COURTEUIL (60) : calvaire
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Le calvaire de Courteuil a une bien étrange histoire, qui explique qu’il fut l’un des premiers lieux de mémoire littéraire à être classés en France (en 1950).
Il se situe sur un carrefour à l’une des entrées du village, regardant sur les champs et la forêt d’Halatte au nord, et entouré de quatre tilleuls. Il ne possède aucune particularité architecturale, avec un simple croix en fer surmontant une colonne cannelée sortant d’un socle cubique. Selon la plaque commémorative qui y est apposée, c’est à cet endroit précis que l’abbé PRÉVOST (Antoine François Prévost, dit d’Exiles : 1697-1763) aurait été frappé d’apoplexie le 25 novembre 1763 ; selon d’autres versions, sa mort serait intervenu le 23, et la crise d’apoplexie se serait passée à Saint-Firmin (où il avait sa maison), voire près de l’abbaye de Royaumont.
Étrange personnage ! Après une enfance difficile, il tenta l’armée puis les mondanités de Londres et d’Amsterdam, deux villes dont il fut expulsé pour inconduite, puis prononça ses vœux en 1721, malgré une vocation religieuse très limitée. Devenu bénédictin, il tira distraction de l’écriture avant de se défroquer. Peu après la parution de son Histoire de Monsieur Cleveland et de son Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, il lança un périodique littéraire. Emprisonné pour dettes, il fut réduit à solliciter la grâce papale et à reprendre la soutane, sans cesser pour autant d’écrire et de fréquenter les philosophes. Ses ouvrages, aussi rocambolesques que son existence, ont suscité le scandale de par les portraits qu’il y trace, souvent ceux d’hommes que l’amour a menés à la déchéance. Ils ont aussi fondé une nouvelle sensibilité, axée sur le drame et le pathos.
Suivent des extraits d’un article de Henri de Noussanne paru dans la revue l’Illustration du 19 août 1922
« La tradition locale précise que l’Abbé Prévost revenait du prieuré de Saint Nicolas d’Acy. »Dom François Prévost, « en habit ecclésiastique », emmitouflé et coiffé du chapeau à trois cornes, a quitté le prieuré pour rentrer au logis de « vertueuses et discrète personne », dame Catherine de Genty. Il vit chez elle, en locataire exemplaire. Il a 70 ans... C’est Vers quatre heures de l’après-midi, avant les vêpres, que l’Abbé Prévost s’excuse apparemment de ne pouvoir entendre, ayant à travailler, il faut vivre, et le Prince de Conti le paie chichement, il s’en va (...) Il se presse, le vent est aigre et pince dur sur le plateau. L’Abbé frissonne. Un peu plus d’une lieue (de son époque) le sépare des livres, derniers amis de sa vieillesse (...) Mais voici déjà la croix de Courteuil. Elle marque à peu près la moitié du chemin... Soudain l’Abbé chancelle, il cherche où s’appuyer. Aucun secours, sauf là cette croix... C’est vers elle qu’il se traîne ; c’est à ses pieds qu’il s’abat et ne bouge plus.
- Extrait du Registre paroissial relatant la mort de
l’abbé Prévost le 25 novembre 1763
Avertis, les Bénédictins de St Nicolas réclamèrent le corps de leur frère en Saint Benoît, l’Abbé souhaitant sans doute par testament de dormir son dernier sommeil en leur église. Toujours est-il qu’on l’inhuma au prieuré de St Nicolas d’Acy, « A la demande des religieux de ladite abbaye ».
- L’emplacement de la croix indique la présence de la crypte (qui subsiste) où fut inhumé l’abbé Prévost.
- L’entrée actuelle du prieuré, à quelques encablures du calvaire.
- Le prieuré aujourd’hui
Son épitaphe en latin fut simple. Voici la traduction du texte (...) « Ici git Dom Antoine François Prévost, prêtre de l’ordre majeur de Saint Benoît, moine profès, connu par les très nombreux ouvrages qu’il publia. Il mourut le 25 novembre 1763. Qu’il repose en paix ! ».
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