Les tombeaux du Père Noël

jeudi 24 décembre 2020
par  Philippe Landru

Au gré des traditions régionales et des vagues d’immigration, la figure du vieil homme distribuant des cadeaux aux enfants a évolué jusqu’à devenir notre Père Noël actuel. En France, ce dernier s’imposa dans les années 1950 malgré la défiance de l’église catholique.

Le Père Noël n’a pas toujours existé. Ou du moins, sous sa forme actuelle. Le vieil homme bien aimé des enfants a connu de nombreuses mutations en fonction des croyances régionales, avant de s’imposer dans le monde occidental au sortir de la seconde guerre mondiale. Son histoire est également intimement liée à celle de la célébration de Noël et de sa progressive sécularisation. Bien avant toute référence au christianisme, les Européens avaient pris l’habitude de fêter le passage du solstice d’hiver, et donc le retour annoncé du printemps, à la fin décembre. On décorait les habitations avec des feuillages et des branches de sapin, on organisait des festins, on s’échangeait des cadeaux. Ces célébrations païennes, ancrées dans la tradition depuis des siècles, ne furent pas du goût de l’église catholique qui souhaita les voir disparaître. En 354, le pape Libère fixa la date de la naissance de Jésus au 25 décembre. L’objectif était atteint : la fête du solstice d’hiver fut peu à peu oubliée au profit d’une célébration purement religieuse.

Demeure le personnage central à l’origine du Père Noël : Saint-Nicolas. L’occasion d’évoquer là des tribulations funéraires peu communes !

Saint Nicolas

Saint Nicolas, également connu sous le nom de Saint Nicolas de Myre ou de Saint Nicolas de Bari, serait né à Patara, en Lycie, en 270, et mort en 345. Il est saint patron des Lorrains, des Russes, des Fribourgeois, des Ovillois, des écoliers, des étudiants, des enseignants, des marins, des hommes et femmes souffrant de stérilité, des célibataires, des vitriers, des bouchers, des voyageurs. Sa commémoration chrétienne le 6 décembre (qui tombe actuellement le 19 décembre dans les pays qui utilisent le comput julien pour les fêtes religieuses) est une fête très populaire dans bien des pays du monde.

Nicolas fut évêque de la ville de Myre (ou Myra), toujours en Lycie dont elle fut la capitale, située dans l’Anatolie du sud-ouest. Selon la tradition, il était présent au Ier concile de Nicée en 325. A cette occasion, on prétend que se trouvant en désaccord avec un de ses confrères, il lui asséna un coup de poing en plein visage.

Sa vie est remplie d’anecdotes souvent représentées dans l’iconographie religieuse : ainsi, apprenant qu’un père n’a pas de quoi fournir une dot de mariage à ses trois jeunes filles et qu’il n’a d’autre moyen de survivre que de les livrer à la prostitution, Nicolas jette des bourses pleines d’argent dans leurs bas qu’elles avaient mis à sécher sur la cheminée. Grâce à lui, le père peut assurer le mariage de ses trois filles.

Bien que destinée aux enfants et à l’instar de tant de contes et de comptines, la plus connue des légendes de Saint-Nicolas est plutôt effrayante : « Ils étaient trois petits enfants qui, s’en allaient glaner aux champs », comme dit la chanson... Perdus, ils demandèrent l’hospitalité chez un boucher qui ne trouva rien de mieux que de les tuer, les découper et les mettre au saloir. Saint-Nicolas vint à passer sept ans plus tard et demanda à son tour l’hospitalité. Il insista pour manger le petit salé préparé sept ans plus tôt. Le boucher s’enfuit et Saint-Nicolas ressuscita les trois enfants.

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Mille manières, à différentes époques, de représenter la même légende.

C’est donc une légende heureuse, mais néanmoins assez effrayante. Selon certaines traditions, le père Fouettard qui accompagne Saint-Nicolas serait en fait le boucher de l’histoire. Pour lui faire regretter son méfait, ce dernier l’aurait condamné à l’accompagner lors de sa distribution de récompenses, en lui assignant la tâche de punir les enfants désobéissants.

Selon certains, le père Fouettard est une invention des Messins lors du siège de leur ville par les Impériaux, en pleine période de festivité de la Saint-Nicolas en 1552 après la mise en place du protectorat Français. De là leur serait venue l’idée de se moquer de l’assiégeant, Charles Quint, en le représentant sous les traits du boucher de la légende de Saint-Nicolas.

Ses ossements furent conservés dans l’église Saint-Nicolas de Myre (Demre en turc) jusqu’au 1087. Selon la légende, ils avaient la particularité de suinter une huile parfumée et ce baume était connu dans toute l’Europe du Moyen Âge. La bataille de Manzikert qui vit la défaite de l’armée byzantine en 1071 décida plusieurs villes italiennes marchandes, dont Nicolas était le saint Patron, à récupérer les reliques. Le moine bénédictin Nicéphore et l’archidiacre Jean de Bari qui relatent cette translatio justifièrent le vol dont le but est d’assurer la sécurité des reliques et d’accroître leur vénération en les rapprochant de Rome. Soixante-deux marins venus de Bari, gagnant de vitesse les navires vénitiens, volèrent et ramenèrent ses reliques (certains auteurs prétendent qu’ils se sont trompés de reliques) le 9 mai 1087 en terre chrétienne à Bari. Une basilique lui fut spécialement construite entre 1089 et 1197.

Le premier tombeau : l’église Saint Nicolas de Myre / Noel baba kilisesi de Demre

L’église Saint-Nicolas est un édifice byzantin, orné de fresques et partiellement restauré [1]. Elle se trouve près du centre de la ville et reçoit la visite de nombreux touristes et pèlerins, russes en particulier.

