AGEN (47) : cimetière Gaillard
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- Ici ont été déposés les ossements du cimetière de l’église Saint-Hilaire - 1862.
L’histoire du cimetière Gaillard d’Agen s’apparente à celle de tous les cimetières urbains de France : volonté, dès la fin du XVIIIe siècle, de remplacer les anciens cimetières paroissiaux [1] par un cimetière central, lenteur des prises de décision, fermeture progressive des cimetières de quartier, ouverture du nouveau cimetière, puis transfert des ossements des derniers paroissiaux en fonctionnement. Dans le cas d’Agen, il fallut attendre août 1850 pour l’ouverture officielle.
Comme ailleurs, mais sans doute particulièrement visible -et lisible dans la topographie- à Gaillard, l’aspect du cimetière fut conditionné par les agrandissements successifs, au nombre de quatre. On pénètre donc par la partie la plus ancienne, où figurent l’essentiel des tombeaux vénérables et la statuaire. Plus on va vers le fond (et le haut, car Gaillard est un cimetière qui monte progressivement : pour cette raison, il me fait un peu penser à celui du Pipet à Vienne), plus les tombeaux sont modestes. La partie la plus éloignée de l’entrée est aussi la plus récente. Des hauteurs, les vues sont belles sur la ville et la campagne environnante.
L’ensemble fait 13 hectares, et contient a priori 97 000 corps, soient trois fois la population agenaise !
- Belle rencontre de deux passionnés du funéraire.
Le cimetière Gaillard est sans aucun doute l’un des cimetières de France les mieux médiatisés grâce à l’action de son dynamique conservateur, Guy Soulhié, qui est un passionné du lieu et de son histoire. Ce dernier tient un blog épatant (vous pouvez y accéder ici) qui non seulement répertorie le patrimoine funéraire, propose un plan avec localisation des tombes remarquables, mais rend compte également de l’actualité du cimetière : nouvelles, commémorations et autres cérémonies... Heureux Agenais qui ne réalisent pas forcément la chance que cela représente pour la connaissance de leur histoire. Si tous les cimetières faisaient cela, je n’aurais plus qu’à m’inscrire au chômage ! Bon, j’ai encore de la marge...
Curiosités
Le monument élevé en souvenir du premier conservateur du musée, Stanislas Dombrowski, qui fut retrouvé mort 2-3 jours après son décès dans son bureau du Musée d’Agen. Il possède un médaillon en bronze par le sculpteur agenais Louis Estrigos.
Sur un des rond-points, le monument le plus haut du cimetière est celui du philanthrope Alphonse Ducourneau, véritable obélisque de 7 m de hauteur, surmonté de son buste. Son nom reste associé au théâtre de la ville que sa donation permit (il avait fait fortune en inventant un nouveau béton, le ciment amalga). L’ensemble est signé Louis Estrigos.
Une tombe plus que modeste du cimetière revêt pour moi une signification toute symbolique assez facile à comprendre : il s’agit de la tombe Aché-Bramdimbourg. Le 23 avril 1887 à Paris 16°, un certain Léon Aché prenait épouse : elle s’appelait Florentine Marguerite Landru, née à Noailles, dans l’Oise, en janvier 1854. Elle était issu d’un milieu modeste : son père, Alexandre Sylvain Landru, était chauffeur [2]tandis que sa mère, Flore Henriquel, était couturière. Florentine eut deux frères : un jeune Charles Henri, mort à quelques mois en 1867, et un certain Henri Désiré Landru , qu’il me semble inutile de présenter. Florentine vint vivre à Agen d’où était originaire son époux, au 43 avenue de Bordeaux. C’est chez-elle que mourut sa mère (et donc celle d’Henri Désiré) le 12 mars 1912 : elle fut inhumée au cimetière de Gaillard dans une première tombe. Léon Aché acheta une concession en février 1917 : en septembre de la même année, Flore Henriquel-Landru y fut transférée. Plusieurs membres de la famille Aché y furent inhumés, avant Florentine en 1930, puis Léon Aché en 1934, ce qui semble être la dernière inhumation. On cherchera en vain la tombe du père de Landru, qui se pendit dans le bois de Boulogne quelques temps avant l’affaire, et qui fut sans doute inhumé dans une concession très temporaire à Paris. J’ignore totalement la présence du nom Bramdimbourg sur la concession : ce patronyme ne semble même pas exister !
