LÉCLUSE (59) : vieux cimetière
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Durant sa jeunesse, Paul Verlaine retourna régulièrement passer les vacances à Fampoux chez son oncle Julien Dehée, le maire du village, où il pouvait rejoindre sa cousine Élisa Moncomble (1835-1867), sept ans plus âgée que lui. Cette dernière épousa en 1858 Auguste Dujardin, riche agriculteur de betteraves et "sucrier" à Lécluse près de Douai.
- Verlaine et sa cousine Elisa
C’est Élisa Moncomble-Dujardin qui le stimula à écrire, et qui finança la publication de son premier recueil, Poèmes saturniens. Elle mourut jeune d’une surdose de morphine. Verlaine l’a racontée dans Confessions : " Ma cousine Élisa souffrait depuis quelque temps des suites d’une couche difficile et son médecin la traitait par la morphine que l’on consommait en ces temps-là, non pas en injections sous-cutanées, mais par absorption. Ma cousine, qui éprouvait un grand soulagement après chaque cuillerée, finit par y prendre goût et outra l’ordonnance déjà peut-être téméraire du docteur de campagne qui la soignait, si bien qu’un jour, à table, au dessert, comme elle chantait avec sa jolie voix, pour son mari, tout à coup elle poussa un grand cri et tomba en une syncope effrayante".
Il raconte le choc juste avant l’enterrement où il se rend : "Dans quelle situation d’esprit, non ! de cœur bien plutôt, j’ accomplis cet affreux pèlerinage, je vous le donne à penser. J’arrivai enfin, trempé comme une soupe, de pluie, de sueur et de pleurs - car quelle anxiété : est-elle encore vivante ? Je l’aimais tant ! Et ce fut tout souillé de boue et fumant de pluie comme un chien mouillé et sous l’averse sans fin pour tout le jour que je suivis ma cousine, ma chère à jamais regrettée, bonne, bien-aimée Élisa".
Après l’enterrement, ce fut l’alcool : "Pendant les trois jours qui se succédèrent après l’enterrement de ma chère cousine, je ne me soutins qu’à force de boire de la bière et encore de la bière. Je tournai ivrogne, - si bien que rentré à Paris où la bière est affreuse, ce fut sur l’absinthe que je me rejetai, l’absinthe du soir et de la nuit". On date parfois son alcoolisme de cet épisode dramatique, mais Verlaine avait en réalité commencé à boire bien avant.
Dans les Poèmes saturniens le fantôme d’Élisa est omniprésent, Il éprouva le besoin comme Lamartine dans Le lac, de revenir sur les lieux fréquentés avec Élisa. Dans cet amour incestueux, impossible, jamais rien n’est dit clairement, mais tout est murmuré. Toute sa vie, Verlaine vit en Élisa l’archétype absolu de l’éternel féminin.
Contre l’église Saint-Vaast, le vieux cimetière entremêle vieilles tombes et buis invasifs. C’est là que se trouve la tombe d’Elisa Dujardin, dont l’identité sur la tombe familiale est devenue quasiment illisible.
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