Les martyrs de Vingré
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Les faits
Vingré, au Nord-Est de Soissons, dans le département de l’Aisne. 27 novembre 1914, vers 17 heures. Les soldats du 298ème Régiment d’Infanterie prennent alors leur repas dans une tranchée, en première ligne. Après une violente préparation d’artillerie, ils sont surpris par une attaque allemande. Le sous-lieutenant Paulaud, l’officier qui commande les deux escouades occupant ce secteur du front, donne alors l’ordre de repli. Plus tard, la position est reprise, mais, dans la confusion de la mêlée, des soldats français parviennent à fausser compagnie à l’ennemi, tandis que d’autres demeurent prisonniers.
Ces vingt-quatre hommes de troupe sont bientôt prévenus d’« abandon de poste en présence de l’ennemi » et donc passibles du Conseil de guerre. Lors de l’enquête préliminaire, l’officier charge ses hommes et nie avoir donné l’ordre qui s’imposait à lui. Le 3 décembre, l’institution militaire, à l’issue d’un tirage au sort, désigne six d’entre eux : le caporal Floch et les soldats Durantet, Blanchard, Gay, Pettelet et Quinault. Ceux-ci sont fusillés « pour l’exemple », le 4 décembre 1914, pour « aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance » suivant les directives données à ce conseil par le général Étienne de Villaret.
Voici ce que le soldat Jean Quinault écrivit à sa femme la veille de son exécution :
« Je t’écris mes dernières nouvelles. C’est fini pour moi. J’ai pas le courage. Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés 24 au conseil de guerre. Nous sommes 6 condamnés à mort. Moi, je suis dans les 6 et je ne suis pas plus coupable que les camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres. Dernier adieu, chère petite femme. C’est fini pour moi. Dernière lettre de moi, décédé pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les officiers ont tous les torts et c’est nous qui sommes condamnés à payer pour eux. Jamais j’aurais cru finir mes jours à Vingré et surtout d’être fusillés pour si peu de chose et n’être pas coupable. Ça ne s’est jamais vu, une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré ... ».
Idem pour Jean Blanchard à son épouse :
"3 décembre 1914, 11 heures 30 du soir
Ma chère Bien-aimée, c’est dans une grande détresse que je me mets à t’écrire et si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent en aide c’est pour la dernière fois, ....
Je vais tâcher en quelques mots de te dire ma situation mais je ne sais si je pourrai, je ne m’en sens guère le courage. Le 27 novembre, à la nuit, étant dans une tranchée face à l’ennemi, les Allemands nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous, dans notre tranchée, nous nous sommes retirés dans une tranchée arrière, et nous sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt, résultat : une dizaine de prisonniers à la compagnie dont un à mon escouade, pour cette faute nous avons passé aujourd’hui soir l’escouade (vingt-quatre hommes) au conseil de guerre et hélas ! nous sommes six pour payer pour tous, je ne puis t’en expliquer davantage ma chère amie, je souffre trop, l’ami Darlet pourra mieux t’expliquer, j’ai la conscience tranquille et me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui le veut ainsi ; c’est ce qui me donne la force de pouvoir t’écrire ces mots, ma chère bien-aimée, qui m’as rendu si heureux le temps que j’ai passé près de toi, et dont j’avais tant d’espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a fait déposer sur ce qui s’était passé, et quand j’ai vu l’accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j’ai pleuré une partie de la journée et n’ai pas eu la force de t’écrire...
Oh ! bénis soient mes parents qui m’ont appris à la connaître ! Mes pauvres parents, ma pauvre mère, mon pauvre père, que vont-ils devenir quand ils vont apprendre ce que je suis devenu ? Ô ma bien-aimée, ma chère Michelle, prends-en bien soin de mes pauvres parents tant qu’ils seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur, je te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n’ai pas mérité cette punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l’autre monde, assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t’en récompenseras, demande pardon pour moi à tes bons parents de la peine qu’ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je les aimais beaucoup et qu’ils ne m’oublient pas dans leurs prières, que j’étais heureux d’être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en avoir soin sur leurs vieux jours mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne. Au revoir là-haut, ma chère épouse.
