l’Affaire Papin
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Cela fait près de sept ans que Christine et Léa Papin travaillent au service de la famille Lancelin comme employées de maison. Le 2 février 1933, une altercation éclate au petit matin entre la maîtresse de maison et Christine, l’aînée des deux sœurs. En cause, la panne d’un fer à repasser électrique. La dispute se tasse, jusqu’au retour de Mme Lancelin et de sa fille Geneviève. Les plombs viennent de sauter, la querelle redémarre entre la bonne et sa patronne.
« Elle eut l’air de vouloir se jeter sur moi, a dit Christine Papin, alors j’ai pris les devants et j’ai tapé dur. Lorsque je suis remontée avec le marteau, elles étaient encore étendues sur le parquet". Et Christine Papin a ajouté : "Je leur ai arraché les yeux". En effet, on a trouvé un œil sur une des marches de l’escalier », relate L’Echo de Paris dès le lendemain du crime. Les deux victimes sont retrouvées mortes, lacérées de coups de couteau et de marteau. Les journaux s’attardent sur cette « boucherie atroce » lors du procès des deux sœurs. « Elle avait frappé si fort que le crâne avait éclaté, et le pichet aussi. On en a retrouvé un morceau dans le cuir chevelu. On a retrouvé aussi une dent (…) Mme Lancelin à terre semblait reprendre ses sens et chercher à se relever. ’Arrache lui les yeux ! dit alors Christine à Léa », peut-on lire dans le compte rendu du Petit Journal publié le 30 septembre 1933. On peut noter que les sœurs Papin ont traité leurs victimes comme il était recommandé de le faire dans les manuels de cuisine de 1900 pour préparer des lapins, en les assommant, les saignant, les dépouillant, leur enlevant les yeux, et pratiquant des « ciselures » sur les grosses pièces, avant de tout nettoyer quand tout est terminé. Christine et Léa, dans leur passage à l’acte, ont préparé les deux cadavres comme des plats « prêts à cuire », laissant transparaître leur savoir-faire de cuisinières.
- Sépulture de Geneviève et Léonie Lancelin
- Cimetière de l’Ouest du Mans (72)
Le procès
« Les sœurs Papin sont une énigme proposée aux jurés », titre au lendemain du verdict du procès, Le Petit Journal. Une énigme qui n’a cessé d’inspirer artistes et psychanalystes à l’image de Jacques Lacan. Au moment des faits, les journaux décortiquèrent méthodiquement le passé et le parcours de Christine et Léa, la cadette. « Filles de cultivateurs divorcés, Christine et Léa Papin, dont la sœur aînée est religieuse, ont été elles-mêmes élevées au couvent du Bon Pasteur et Christine
- Tombeau de Germaine Brière - cimetière de l’Ouest du Mans (72)
- Première avocate au barreau du Mans, travaillant le plus souvent en tant qu’avocate commis d’office, elle défendit les sœurs Papin, puis plus tard Christine Papin.
pour sa part, quand elle en sortit, fut sur le point de prendre le voile. Entrées en service l’une et l’autre, elles ont eu d’abord pendant trois ans, une dizaine de patrons successifs », écrivait Le Matin. Malgré la demande de la défense par la voix de leur avocate, Maître Germaine Briere, les experts ne tinrent pas compte des antécédents familiaux des deux sœurs (père alcoolique, violences conjugales, inceste sur la sœur aînée, un cousin aliéné, un oncle pendu, basculement possible des deux sœurs dans une relation incestueuse bien que leur comportement marque plus une intimité fusionnelle). Ainsi, au moment de l’instruction, les experts ne reconnurent aucune altération du discernement. Les deux sœurs furent renvoyées aux Assises du Mans.
L’affaire alimenta également longtemps le débat politique : il s’agissait de bonnes qui avaient tué des bourgeoises ! Les communistes à l’époque s’emparèrent de ce fait divers pour en faire un crime de classe.
