaine en 1937, il passa les douze dernières années de sa vie à Saint-Pierre, d’où sa présence dans ce cimetière.


Merci à Nicolas Badin pour les photos.


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samedi 29 octobre 2022

Je suis en train de remettre à jour toutes les rubriques qui listent le plus exhaustivement possible le patrimoine funéraire de tous les départements. Tous les cimetières visités par moi (ou par mes contributeurs) y sont portés, mise-à-jour des couleurs qui n’étaient pas très claires dans les versions précédentes (le noir apparaissait vert), rajout de tombes depuis les visites, photos de tombes manquantes... N’hésitez pas à les consulter pour y trouver la version la plus globale du patrimoine. Ces rubriques représentent les listes les plus complètes que l’on puisse trouver sur le net du patrimoine funéraire français.

Contrairement aux articles, vous ne pouvez pas interagir sur les rubriques : aussi, si vous avez une information nouvelle à apporter sur un département, merci de laisser votre message en indiquant clairement le département et la commune concernée sur un article dédié uniquement à cela : Le patrimoine funéraire en France : classement par départements

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vendredi 14 février 2014

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