Les cimetières californiens
par
Pour un Français habitué aux nécropoles telles que le Père-Lachaise, visiter un cimetière californien relève du plus pur exotisme, cela pour de multiples raisons :
en premier lieu, ces cimetières sont privés. La compétition est rude entre eux, et ils sont donc caractérisés par des politiques publicitaires très agressives. En outre, des produits dérivés sont en vente : outre des guides et des plans, des mugs, des souvenirs, plus ou moins en rapport avec les célébrités du lieu, sont en vente.
Dès l’accueil, on est dans un autre monde : les salles d’attente, généralement très vastes, d’une asepsie étonnante, proposent une multitude de brochures destinées à des enterrements plus faramineux les uns que les autres. On pense à tout : l’ordonnancement des fleurs, les pratiques de toutes les communautés (musulmans, noirs, homosexuels, Indiens - pardon : Native-Americans, Afro-Americans... -, asiatiques ...). Des magasins proposent leurs modèles non pas en vitrine, mais directement sur la pelouse. Dans ce domaine, l’originalité est beaucoup plus grande qu’en Europe, même si cette originalité n’est pas exempte, paradoxe, d’un grand conformisme.
Le plus souvent, des ordinateurs à disposition du public permettent de localiser avec précision la sépulture de celui ou celle que l’on cherche, le tout dans l’univers musical larmoyant d’un Addagio ! La mort y est mise en scène (les fans de Six feet under s’y retrouveront !).
Les corbillards sont facilement de veilles cadillacs ou pontiacs rutilantes.
La taille ensuite : les cimetières californiens ne sont pas à taille humaine. On s’y
déplace en voiture, car leur étendue fait davantage penser à une ville qu’à une nécropole (ou plutôt, le mot nécropole prend ici tout son sens : ville des morts !). Le Père-Lachaise est un cimetière de province par rapport à certains ! En outre, l’aspect de ces cimetières (des étendues herbeuses recouvertes de plaques) renforce ce gigantisme.
***
l’aspect : celui des cimetières américains est radicalement différent de ceux que l’on
trouve en Europe. Là où nous considérons la tombe comme une oeuvre et le cimetière comme un support, les Américains font l’inverse : le "lawn" se présente sous la forme de vastes pelouses d’une propreté immaculée, épousant le relief (souvent en forme de collines, les "hills"), sur lequel on a placé des sculptures comme autant d’œuvres d’art. Les plaques funéraires, toutes quasiment identiques, rappellent le sentiment d’égalité devant la mort qui trouve son origine dans les racines religieuses du pays. C’est une manière totalement différente de concevoir la mort. Dans chaque cimetière pourtant, on peut, ça et là, trouver des tombeaux qui rappellent davantage l’Europe : c’est le cas en particulier des sépultures de certaines communautés, comme les Italiens par exemple... Globalement, on ne trouve néanmoins pas en Californie de tombeau en mauvais état : les amateurs de pierres tombales brisées sous la mousse iront chercher leur bonheur ailleurs.
La faune est également étonnante : elle y est beaucoup plus variée que dans les cimetières européens. Outre les écueuils spermophiles (Tic et tac) qui y sont légions, il n’est pas rare d’y croiser des canards, des oies, des paons, des grues... En revanche, les chats y sont rares. La végétation, même quand elle paraît riche, est totalement encadrée par l’homme : rien ne pousse sans son consentement ! Un moment étonnant parmi d’autres : lorsque les systèmes d’arrosage, tous synchronisés, se mettent en route ! La propreté des lieux est telle qu’elle en devient presque gênante : on ose à peine s’aventurer sur les pelouses impeccables. Bref, un cadre naturel à l’américaine : luxuriant mais totalement domestiqué.
Dans cet univers standardisé, tout est pourtant fait de manière à considérer le défunt
comme quelqu’un d’unique. Ici, columbariums, cathédrale du silence, divisions... portent tous un nom qui les différencie de leurs voisins : Home of Peace, Crypt of Silence, Garden of Eternal Fame... Les cases des columbarium sont décorées de manière très individuelle : l’urne s’accompagne de photos, de jouets, de fruits, de paquets de cigarettes... Tout ce qui peut rappeler l’univers du défunt. Il n’y a guère qu’en Italie que l’on puisse trouver de telles pratiques. Dans certains cimetières
(Forest Lawn), on pousse même cette volonté d’individualisme (mais également de sécurité !) jusqu’à créer des cryptes qui ne sont accessibles qu’avec des "clés d’argent", sachant que pour les parties les plus privées, il faut des "clés d’or" !!! Bien entendu, tout cela n’aide pas les grave-hunters, l’équivalent américain de nos taphophiles français (qui sont beaucoup plus nombreux et beaucoup mieux organisés que nous).
les visiteurs justement : ils sont très différents. Les familles y sont globalement peu nombreuses, et beaucoup paient le cimetière pour qu’il entretienne les tombes. Les chercheurs de sépultures de célébrités sont diversement accueillis selon les cimetières. Pour ma part, j’ai pu les visiter sans trop de problèmes, et j’y ai même rencontré du personnel très aimable. Globalement pourtant, la discrétion est de mise : les photographies sont tolérées (encore que dans certains cimetières, comme le Glendale, elles soient -théoriquement- interdites). L’aide y est très limitée : certains cimetières n’offrent pas de plan (ils existent, réalisés par des "chasseurs de tombes", mais il faut venir avec car ils ne sont pas en vente dans le cimetière). En outre, la taille et l’uniformité du cimetière n’aident pas. Il faut vraiment s’armer de patiente pour débusquer ceux que l’on recherche. Le plus souvent, on est quasiment seul dans ces gigantesques étendues. Là encore c’est un paradoxe : on attribue des surfaces énormes, on paie des sommes considérables pour leur entretien, mais on visite peu. Le cimetière californien est une enclave, souvent à la périphérie des villes, où on ne se déplace pas à pied.
Commentaires