La main de Saint-Jean-Baptiste à Moscou
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De retour en Russie après 89 ans d’absence, le reliquaire contenant les os de la main de saint Jean-Baptiste - moins quelques doigts -, jadis propriété de la famille impériale, a connu un succès sans précédent à la cathédrale Saint-Sauveur de Moscou, où des centaines de milliers de personnes ont attendu six ou sept heures pour l’admirer, le temps de son exposition, du 7 au 15 juin. Arrivée par avion spécial, mercredi 7 juin, du monastère de Cetinje (Monténégro), la relique avait aussitôt été accueillie sur les marches de Saint-Sauveur par le patriarche Alexis II, qui avait enjoint les fidèles « à venir prier à côté d’elle ». Il a été entendu.
Les derniers jours, la foule était plus nombreuse que jamais aux abords de l’église, bouclée par un important cordon de police. En guise de récompense, les policiers qui assuraient le service d’ordre ont eu le droit à un accès « hors de la file d’attente », après leur travail.
On a eu beau ouvrir plus tôt, fermer plus tard, élargir les groupes et accélérer la cadence, tous les postulants n’ont pu avoir accès à la main vénérée. Malgré plusieurs tentatives, Galia et sa mère ne sont pas parvenues à accéder au reliquaire et à l’embrasser, comme le veut la coutume. Il y avait trop de monde, trop d’heures d’attente, trop de soleil, elles ont dû abandonner. Larissa, la mère, 73 ans, en a les larmes aux yeux. Sa fille la console en lui promettant de l’amener dans une des six villes de Russie - Saint-Pétersbourg, Nijni Novgorod, Saratov, Vladikavkaz, Rostov, Ekaterinbourg - où la relique doit séjourner avant de faire un détour par Minsk (Biélorussie) et Kiev (Ukraine). « Il y aura peut-être moins de monde là-bas », espère-t-elle.
En revanche, Svetlana, jeune fille résidente de Joukovka (banlieue de Moscou), a pu à deux reprises approcher « la main du saint homme, celle-là même qui s’est posée sur la tête de Jésus-Christ le jour de son baptême dans le Jourdain ». Par deux fois, elle a embrassé le reliquaire, ce qui a suffi à la plonger dans un état second. Jugeant le premier contact trop rapide - « ma tête tournait, j’étais trop bouleversée pour réaliser pleinement » -, elle a refait un second tour. « Je connais des personnes qui y sont retournées trois ou quatre fois », raconte-t-elle.
L’inconscient collectif russe attribue à la main miracles et protection. Donnée à la famille impériale à l’époque du tsar Paul Ier (1796-1801) alors que celui-ci présidait l’ordre des chevaliers de Malte, la relique aurait, dit-on, contribué à la déroute des armées napoléoniennes en 1812. Evacuée vers l’Europe centrale au moment de la révolution de 1917, elle a ensuite été remise à la dynastie serbe des Karadjordjevic. Perdue, puis retrouvée en 1993, elle se trouve désormais en permanence au monastère de Cetinje (Monténégro).
Son retour en Russie a été organisé par l’Association de l’apôtre saint André, fondation religieuse qui oeuvre pour le « renouveau culturel et spirituel » de la Russie. Organisatrice de diverses commémorations (l’Année Dostoïevski, l’anniversaire de la déroute des armées blanches), la fondation s’est spécialisée dans l’importation des reliques de saints. En 2005, elle a fait venir en Russie la dépouille d’Elisabeth Fiodorovna, belle-soeur du dernier tsar Nicolas II, convertie à l’orthodoxie, puis assassinée par les bolcheviks quelques jours après la famille impériale.
Créée en 1992, la fondation est patronnée par Vladimir Iakounine, 58 ans, un proche de Vladimir Poutine, donné comme l’un de ses possibles héritiers. L’homme, décrit par la presse locale comme un « tchékiste (issu du KGB, la police politique soviétique) orthodoxe », avait, à la fin des années 1990, monté avec M. Poutine, alors maire adjoint de Saint-Pétersbourg, une coopérative commerciale appelée Ozero. Il a, depuis, connu une ascension fulgurante, prenant, en juin 2005, la tête des Chemins de fer de la Fédération de Russie, entreprise connue pour être une importante source de financement des campagnes présidentielles, comme en 1996 et en 2000.
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