Genève - cimetière de Plainpalais - Il faut enterrer le soldat Real !
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Les cimetières ne sont protégés ni de la stupidité politique, ni du conformisme bourgeois, sur fond d’austérité calviniste. Démonstration à l’appui avec le cas de Grisélidis Real.
Grisélidis Réal repose en paix au cimetière des Rois
Le Matin, 9 mars 2009
« Ecrivain, peintre, prostituée ». La plaque commémorative en acier sera bientôt fixée sur la tombe de Grisélidis Réal, dont l’ensevelissement au panthéon genevois (le cimetière des Rois, à Plainpalais) a eu lieu hier après-midi. Née à Lausanne en 1929, décédée en 2005 d’un cancer, Grisélidis Réal repose juste derrière les tombes de Jorge Luis Borges et de François Simon. Et à quinze mètres de celle de Jean Calvin !
C’est sur décision du Conseil administratif de la Ville que la dépouille de l’égérie de la prostitution a été transférée du cimetière du Petit-Saconnex à Plainpalais. « Elle avait souhaité être enterrée ici », a relevé Patrice Mugny au cours d’une cérémonie qui a réuni plus de 200 personnes.
Le conseiller administratif ne s’attendait pas à ce que la décision du gouvernement suscite une telle polémique à Genève. « Il ne s’agit pas de faire l’apologie de la prostitution mais de rendre hommage à une personne qui a lutté toute sa vie pour la dignité des personnes qui se prostituent. »
Féministe de la première heure, Amelia Christinat avait appelé - au nom de la dignité des femmes - à une manifestation de protestation contre le transfert. Sans grand succès : « Je me suis sentie bien seule », a-t-elle reconnu à la sortie du cimetière.
Trop osée, la stèle de Grisélidis Réal est refusée
Tribune de Genève, 19 janvier 2011
Le Conseil administratif refuse la stèle destinée à la tombe de Grisélidis Réal. Selon l’Exécutif de Genève, la réalisation pourrait choquer le public. Réactions.
L’oeuvre de Jo Fontaine n’égayera pas le cimetière des Rois. Jugée choquante, la stèle destinée à compléter la sépulture de Grisélidis Réal a été balayée par la majorité du Conseil administratif de la Ville de Genève. "Une décision regrettable" pour le département de la culture, précisant que la réalisation de la stèle était conforme aux voeux de la défunte et de ses descendants. Le département de Patrice Mugny perçoit la décision de la Ville comme "une atteinte à la liberté artistique". Et rappelle le combat mené pour transférer les cendres de la célèbre prostituée au cimetière des Rois en 2009. L’initiative avait été refusée une première fois par l’Exécutif précédant, puis approuvé par l’actuel Conseil administratif, non sans avoir suscité une certaine polémique.
L’artiste, joint ce matin, se déclare "surpris" d’apprendre le refus de son œuvre, même s’il peut le comprendre. "La stèle a un côté érotique et c’est peut-être décalé pour un cimetière" perçoit Jo Fontaine, conscient de la sensibilité du dossier. « J’ai contacté le département de Manuel Tornare il y a une semaine. On m’a annoncé que le Conseiller administratif ne voulait pas prendre seul cette décision et qu’elle ferait l’objet d’un vote à l’Exécutif ». Le CA a tranché, l’œuvre refusée. Principal objet du litige, le sexe féminin. "Dans un cimetière où Calvin est enterré, il faut arrêter de charrier", déclare un édile.
féminité et générosité
Dans un contexte délicat, l’artiste a affiné l’oeuvre au fil des rencontres avec les enfants de la défunte tout au long de l’année 2010. "Je me suis rendu à maintes reprises au cimetière des Rois, explique Jo Fontaine, afin de m’imprégner des lieux". Une première maquette aux formes rectilignes est présentée. "Pas assez sensuelle" explique Igor Schimek, l’un des quatre enfants de Grisélidis Réal. "Nous souhaitions une stèle qui ouvre le débat à tout ce qui touche à la sexualité des humains et reflète le caractère de notre mère", poursuit-il.
La sculpture, en serpentine, une pierre verte en provenance d’Italie, symbolise "l’infini, le réceptacle, la féminité et la générosité, traits qui caractérisent la défunte", explique l’artiste. À la fois contemporaine et se référant aux oeuvres cycladiques, la stèle refusée fait l’unanimité au sein de la famille. "L’oeuvre de Jo Fontaine parle à nos coeurs et à nos têtes" déclare le fils de la défunte.
Le public comprend mal le bannissement de la stèle de Grisélidis Réal
Tribune de Genève, 22 janvier 2011
Une femme nue qui se cache pudiquement la poitrine sans trop y parvenir. C’est la statue qui trône au sommet du tombeau de la famille du sculpteur Carl Angst en plein cimetière des Rois. Que peut-on montrer ou non dans un tel lieu ? En tout cas, l’interdiction, mercredi, par le Conseil administratif d’une stèle destinée à la tombe de la prostituée et écrivain Grisélidis Réal ne semble pas aller de soi.
Hier à la mi-journée, 84% des 351 personnes ayant pris part à un sondage sur notre site www.tdg.ch ne jugeaient pas la pièce choquante. Le projet, un cercle minéral, laisse entrevoir un sexe féminin. « Ce n’est pas l’œuvre qui dérange, c’est la personne à qui elle est destinée », analyse un internaute. La stèle est « loin d’être pornographique ou même simplement érotique », commente un autre. « Bientôt, on risque de censurer toutes les formes triangulaires parce qu’elles font penser à un sexe », conjecture un troisième.
La nécropole genevoise dévoile au promeneur une grande variété de styles sépulcraux et notamment une foison érectile d’obélisques. Or, l’œil moderne y décèle volontiers une connotation sexuelle. « L’obélisque phallique figure la virilité transcendante », écrit ainsi, en 1963, l’égyptologue Boris de Rachewiltz. Quatre de ces monuments trônent dans le seul premier carré du cimetière, le long de la rue des Rois. « L’obélisque est phallique dans la vision freudienne, mais pas dans la tradition égyptienne où il s’agit d’un symbole solaire, tempère Youri Volokhine, maître d’égyptologie à la Faculté des lettres. Sa présence dans les cimetières est commune dès la vogue égyptienne du XIXe siècle, qui correspondait à une aspiration mystique. »
Pour sa part, le sexologue Willy Pasini ne s’étonne pas de cette pléthore à l’éloquente verticalité. « Erigé par un personnage puissant, l’obélisque est un symbole phallique au même titre que la crosse de l’évêque ou le sceptre du roi, explique le spécialiste. Mais le phallus renvoie davantage au pouvoir qu’à la sexualité ! »
Cette puissance reste éminemment virile dans sa solide manifestation visuelle, au sein d’un cimetière réservé aux « Grands » de Genève. Des hommes la plupart du temps : à l’époque de son transfert, en 2009, Grisélidis Réal était la 82e femme admise parmi les quelque 350 tombes. Bon nombre de ces élues n’y ont été acceptées que pour les faire reposer éternellement aux côtés de leur illustre époux.
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