Le columbarium du Père Lachaise : présentation générale
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L’histoire du crématorium et du columbarium du Père Lachaise s’inscrit dans un contexte précis : celui, à la fin du XIXe siècle, du mouvement de sécularisation et de laïcisation de la société dans tous les domaines, y compris celui du funéraire. Pendant longtemps en effet, les autorités catholiques s’opposèrent à ce que les défunts ne disparaissent autrement que sous la terre, et à l’issue d’une cérémonie religieuse. La crémation offrait pour elles le double scandale de les voir partir en cendres, qui plus est avec la possibilité d’échapper à la dernière messe.
C’est parce que les progrès de cette pratique ne se firent pas sans heurts que les travaux du crématoire et des columbariums prirent tant de temps : commencé dans les années 1880, l’ensemble, tel qu’il existe aujourd’hui, ne fut terminé qu’en 1960 ! Les atermoiements furent nombreux et Formigé, l’architecte a qui fut confié le projet, dut revoir ses plans plus d’une fois.
La première crémation, celle d’un enfant, eu lieu au Père Lachaise le 30 janvier 1889. Depuis, d’années en années, cette pratique n’a eut de cesse de progresser, même si la pratique de l’inhumation reste forte, particulièrement en France par rapport à certains pays voisins. En outre, la crémation ne s’oppose pas, en un second temps, à l’inhumation de l’urne cinéraire dans un caveau. Je ne m’étendrai pas trop sur les causes de cet engouement, dont chaque premier novembre, journaux de France et de Navarre font leur titre ! Reste qu’en dehors des préoccupations hygiénistes, philosophiques et écologiques (toujours mises en avant), le moindre coût d’une crémation (par rapport à une inhumation qui nécessite, outre tous les frais d’obsèques, la propriété d’un caveau et de son entretien) joue sans aucun doute bien davantage (paradoxalement, on en parle peu dans ces mêmes journaux !). La législation concernant le devenir des cendres évolue constamment, beaucoup de familles n’étant pas préparée psychologiquement à recevoir les cendres dont elles ne savent que faire ; cette situation ayant donné lieu à des abus (urnes retrouvées dans les décharges…) ou à des dispersions incontrôlées. Ainsi, les obsèques dans notre société sont également révélatrices de discriminations sociales. Il faut tout de même rappeler que pour beaucoup de gens, inhumer un proche est encore synonyme d’endettement. Pour la crémation, là où les familles financièrement solides peuvent se permettre de choisir la destination finale des cendres, y compris par l’achat d’une concession, les foyers modestes, pour limiter le coût, conserve plus facilement les cendres, sans mesurer ensuite qu’on ne s’en débarrasse pas aussi facilement.
Qui se fait crématiser ?
Si la crémation n’a pas cessé de progresser dans les pratiques funéraires occidentales, il faut néanmoins comprendre qu’à différentes époques, tous les pans de la société ne furent pas également concernés.
Pendant longtemps, choisir la crémation relevait d’un dernier acte idéologiquement prononcé contre l’Eglise. Ainsi, les premiers crématisés du Père Lachaise étaient pour la plupart athées, le plus souvent anticléricaux, francs-maçons ou Libre penseurs. De ce fait, le peuple de gauche fut surreprésenté par rapport à celui de droite, volontiers plus conservateur et attaché aux valeurs du catholicisme. Encore aujourd’hui, la crémation demeure le mode de plus usuel d’obsèques des leaders syndicaux, des communistes et des révolutionnaires, des anarchistes également. Nous verrons qu’ils sont nombreux parmi les personnalités du columbarium.
A partir des années 80, une autre catégorie fut fortement concernée par la crémation : celle des victimes du SIDA. Si ce motif n’est jamais indiqué sur les cases, plus d’un âge précoce trahit, dans ces années-là, les ravages de cette maladie à ses débuts, quand les trithérapies n’apportaient pas encore de répit à la progression du fléau. Pour des raisons philosophiques diront les uns, hygiénistes plus ou moins assumées voire consciente pour les autres, beaucoup de malade firent eux-même la demande d’une crémation, peut-être pour symboliquement éradiquer définitivement le virus. Jean-Paul Aron, Guy Hocquenghem et bien d’autres sont, dans le columbarium, des représentants médiatiques de ces années noires.
A l’heure actuelle, la pratique de la crémation s’étend à la société de manière plus globale, même si certaines catégories y demeurent rétives : si la protestant la revendiquent, si les catholiques l’ont accepté, même s’ils privilégient encore l’inhumation en pleine terre, les musulmans la condamne. Autre caractéristique intéressante à noter : le cosmopolitisme des crématisés. Est-ce l’absence de racines dans le sol d’adoption qui poussa un grand nombre d’étrangers à privilégier la crémation ? Une étude de fond de l’évolution des pratiques funéraires dans les trente dernières années reste à écrire.