Le cimetière possède également une petite tombe à l’entrée : celle de Marguerite Combebias (+1867), qui fut la nourrice de Gambetta. On dit qu’un jour celui-ci fit arrêter un train officiel à Agen pour pouvoir la saluer.
Quelques belles tombes :
- La jeune communiante Germaine Ducassé, morte en 1938 à 10 ans, a été représentée en costume de communiante.
- Tombeau Lagarrigue.
- Un thème funéraire à la fois classique et rare : un exemplaire du Silence.
Un bel ossuaire communal, semblable à une chapelle.
Célébrités : les incontournables...
JASMIN, bien sur... Ce n’est pas tant que ce poète soit très connu, mais le simple fait qu’il ait donné son nom à une station de métro parisien le rend familier de milliers de gens (qui pensent peut-être que cette station honore une fleur !).
... mais aussi
Jacques ARRES-LAPOQUE (1917-1982), qui fut un éphémère député socialiste lors de la première Assemblée nationale Constituante (1945-1946). Ses cendres furent dispersées au Jardin du Souvenir du cimetière.
Jacques AUGARDE (1908-2006) : député MRP des citoyens français du Maroc (1945-1946), puis de Constantine (Algérie française) puis sénateur de ce département de 1951 à 1959, il fut sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, chargé des affaires musulmanes en 1947-1948. Maire de Bougie de 1947 à 1962, année de l’indépendance de l’Algérie, il fut actif dans les milieux des rapatriés. Son intérêt pour l’Afrique l’a amené à siéger à l’Académie des sciences d’outre-mer.
Le naturaliste Jean Florimond BOUDON de SAINT-AMANS (1748-1831), qui en toute logique fut transféré d’un cimetière plus ancien mais dont la tombe n’est plus guère vaillante. Il se consacra à la science, à l’archéologie et à l’histoire, et produisit de nombreux travaux estimés. Botaniste linnéen, il fut élu membre associé de l’Académie de Bordeaux.
Le dermatologue Louis BROCQ (1856-1928), membre de l’Académie de médecine, qui est considéré comme l’un des fondateurs de l’école moderne de dermatologie en France. En 1900, Louis Brocq fut le premier auteur de la Pratique dermatologique, première encyclopédie dermatologique de langue française. Il forma de nombreux élèves. Sa tombe, et c’est rien de le dire, a connu des jours meilleurs.
Jules CELS (1865-1938) : maire d’Agen de 1919 à 1922, député de 1910 à 1932, il participa également à différents portefeuilles ministériels entre 1917 et 1920 dans le gouvernement Georges Clemenceau : secrétaire d’État à la Marine, chargé de la Guerre jusqu’à la victoire de 1918 aux côtés de Georges Leygues, puis sous-secrétaire d’État aux Travaux et aux Transports.
Joseph CHAUMIÉ (1849-1919) : maire d’Agen en 1896, sénateur du Lot-et-Garonne de 1897 à 1919, il joua un rôle important dans la vie politique de la France, fondateur avec Pierre Waldeck-Rousseau de l’Alliance démocratique, qui s’orienta de plus en plus vers la gauche à la suite de l’Affaire Dreyfus. Il se vit attribuer par Émile Combes le ministère de l’instruction publique et des Beaux Arts de 1902 à 1905, puis devint ministre de la Justice jusqu’en 1906. Partisan de la séparation des Églises et de l’État, il mit un terme judiciaire à l’Affaire Dreyfus. Dans son caveau de famille repose également ses fils : Jacques CHAUMIÉ (1877-1920), qui fut député de Lot-et-Garonne de 1906 à 1910 et de 1914 à 1920, siégeant sur les bancs radicaux ; et Pierre CHAUMIÉ (1880-1966), qui fut sénateur du département en 1935. A ce titre, il fit partie des 80 parlementaires qui refusèrent les pleins-pouvoirs à Pétain. Entré dans la Résistance, il siégea de 1944 à 1945 à l’Assemblée consultative provisoire, puis au Conseil supérieur de la magistrature à partir de 1948. .
Le comte Jean-Baptiste Thomas de CHAUDORDY (1781-1849) fut député du Lot-et- Garonne de 1844 à 1848, siégeant dans la majorité soutenant la Monarchie de Juillet. Il fut sans doute ultérieurement à sa mort ramené dans ce caveau familial pour reposer avec son fils, le diplomate Jean-Baptiste DAMAZE de CHAUDORDY (1826-1899) qui fut notamment ambassadeur de France en Suisse, en Espagne et en Russie, et le représentant de la France à la conférence de Constantinople en 1876-1877. Il fut élu député du département en 1871, et siégea sur les bancs de l’Union des droites. Il a légué à sa ville natale sa collection espagnole, parmi laquelle cinq Goya, aujourd’hui exposée au Musée des beaux-arts d’Agen.
