SEEL Pierre (1923-2005)

Cimetière de Bram (11)
jeudi 3 août 2017
par  Philippe Landru

En 1940, à dix-sept ans à peine, Pierre Seel se fait voler sa montre dans un parc de Mulhouse, connu comme lieu de rencontres d’homosexuels. Il va porter plainte au commissariat. À son insu, son nom a été inscrit dans le fichier des homosexuels du commissariat. Quelques mois après l’invasion allemande, il est convoqué à la Gestapo. Le 3 mai 1941, il est arrêté, interrogé, torturé et violé pendant deux semaines puis il est envoyé au camp de sûreté et de redressement de Schirmeck-Vorbruck, proche du Camp de concentration de Natzweiler-Struthof

En novembre 1941 il est libéré, mais à 18 ans, en mars 1942, comme tous les Alsaciens de son âge, il est incorporé de force dans l’armée allemande et doit aller se battre sur le front russe. À la Libération, si comme la plupart des déportés, il ne s’étend pas publiquement sur l’enfer qui fut aussi le lot de tant d’autres, il le peut d’autant moins que la révélation de la cause spécifique de cette déportation, son homosexualité, était à l’époque impensable, et l’aurait condamné à un rejet total, y compris de la part des déportés politiques et résistants.

Ce n’est qu’après avoir élevé ses trois enfants, pris sa retraite et, en 1978, s’être séparé d’avec son épouse qu’il s’estimera en mesure de témoigner publiquement.

En 1982, resté catholique de foi, il est révolté par des propos homophobes de l’évêque de Strasbourg, Mgr Léon-Arthur Elchinger. Il sort du silence, quarante ans après sa déportation et témoigne de ce qu’il a vécu dans une lettre ouverte. Il écrit un livre avec Jean Le Bitoux Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel. Grâce à lui et au soutien de quelques militants, la reconnaissance de la déportation homosexuelle se fait enfin, lentement et surtout très tardivement. Lionel Jospin, alors Premier ministre, l’évoque en 2001. Puis en avril 2005, le Président de la République Jacques Chirac en parle à l’occasion de la Journée nationale du souvenir de la déportation.À la suite de ses révélations, une partie de sa famille rompt avec lui. Dès 1995, Pierre Seel est invité à apporter son témoignage au public, dans plusieurs villes

En 2007, Toulouse baptisa une rue à son nom. L’année suivante, Mulhouse donna son accord de principe à l’apposition d’une plaque commémorative sur l’immeuble où se situait la maison de ses parents. Un an plus tard, face au refus émanant du nouveau propriétaire des lieux, la municipalité donna son aval à une solution englobant aussi d’autres déportés pour motif d’homosexualité. Ainsi, 65 ans après la fin du dernier conflit mondial, une plaque mémorielle a été apposée sur une façade du théâtre municipal.

Pierre Seel fut un symbole sur bien des points : minorité dans la minorité, son témoignage quasiment unique de la déportation homosexuelle démontra, par l’attitude de certains déportés, qu’une victime d’un système pouvait reproduire un rejet similaire vis-à-vis d’autres victimes de ce même système. Il appartint à une génération dans laquelle l’homosexualité ne fut jamais évidente, et son combat en fut d’autant plus remarquable. Il est d’ailleurs à noter que les raisons de sa déportation ne sont en aucune manière indiquées sur sa tombe (contrairement à la plaque toulousaine). Choix personnel ? De la famille ? Tout cela témoigne, soixante ans plus tard, de blessures toujours ouvertes.


Merci à Michel Schreiber pour les photos.


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