Il est des mystères qui résistent au temps mais celui-ci finit généralement avoir le dessus, question de patience.
J’ai visité cette tombe il y a bien longtemps et les arbustes l’entourant étaient malingres, et ils soulignaient une sorte de gémellité avec la tombe opposée, celle juste au-dessus. La nature a pris le dessus, ce regroupement n’est plus perceptible. Deux identiques pierres tombales, même granit noir, mêmes dimensions, encadrées de sapins définissant une sorte de continuité des deux sépultures.
« Erich Von Stroheim » écrit sur l’une (Et « Denise Vernac »). On sait qui c’est.
Mais sur l’autre dalle, « Hamilton Hays Keener, 1920-1970 », qui diable ça pouvait bien être ?...
Deux patronymes pas très Seine et Oise...
A chaque fois que revoyais un film de Stroheim je regardais sur internet si ce « Keener » apparaissait à un titre ou un autre quelque part. Rien. Et ces jours derniers je regarde enregistré il y a peu « La Danse de Mort » (1948) de Marcel Cravenne ; avec aussi Denis Vernac qui joue sa femme.
Un couple criant de vérité avec « Von Stro » en directeur de pénitencier, sur une île, affublé d’une épouse aigrie qui lui fait des scènes de ménage depuis 25 ans, inconsolable d’un amant enfui… Qui les rejoint sur l’île ! Jean Servais débarque.
Denise joue du piano, Stroheim danse, Denise emballe le clavier, frénétique, Stroheim claque des talons encore plus vite… Et s’effondre. Stroheim fait preuve d’une souplesse étonnante, il a déjà la soixantaine. Meurtre au piano, fallait y penser.
L’actrice italienne qui joue leur fille, Maria Denis, a le même âge que Vernac ! La classe 1916…
Keener, donc… Ultime tentative sur le Net. Et ça marche !
S’agissant de sa vraie vie Stroheim a toujours usé de fumigènes pour décourager l’historien et vendre ses salades. Retiré à Maurepas dans un « château », dans la solitude, on ignorait qu’y vivait aussi la sœur de Denise, Jacqueline.
Un jour un cinéaste-historien américain, Rick Schmidlin, s’avise de remonter « Les Rapaces », le film maudit de Stroheim. Il enquête. Retrouve un de ses fils, encore en vie. Pour pas longtemps. Il ne connaît pas grand-chose d’un père partit vivre en Europe, et qui avait eu un autre fils d’un premier mariage. Un fils mort qui a laissé une veuve. (On voit ce fils, Erich Jr, dans « Quinze Jours ailleurs » de Minnelli, il est le sosie de son père, un cancer le fauchera peu après).
La veuve de Junior mentionne à l’historien l’existence d’une « Jacqueline Keener », sœur de Denise Vernac. Nous sommes en 2000 et l’historien qui débarque à Maurepas tombe sur une accueillante octogénaire, totalement anglophone, qui lui explique tout.
Sœur de Denise, qu’elle a accompagnée en Amérique, et travaillant dans le domaine des parfums, elle y rencontra son mari producteur exécutif de Hollywood, Hamilton Keener, qu’elle ramena en France après-guerre, et où ils partagèrent le cottage de Maurepas avec l’illustre beau-frère putatif et sa concubine.
Le plus étonnant est qu’un stock de documents (Mille boîtes) est resté au château sans que personne ne s’y intéresse (Si ce n’est un amant de Denise, colonel américain, dans les années 60, qui commença à faire un feu dans la cour pour faire le ménage…).
Il semble que le Rick Schmidlin ait exfiltré ce qui restait vers une bibliothèque américaine. Stupéfiant que ce fond ait échappé à la sagacité des historiens français.
Un autre nom est depuis gravé sous celui de Hamilton Keener : « Jacqueline Keener, 1922-2005 »
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