Que deviennent les urnes ?
Dans un domaine qui nous concerne plus particulièrement, à savoir le devenir des cendres des personnalités décédées, force est de constater une évolution ces dernières années.
Là où, anciennement, on crématisait peu et où la plupart des urnes terminaient au columbarium, la pratique d’un passage par le crématoire avant des destinations inconnues est de plus en plus fréquent. On pourra toujours invoquer la plus grande mobilité des populations : au gré des migrations, des résidences secondaires, des destinations ensoleillées pour les vieux jours, cette pratique s’accentue d’années en années à tel point que l’on peut désormais parler de nomadisme funéraire.
Ainsi, si beaucoup de personnalités se sont fait crématiser au Père Lachaise ces dix dernières années (les nécrologies de ce site en témoignent), rares sont celles qui ont finalement terminé leur parcours sous ses divisions ombragées. C’est une difficulté à laquelle les taphophiles doivent faire face. Elle est d’ailleurs source de grande confusion dans la mesure où beaucoup de sites, par ignorance, recopiage, ou manque de rigueur, localisent les dernières demeures des célébrités dans la 87ème division du cimetière, celle du columbarium, alors qu’elles n’y reposent pas. Claude Jade, Piéral…plus près de nous Jocelyn Quivrin… sont tous partis vers des destinations inconnues alors qu’ils sont souvent indiqués à tort au Père Lachaise.
Il ne s’agit pas ici de discuter le choix des familles, qui sont bien libres de disposer des cendres de leur proche comme bon leur semble, simplement de faire le constat que la progression de la crémation rend notre recherche plus ardue. Bien souvent en réalité, le problème est déplacé dans le temps et dans l’espace : beaucoup des personnalités crématisées au Père Lachaise reposent sans doute dans la discrétion d’un cimetière de province. Au bout d’un certain temps, on finit par avoir des nouvelles : untel fut dispersé dans sa propriété, unetelle dans la Seine…
Les columbariums
Concentrons-nous sur ceux qui sont « restés » au Père Lachaise. Nous exclurons de cette étude ceux –nombreux- qui furent inhumés ailleurs après avoir été crématisés ici (le cas le plus récent est celui de Pierre Doris).
Le Père Lachaise fut le premier cimetière à disposer d’un jardin du souvenir, vaste pelouse contre le mur de la rue des Rondeaux, que laquelle on peut disperser les cendres. Aujourd’hui, la pratique s’est développée à l’infini, et des petits cimetières ruraux possèdent leur propre jardin de dispersion.
L’ensemble formé aujourd’hui par le crématorium, entouré de ces quatre columbariums à portiques en équerre, semble aujourd’hui harmonieux : il n’en fut pas toujours ainsi. Il y eut tout d’abord un premier columbarium qui se trouvait adossé au mur de la rue des Rondeaux, mais il fut vite abandonné pour le projet actuel. Les quatre portiques furent édifiés entre 1894 et 1921 : ainsi, sur le plan du guide de Jules Moiroux, édité au début du XXe siècle, ne figurent que les deux plus anciens, à savoir ceux qui sont derrière le crématorium (ce qui explique que l’on y trouve les cases 1 à 3968). La logique voudrait que l’on trouve dans cette partie les urnes les plus anciennes : il n’en est rien car il ne reste plus aucune case datant des débuts de la crémation au Père Lachaise (soient celles qui furent faites entre 1889 et les années 10 du XXe siècle). Ses cases, qui étaient en effet les plus anciennement occupées, furent reprises et réattribuées. De manière générale, ce serait d’ailleurs une erreur de croire que les cases subissent moins de reprises que les tombes : c’est tout l’inverse. Un grand nombre de personnalités dont les urnes avaient été placées dans le columbarium ne seront évoquées dans les articles qui suivent pour le souvenir, car il y a bien longtemps qu’ils n’occupent plus l’emplacement qui était le leur. La physionomie du columbarium change en réalité très vite !
Les columbariums souterrains sont encore plus récents : élaborés dans les années 30, ils ne furent terminés dans leur état actuel qu’en 1960 !