La première église Saint-Nicolas de Myre remonte au VIe siècle. L’édifice actuel fut construit essentiellement au VIIIe siècle. Un monastère vint s’ajouter au milieu du XIe siècle. En 1863, le tsar Alexandre II de Russie acheta le bâtiment et entama une restauration. En 1963, on dégagea les ailes Est et Sud. En 1968, la tombe de saint Nicolas fut couverte d’une toiture. Le sol de l’église est réalisé enune mosaïque de marbre coloré, et des fresques subsistent sur les murs, parmi lesquelles de magnifiques scènes de conciles, mais également tout un cycle de la vie de Saint Nicolas dans la chambre funéraire. Un ancien sarcophage grec a été réutilisé pour recevoir les reliques du saint, qui reposent aujourd’hui dans la basilique de Bari.

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Les restes du tombeau de Saint Nicolas.
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Le Père Noël...
Entre christianisme, patrimoine, Islam et laïcité, la Turquie n’ignore pas ce qui est l’une des mannes économiques de la ville. En outre, Noël Baba est un personnage populaire auprès des enfants de la région.

Le second tombeau : la basilique San Nicola de Bari

La basilique a été construite entre 1087 et 1197, pendant la domination italo-normande des Pouilles. Sa fondation est directement liée au vol des reliques de Saint Nicolas. Une nouvelle église a été construite pour les abriter, honorée de la présence du pape Urbain II lors la consécration de la crypte en 1089.

L’église a un aspect plutôt carré, apparemment plus adaptée à un château qu’à une église. Cette impression est renforcée par la présence de deux tours massives à faible encadrement dans la façade. Elle a donc été utilisée à plusieurs reprises comme un château au cours de son histoire.

Le tombeau se trouve dans la crypte, ornée de nombreuses icônes. Il ressemble à un autel, les reliques reposant dans la partie inférieure.

Dans cette même crypte est vénérée une « colonne miraculeuse » attaché à une légende d’un voyage de Saint Nicolas à Rome.

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La « colonne miraculeuse ».

Relique de relique ! Sont également conservés pieusement des morceaux de bois appartenant au coffre dans lequel furent rapportés les restes du saint.

Du devenir de quelques reliques...

Le chevalier Aubert de Varangéville y vola une phalange en 1098 et la rapporta à Saint-Nicolas-de-Port où elle devint un objet de pèlerinage majeur avec la traditionnelle procession.

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Bras reliquaire en or qui abrite une relique de Saint-Nicolas, sa phalange « dextre bénissante ».
Relique de Saint Nicolas du Port

Quelques fragments de la relique furent également cédés à la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg durant la Renaissance. En effet, vers 1420, l’abbé Pierre d’Affry obtient l’autorisation d’emporter quelques fragments du saint à l’abbaye cistercienne de Hauterive. L’église de Fribourg pour obtenir le transfert de ces précieuses reliques dut demander l’aide de l’avoyer et du Conseil de la ville. Ils eurent recours à l’autorité du pape Jules II. Une bulle pontificale du 2 juillet 1505 accordait ces reliques à Fribourg. Le transfert se fit le 9 mai 1506.

L’église Notre-Dame à la Croix de Croix-lez-Rouveroy (en Belgique) possède également une relique attestée par un document officiel reposant dans les archives de la fabrique d’église, ainsi qu’une statue en bois polychrome.


Photos :
- Voyage à Patara : de nombreuses fois depuis 1999
- Voyage à Demre / Myra : novembre 2012
- Voyage à Bari : mai 2014


[1Elle connut plusieurs tremblements de terre.


Commentaires

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Les tombeaux du Père Noël
mercredi 24 décembre 2014 à 11h27 - par  MARRY Ghislain - EVIGNY (Ardennes)

@Philippe :
Votre article, très bien documenté et richement illustré, concerne plus le père Saint-Nicolas que le Père NOËL, malgré son titre !:-))

Bon réveillon !

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mercredi 24 décembre 2014 à 17h06 - par  MARRY Ghislain - EVIGNY (Ardennes)

ERRATUM : Il faut lire : « Le pape Libère » et non « Tibère » !

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mercredi 24 décembre 2014 à 17h03 - par  MARRY Ghislain - EVIGNY (Ardennes)

Le « Père Noël » est une invention laïque, destinée à contrecarrer le thaumaturge chrétien Saint-Nicolas, faiseur de miracles et ami des enfants. Même s’ il s’en inspire, ce n’est pas dans le même esprit , désolé !
Je rappelle qu’en 1950 ou 51, l’évêque de Dijon a fait brûler en public, sur le parvis de la cathédrale, le sympathique bonhomme à la barbe blanche et à la houppelande rouge !

AU fait, savez-vous que le mot « Noël » est constitué de deux mots celtes : « noio » = nouveau et « Hel » = Soleil ). « NOËL » signifie effectivement « Soleil nouveau », ce qui correspond à la victoire de la lumière solaire sur les forces obscures nocturnes, et ce moment de l’année était déjà célébré, aux temps païens par les Celtes notamment, donc bien avant J.C !

Pour conclure - vous l’écrivez dans votre article - c’est le pape Tibère, qui a fixé arbitrairement au 4ème siècle, la naissance du « Sauveur »au 25 décembre, afin justement de supplanter définitivement ces fêtes païennes liées au culte solaire qui faisaient tache et de l’ombre au christianisme !

Voilà, vous savez tout ! Mais vous n’êtes pas obligés de me croire !
BON NOËL et bon réveillon !

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mercredi 24 décembre 2014 à 12h51 - par  Philippe Landru

@Ghislain Marry : c’est tout à fait vrai, mais Saint-Nicolas est bien le personnage principal de l’invention du Père Noël. En outre, la fiche de la catégorie « personnage » renvoie bien à Saint Nicolas.

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