SEINE-PORT (77) : cimetière
par
Seine-Port fait partie de ces quelques cimetières de la banlieue privilégiée (Valmondois, Chatou, Barbizon, Ville-d’Avray, Meudon...) qui concentrent, dans un espace assez restreint, un très grand nombre de personnalités venues goûter dans ces communes à un luxe généralement peu ostentatoire, la discrétion et le calme étant le but recherché. Une particularité ici cependant : la sensation qu’un bon nombre de ces célébrités sont reliées entre-elles, comme nous le verrons, par de subtils liens généalogiques ; reproductions d’élites artistiques qui n’ont rien de très égalitaires.
Curiosités
Le centre du cimetière est occupé par un vieux calvaire et des tombes de prêtres.
En juin 1818 le général Henri Letellier se promène avec sa jeune épouse Adèle dans un tilbury attelé par un cheval fougueux. La voiture bascule dans le tournant appelé Tournebride à Croix-Fontaine. La jeune femme est blessée et meurt trois jours plus tard, tandis que son mari désespéré se donne la mort vingt jours plus tard. Une même tombe en marbre de Venise les réunit : c’est une belle stèle, subtile dans sa réalisation, avec un sabre gravé sur le bas du monument. L’épitaphe d’un autre âge célèbre leur amour et la tragédie qui les vit rejoindre le monument.
La tombe François-Poncet abrite la famille d’Albert, le frère du diplomate André François-Poncet. Y repose en particulier son fils, Michel (1935-2005), qui fut l’un des dirigeants de Paribas.
Célébrités : les incontournables...
Françoise et Maurice DORLÉAC.
René VIVIANI
... mais aussi
L’acteur et réalisateur Jean-François ADAM (1938-1980), ancien assistant de François Truffaut et de Jean-Pierre Melville. Il ne réalisa que trois films (M comme Mathieu, Le Jeu du solitaire, Retour à la bien-aimée) qui plurent aux critiques davantage qu’au grand public. Il vécut avec Brigitte Fossey : de cette union est née l’actrice Marie Adam. Il mit fin à ses jours et repose sous une dalle très simple.
Georges DESVALLIÈRES (1861-1950) : fils de Marie Legouvé, fille et petite- fille des académiciens Ernest et Gabriel-Marie Legouvé dont les tombeaux se trouvent également dans ce cimetière, il étudia à l’ Académie Julian avec Robert-Fleury et Jules Valadon à l’école des Beaux-Arts. Il exposa des portraits et reçut des récompenses mais une relation privilégiée avec Gustave Moreau l’orienta vers une inspiration mythologique et religieuse. Il approfondit sa connaissance des Anciens lors d’un voyage en Italie en 1890 et pratiqua alors un art qui annonça les œuvres de la maturité : noirceur des sujets, violence de la couleur, conception dramatique de la religion. Il exposa divers sujets symbolistes et compta parmi les fondateurs du Salon d’ Automne. En 1919, il fut le fondateur avec Maurice Denis des Ateliers d’Art Sacré, ayant pour but de rénover l’Art religieux ; des ateliers fonctionnant sur le modèle des corporations du Moyen Age et qui promettaient de restaurer l’art chrétien. Desvallières se consacra aux sujets religieux après la perte d’un fils sur le front, en 1915. Il s’attaque à divers programmes décoratifs publics ou privés et à des œuvres liées à la Grande guerre : vitraux de l’Ossuaire de Douaumont, église de Pawtucket aux Etats-Unis etc... Il était membre de l’Académie des Beaux-Arts.
Sur sa tombe figure, gravé, un Christ en croix. Près de cette tombe se trouve celle de son fils, Richard DESVALLIÈRES (1893-1962), qui fut peintre et ferronnier d’art. Comme son père, il travailla pour l’art sacré et plusieurs de ses réalisations sont à découvrir à Maisons-Alfort (ornements de l’église Sainte-Agnès), à Acy (Jubé), et dans d’autres édifices religieux de la région parisienne. Sa tombe, un rocher, est également ornée d’une gravure représentant une Résurrection.