Sept mois à peine s’écoulèrent entre la date du crime et l’ouverture du procès devant la cour d’Assises. Il ne dura qu’une seule journée et les délibérations du jury à peine quarante minutes. Fait rarissime pour un double homicide commis par deux accusées. Dans L’Œuvre, un chroniqueur dénonça le déroulé du procès avec cette formule : « On ne devrait pas rendre la justice dans la fièvre des après-dîners et des digestions difficiles ».Un procès conclu à la hâte qui attira dans la région un public très important, poussant le maire du Mans à réglementer l’accès au palais de justice.
Le verdict fut annoncé tard dans la nuit du 30 septembre, aux alentours d’une heure du matin. Christine Papin, l’aînée, était condamnée à mort. Sa sœur cadette, Léa, « discrète », « dans l’ombre », écopait d’une peine de dix ans de travaux forcés. Christine échappa finalement à la guillotine, le président de la République Albert Lebrun commua sa peine en travaux forcés.
epilogue
Christine Papin fut alors transférée à la prison centrale de Rennes où elle sombra dans un état dépressif avec refus systématique de toute alimentation. Elle fut hospitalisée en 1934 à l’asile public d’aliénés Saint-Méen de Rennes où elle sombra dans la schizophrénie, le plus souvent prostrée, immobile, muette. Souffrant de malnutrition, elle y mourut en 1937, de cachexie vésanique, à l’âge de 32 ans. Elle fut inhumée au cimetière de l’Ouest de Rennes où sa tombe fut relevée depuis longtemps. Ses restes se trouvent désormais dans l’ossuaire du cimetière.
Léa Papin quant à elle retrouva sa mère à sa libération en 1943. Elle travailla des dizaines d’années comme femme de chambre dans divers hôtels du Grand Ouest. À sa vieillesse, elle fut recueillie à Nantes par un couple qui la fit passer pour une troisième grand-mère à leurs enfants. Elle mourut en 2001 à l’âge de 89 ans, sans s’être jamais mariée ni avoir eu d’enfant, et fut enterrée au cimetière La Bouteillerie à Nantes avec sa mère, décédée en 1957. Seule le nom de cette dernière apparaît sur la petite plaque, la présence de Léa Papin restant anonyme.
- Toutes les sources sur l’affaire indiquent que sa mère s’appelait Clémence ! En fait, elle s’appelait Mélanie Clémence, et il semble que c’est par son second prénom qu’elle se faisait appeler.
Une source d’inspiration
Ce fait divers est entré dans la mythologie contemporaine. Les surréalistes furent fascinés par ce double meurtre, tels Paul Éluard et Benjamin Péret qui saluèrent la dimension onirique de la scène meurtrière. Le jeune Jacques Lacan développa le thème de la psychose paranoïaque dans Motifs du crime paranoïaque : le double crime des sœurs Papin. Réfutant la conclusion de l’expertise psychiatrique judiciaire, il vit dans l’origine de la paranoïa de Christine et Léa, leur homosexualité ou leur relation incestueuse et critiqua la décision de la cour de juger les sœurs responsables de leurs actes. Simone de Beauvoir considéra que les sœurs étaient unies par un amour érotique et qu’elles avaient été les victimes d’une société archaïque, « broyeuse d’orphelins, machine à fabriquer des assassins ». Jean-Paul Sartre en fit deux héroïnes qui s’attaquèrent à la bourgeoisie par vengeance consciente contre un système gorgé de partis pris et d’injustice.
L’affaire a inspiré par la suite de nombreux auteurs. Jean Genet a monté en 1947 une pièce de théâtre intitulée Les Bonnes (il a toujours nié s’en être inspiré), qui fut adaptée au cinéma quelques années plus tard par Nikos Papatakis sous le titre Les Abysses (1963). Claude Chabrol a repris la trame dramatique du destin des sœurs Papin et l’adapta pour son film La Cérémonie en 1995, avec Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire, un an après que Nancy Meckler eut réalisé au Royaume-Uni Sister My Sister sur le même thème. Jean-Pierre Denis reprit enfin ce fait divers dans son film Les Blessures assassines (2000).
20minutes.fr et Wikipedia
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