En 2010, la situation est donc la suivante : en extérieur, quatre portiques entourent le crématorium en forme d’équerre. Ils sont tous formés de deux étages séparés par un balcon coursive auquel on accède par des escaliers en pierre qui remplacèrent les dangereux escaliers en bois à roulettes qui existaient jusqu’u début du XXe siècle. Les deux étages en sous-sol sont composés de couloirs en équerre symétriques partant d’une crypte centrale. Quelques petites salles s’ajoutent à ces couloirs. Enfin, pour être complet, il existe également un petit columbarium en équerre dans le coin nord-ouest du complexe : on l’appelle la petite crypte.
Les 40 837 cases se disposent symétriquement en lignes et en colonnes. Toutes sont numérotées, cette numérotation s’établissant en descendant, et de la droite vers la gauche. Se repérer dans l’ordonnancement des cases n’est pas évident pour le néophyte, qui doit se familiariser avec le lieu pour bien comprendre l’enchaînement des numéros. Si certaines parois sont entièrement occupées, d’autres, au gré des reprises, offre de très nombreux emplacements vides. Du fait de ces mêmes reprises, il ne faut pas chercher une quelconque idée de chronologie des défunts, même si les columbariums extérieurs abritent davantage de cases anciennes. L’ensemble est sévère, assez austère. En sous-sol, l’éclairage est limité : pour peu qu’une ou deux lampes ne fonctionnent pas, et c’est la quasi obscurité. A noter également qu’il y fait particulièrement froid (ce qui est agréable en été, mais vite pénible en hiver). On y croise globalement peu de monde.
Les taphophiles et les columbariums du Père Lachaise
Les articles qui suivent ont pour but de faire découvrir une partie tout-à-fait ignorée des guides sur le cimetière, jusqu’aux plus récents. Il est vrai que pendant longtemps, le conformisme étant de règle, les cases étaient toutes faites sur le même modèle : une identité et deux dates. Ainsi, ces mêmes guides se contentaient de mentionner la présence de quelques vedettes. Traditionnellement, les visites guidées « zappent » le columbarium (ou font uniquement un rapide arrête devant Callas ou Pierre Dac).
Pourtant, l’ostracisme dans lequel le columbarium est relégué est injuste : en terme de vedettes, il offre une palette assez similaires à un cimetière comme celui de Bagneux : beaucoup de célébrités –quelques grandes vedettes et beaucoup de personnalités plus confidentielles-.
- Un présentateur télé, un patron de chaîne, un politicien victime d’un scandale aux moeurs : l’inventaire à la Prévert tel que l’offre le columbarium.
Mais l’intérêt du columbarium réside ailleurs : le temps du conformisme des plaques est révolu ! Artistiquement parlant, certaines d’entre-elles font preuve d’une audace qu’on aura du mal à trouver sur les tombes du cimetière. En outre, ces cases offrent une variété de messages post-mortem absolument considérables. Est-ce une compensation à l’emplacement restreint ? Un non-conformisme des crématisés par rapport aux inhumés ? Ou est ce que la relative confidentialité du lieu permet des audaces que l’on se refuserait sur des tombeaux à l’air libre ? Quoi qu’il en soit, les épitaphes modernes de nos contemporains sont plus passionnantes que les logorrhées lacrymales de leurs aînés. Beaucoup d’humour régulièrement, de l’émotion également. Les cases du columbarium offrent une photographie moderne des pratiques funéraires dans toutes leurs diversités : offrandes des bouddhistes, œuvres d’art ou kitscheries, images, peinture, mosaïques, photographies changées au gré des saisons, messages laconiques ou messages sibyllins, dessins d’enfants ou fleurs en plastique, signes d’appartenance à une foi, à une région, à un métier, à une passion, à une loge maçonnique…
Il ne vous reste désormais plus qu’à partir à la découverte de ces allées qui ne sont monotones que si l’on n’y jette qu’un regard distrait.
Le columbarium : les personnalités de A à E
Le columbarium : les personnalités de F à L
Le columbarium : les personnalités de M à Q
Le columbarium : les personnalités de R à Z
Le columbarium : plaques remarquables
Bibliographie : il existe peu de documents, particulièrement des documents récents, qui présentent le columbarium et ses célébrités. Si tous les ouvrages sur le Père Lachaise leur attribuent une petite place, ils se contentent de présenter les mêmes célébrités, alors que certaines ne sont même plus là !
On signalera néanmoins l’existence de :
BEAUVIS Charlette et LANGLADE Vincent (de) Le columbarium du Père Lachaise, éditions Vermet, 1992.
Cet ouvrage propose un historique assez précis du monument dans sa première partie. La seconde est une promenade de Vincent de Langlade qui présente quelques plaques. L’ouvrage a le mérite d’exister, mais il est maintenant daté (plusieurs plaques n’existent plus, et bien évidemment il ne peut rendre compte de tous ceux qui s’y trouvent depuis 1992).
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