Un peu plus loin repose Maurice DESVALLIÈRES (1857-1926), frère de Georges, auteur de théâtre qui collabora souvent avec Feydeau : leur plus grand succès fut l’Hôtel du libre échange, qui fut plus tard plusieurs fois adapté au cinéma. Avec lui repose son épouse, la comédienne Lucie BERNAGE (morte en 1919).
Gabriel Marie Jean-Baptiste (1764-1812) et Ernest (1807-1903) LEGOUVÉ semblent bien dans ce cimetière bien qu’ils possédent également une tombe au cimetière parisien de Montmartre. Il est à noter que Marie Legouvé (fils d’Ernest) et son époux Emile Desvallières, administrateur des Messageries maritimes, sont également inhumés dans ce tombeau : ils furent les parents de Georges et Maurice Desvallières.
Le peintre Georges NORMAND (1887-1912).
Emile PALADILHE (1844-1926) : compositeur français originaire de Montpellier, il apprit l’orgue et son talent précoce le mena à Paris à l’âge de neuf ans. Il y poursuivit ses études d’orgue, de piano et de composition au Conservatoire de Paris et se lia d’amitié avec Georges Bizet. Pianiste virtuose et compositeur talentueux, il devint en 1860 le plus jeune Premier Grand prix de Rome de toute l’histoire de ce prix (il était alors seulement âgé de 16 ans) ! Il composa pour la scène lyrique et connut de grands succès. Son plus grand succès lyrique fut son opéra Patrie, créé en 1886 à l’Opéra de Paris. On lui doit également trois messes et un oratorio, Les Saintes Maries de la Mer, des cantates et des motets, une symphonie, des pièces pour piano et une centaine de mélodies, dont certaines sont encore jouées aujourd’hui. Il épousa en 1889 Georgina Desvallières, petite fille de l’académicien Ernest Legouvé. Il fut élu membre de l’Académie des beaux-arts en 1892. Rien n’indique sa présence sur la chapelle, mais son identité est cependant portée à l’intérieur.
Le peintre Jacques VALLERY-RADOT (1910-2001), qui renoua ainsi avec le village de sa lointaine ancêtre Adèle Sauvan.
Pour finir
Il ne m’a pas semblé possible de terminer la conclusion de cet article sur le cimetière de Seine-Port sans revenir sur les liens généalogiques subtils, tels qu’on peut en trouver tant dans les familles de notables artistiques. J’ai réalisé un rapide arbre généalogique.
Il permet de prendre conscience des faits suivants :
Six tombeaux différents du cimetière lient des artistes membres d’une même famille. Le lien n’était pourtant pas évident : les Legouvé/Desvallières/Paladilhe sont liés aux Sue/Valllery-Radot par la présence d’une soeur utérine unissant les hommes de lettres Ernest Legouvé et Eugène Sue, sans que ceux-ci aient du sang commun. Flore Sue fut pourtant un lien assez fort pour donner du sens, cinq générations plus tard, à la présence de Jacques Vallery-Radot dans ce cimetière. Il est vrai que les liens ne furent jamais coupés entre ces familles, les propriétés passant des uns aux autres selon les générations.
Même s’ils ne sont pas liés à Seine-Port, on notera que cette « dynastie » d’artistes et d’hommes de lettres est également liée à Louis Pasteur, Eugène Sue et son père Joseph Sue, qui fut médecin de Joséphine de Beauharnais. Pour l’anecdote, on rappellera que Louis Pasteur est inhumé dans la crypte de son Institut à Paris, Joseph Sue à Bouqueval (95), Eugène à Annecy (74), René Vallery-Radot et Louis Pasteur-Vallery-Radot à Arbois (39) : tous ont leur fiche sur mon site.
On notera également la présence de quatre académiciens français dans cette lignée, schéma classique de la reproduction des élites dans les familles notables.
Si l’on ajoute Albert François-Poncet, frère d’André qui repose à Passy, et qui racheta la demeure... de Maurice Desvallières, on comprend mieux comment ces petites communes de la grande couronne parisienne peuvent détenir un si grand nombre de personnalités.
Commentaires