Le compositeur Jean DELETTRE (1902-1980), qui fut le compositeur attitré de Lucienne Boyer dans les années 30.
Le photographe Louis DUCOS du HAURON (1837-1920), qui fut avec Charles Cros [3]. l’un des inventeurs de la photographie en couleurs en 1869. Il déposa plusieurs brevets sur la reproduction des sons et des images, et reste surtout connu pour avoir inventé la trichromie (procédé de photographie et d’impression polychrome), pour la photographie en couleurs. Il est également l’inventeur des anaglyphes, ces images qui restituent l’impression de relief quand on les regarde au travers de lunettes verte-rouge.
- Un cliché historique
- Étonnant et émouvant : la première photo couleur, une vue d’Agen en 1877.
Gérard DUPRAT (1912-1980), qui fut l’un des responsables du mouvement de résistance Libération (réseau sud). Il fut député communiste du département de 1946 à 1951, puis de 1956 à 1958.
Le maire d’Agen Jean-Baptiste DURAND (1843-1902), qui fut également sénateur du Lot-et-Garonne de 1888 à 1897. Il siégea à gauche.
Le rugbyman Albert FERRASSE (1917-2011), champion de France 1945, qui fut le premier Français président de l’International Rugby Board (en 1979, et ce durant huit années). Il présida ensuite la F.I.R.A deux ans après, en 1989. Il avança l’idée d’une coupe du monde de rugby à XV dès la fin des années 1970, dont la première édition eut lieu en Nouvelle-Zélande en 1987.
Une des tombes énigmatiques du cimetière où repose une lignée d’inventeur : l’arrière grand père, Joseph LACROIX (1861-1949), photographe et ami de Louis Ducos du Hauron, créa le premier appareil photographique à plaques tombantes pour des prises de vues rapides et instantanées, le vélocigraphe (1889), mais également une voiture à trois roues (la nef Lacroix) qui fut commercialisée. Le grand père Léon LACROIX (1889-1970), peintre et ancien élève de Fernand Cormont, fut également photographe et aviateur. Francis Delvert, né en 1938, est toujours vivant.
Le général et baron d’Empire Jean-Baptiste MENNE (1774-1839), qui participa aux campagnes de la Révolution puis de l’Empire. Lors des cent-Jours, il fut nommé commandant militaire du département de la Manche par Napoléon.
Le parlementaire Raymond NOUBEL (1822-1898) : imprimeur et directeur de journal, il fut maire d’Agen et conseiller général. Il fut député bonapartiste de 1852 à 1870, soutien du régime impérial. Retiré de la vie politique en 1870, il fut encore sénateur de Lot-et-Garonne de 1876 à 1879, inscrit au groupe de l’Appel au peuple.
Le champion de lutte Paul PONS (1864-1915), qui fut champion du monde en 1898. Sa victoire lui permit d’ouvrir à Paris un gymnase où il prodiguait des cours. Il repose dans une chapelle en verre en très mauvais état.
L’humaniste Jules César SCALIGER (1484-1558). On peut bien se demander comment un homme du XVIe siècle se retrouve dans un cimetière ouvert en 1850 ! Jules Scaliger était un érudit d’origine italienne qui après avoir beaucoup voyagé rejoignit en France Antoine de La Rovère, évêque d’Agen, en 1525, et se fixa auprès de lui comme médecin. Figure du lettré dans de nombreux domaines, à l’image des savants de la Renaissance, c’est principalement comme grammairien qu’il mérita sa célébrité. C’est également lui qui édicta la règle des trois unités pour le théâtre. Il se lia d’amitié avec Nostradamus. Ses restes furent conservés au couvent des Augustins de la ville, avant qu’ils ne soient transférés dans ce cimetière en mai 1951. Son tombeau lui associe la mémoire de son fils, Joseph Juste Scaliger (1540-1609), qui fut également un grand érudit. Né à Agen, c’est à Leyde, aux Pays-Bas, qu’il mourut. Sur le tombeau se trouve un médaillon en bronze de Raymond Sudre.
[1] A Agen, les quatre principaux étaient Notre-Dame-du-Bourg, Saint-Hilaire, Saint-Caprais et Sainte-Foy.
[2] Ca ne s’invente pas !
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