SAINT-LOUIS (974) : cimetière du Père-Lafosse
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Le cimetière du Père-Lafosse est appelé de diverses manières : cimetière de l’Etang du Gol, cimetière des esclaves, cimetière des Âmes perdues. Situé sur le territoire de la commune de Saint-Louis, il est l’un des rares cimetière de l’ancienne colonie à accueillir des sépultures d’esclaves identifiées comme telles. Il fut édifié en 1729, lors de l’épidémie de variole. Y furent enterrés des habitants du quartier ainsi que de nombreux esclaves, mais on ne trouve plus de traces des sépultures.
De part et d’autre de l’entrée du cimetière, on trouve des représentations de Jean Lafosse et de "l’esclav Aman".
Un culte populaire réunissant des Réunionnais issus de tous milieux est voué au Père Jean LAFOSSE (1745-1820), homme connu et reconnu unanimement comme l’ami et le protecteur des Noirs, à l’instar de l’abbé Grégoire. Curé de la paroisse de Saint-Louis de 1775 jusqu’à son expulsion de la colonie, il s’attacha après 1789 à faire respecter les Droits de l’homme et appliquer de nouvelles lois relatives à la démocratisation. Chez les Blancs propriétaires, la peur de voir les esclaves se révolter commença à hanter les esprits. Cependant, aux élections de 1790, ayant gagné la confiance de ses concitoyens, il fut élu maire puis député à l’Assemblée coloniale. Les tensions et les rivalités s’amplifiant, il fut dénoncé comme « dangereux agitateur menaçant la tranquillité de l’île ». Incarnant l’abolition de l’esclavage et la fin des privilèges, il fut placé sous surveillance. Il démissionna de sa charge de maire tandis que le 4 février 1794, l’Assemblée coloniale décrétait l’abolition de l’esclavage. Le 26 mai 1798, le père Lafosse, entré en résistance, fut condamné à la déportation en Inde où il resta en exil jusqu’en 1802. A son retour d’exil, il retrouva la cure de son ancienne paroisse de Saint-Louis, où il demeura jusqu’à sa mort. Théorie du complot oblige, on l’a dit assassiné et la rumeur est tenace à la Réunion, même si aucun document sérieux ne corrobore le fait. Décédé le 12 octobre 1820, le Père Lafosse fut sans doute le dernier prêtre à être enterré dans ce cimetière où les inhumations furent interdites, à partir de 1823, au profit du seul cimetière de Bel-Air.
Sa tombe fait l’objet de vénération de la part de nombreux Réunionnais.
Dans tout le cimetière, d’improbables recommandations sont laissées.
- Attention au feu. Zéro toilette.
On trouve ici des tombes de la communauté indienne, comme dans les autres cimetières de l’île, où christianisme et hindouisme se mélangent en un syncrétisme local fort. Le rouge et le jaune dominent au sein des saklons, emblèmes de couleur jaune recouvertes d’écritures.
- Une légion entière de saints miniatures... tous décapités !
Le cimetière témoigne d’un culte populaire à la Réunion : celui de Saint-Expédit, qui a la réputation d’exaucer les vœux rapidement. Saint catholique obscur du IIIe siècle, il fut adopté par toutes les communautés croyantes de l’île, chrétiens, tamouls, Bouddhistes ou Hindous ! Fait remarquable : son culte est récent dans l’île puisqu’il date de l’après Première Guerre mondiale ! Les Oratoires sont de couleur rouge, La couleur rouge est associée aux pratiques malabares, c’est la couleur du sang, de la vie et de la mort. On associe également Saint-Expédit à la déesse Karli ou à Mardé Vira parce qu’ils représentent la richesse et la force. A l’intérieur, la présence d’une statue ou image du saint, des plaques de remerciement, un tissu rouge. Parfois des statues du saint qui sont brisées, décapitées l’explication à cela, les gens qui ont été déçus par le Saint se vengent en faisant cela pour montrer leur mécontentement. Les statues ne sont jamais jetées ou déplacées.
Saint Expédit, celui qui guérit, celui qui aide à trouver du travail, à obtenir un prêt. Dans les chapelles des promesses sont faites et il est recommandé de tenir parole dans les délais les plus brefs, que la grâce soit exaucée ou non. Les grâces exaucées créent un lien de dépendance et de dévotion, dont le bénéficiaire ne peut plus guère se délier sous peine de perdre a nouveau ce qu’il vient de recevoir. Des offrandes pour le saint, fleurs, bougies pièces de monnaie, bout de tissu rouge. Mais Saint-Expédit a la réputation de faire beaucoup plus il est souvent question de sorcellerie, il semble en effet que les services que les fidèles viennent parfois demander au saint, engagent une attente et une croyance en des pouvoirs supérieurs, dangereux et secrets. Saint Expédit un culte populaire fait de dévotions et de pratiques magiques, le Saint patron des gens ordinaires et plus généralement déshérités. C’est sans doute cela qui explique son succès à la Réunion, ainsi que la durée de son culte. Étant donné le peu de preuves que l’on possède sur son existence, et les connotations magiques de son culte, le clergé a fini par ne plus le cautionner. Aujourd’hui si certains prêtes le tolèrent, la plupart déconseillent ou même interdisent ce culte.
En 2004, le cimetière a été rénové. Le 31 octobre 2009, a été inaugurée une stèle des esclaves sur laquelle on peut lire : "Des centaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ont été arrachés à leur terre natale pour être mis en esclavage sur cette île, de la fin du 17e siècle jusqu’à l’abolition de 1848. Le Code Noir les réduisait à l’état de « biens meubles ». L’esclavage colonial les a privés de sépulture et a effacé toute trace de leur présence. Tout être humain a droit au souvenir. Par ce monument, nous réparons cet oubli. Nous rendons hommage à leur vie, à leur courage et à ce qu’ils nous ont légué".
Le mur d’enceinte du cimetière est orné de fresques montrant des scènes de vie des esclaves.
Merci à Nicolas Badin pour les photos.
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