Jean"
L’exécution des six condamnés à mort eut lieu à 7h30, à 200m à l’ouest du calvaire de Vingré, situé à l’embranchement des deux chemins allant à Nouvion. Assistent à la parade plusieurs compagnies. Les condamnés qui passèrent la nuit dans la prison du poste de police furent amenés par un piquet de 50 hommes et fusillés. Après l’exécution qui se passa sans incident, les troupes défilèrent devant les cadavres et rentrèrent dans leurs cantonnements.
La réhabilitation
En février 1919 furent menées les premières démarches pour leur réhabilitation. La révision du procès, en janvier 1921, cassa le jugement de 1914. À la suite de ce jugement, le lieutenant Paulaud fut inculpé pour faux témoignage par le ministère de la Guerre et jugé en octobre 1921 devant le conseil de guerre : il fut finalement acquitté au grand mécontentement des anciens combattants. Selon l’historien Nicolas Offenstadt c’est le seul officier qui passa en jugement pour son rôle dans une exécution.
En juillet 1929, Emile Floch, frère du caporal Floch, porta plainte pour forfaiture contre les officiers jugés responsables de la condamnation de 1914 : le général Étienne de Villaret, le colonel Pinoteau et le commandant Guignot. Cette plainte fut classée sans suite !
Les lieux de mémoire
Édifié sur le lieu de l’exécution, le monument de Vingré, fut inauguré le 5 avril 1925, en présence de nombreux anciens combattants du 298e RI. Il avait été financé par souscription à la suite d’une campagne de presse orchestrée par la Ligue des Droits de l’Homme et avec l’aide des départements de la Loire et de l’Allier. Rendant hommage à la mémoire des six martyrs, il est inscrit sur le monument : « Dans ce champ sont tombés glorieusement le caporal Floch, les soldats Blanchard, Durantet, Gay, Pettelet et Quinault du 298e R.I., fusillés le 4 décembre 1914, réhabilités solennellement par la Cour de Cassation le 29 janvier 1921. - Hommage des anciens combattants du 298e R.I. à la mémoire de leurs camarades morts innocents victimes de l’exemple ».
Une rue des Martyrs-de-Vingré existe à Saint-Étienne.
Le 4 décembre 2004, pour le 90e anniversaire de l’exécution, une plaque a été apposée sur le monument par le Président du Conseil Général de l’Aisne portant les noms des six fusillés et les faisant “citoyens d’honneur du département de l’Aisne”.
Dans la petite commune d’Ambierle où ont été réinhumés Jean Blanchard et Francisque Durantet, une stèle (don de l’association laïque des Amis des Monuments Pacifistes de Saint-Martin-d’Estreaux et de la Loire, avec le soutien du Conseil Général de la Loire) rend également hommage aux six fusillés de Vingré.
Les corps
Jean QUINAULT (1886-1914) vivait à Huriel et fut finalement transféré au cimetière de Vallon-en-Sully (03). Il est le seul à posséder sur sa tombe la mention « martyr de Vingré ». Son nom figure sur le monument aux morts de Vallon-en Sully (où il est orthographié Jean Quinaud) et sur celui d’Huriel. Il est intéressant de noter qu’à Huriel, son nom fut ajouté à la fin de la liste (car postérieurement) et qu’il échappe donc à l’ordre alphabétique.
- Tombe de Jean Quinault
- Monument aux morts de Vallon
Jean BLANCHARD (1879-1914) et Francisque DURANTET (1878-1914) furent transférés dans le cimetière de leur village d’Ambierle (42).
- Tombe de Jean Blanchard
J’ignore où reposent les trois autres fusillés.
Sources : Wikipedia et http://crdp.ac-amiens.fr/idp/
Merci à Bruno Pignon pour les photos Quinault.
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