ARON Robert (1898-1975)
par
Ecrivain français (mais pas historien de formation !), il fut secrétaire de Gaston Gallimard puis directeur de La Revue du Cinéma (éditée par Gallimard), et se lança même dans la production. Membre du courant personnaliste, en vogue à cette époque, ses origines juives lui valurent une incarcération à Mérignac, mais il parvint à rejoindre l’Afrique du Nord.
Petit point historique et historiographique sur le travail de Robert Aron
En 1954, Robert Aron publia Histoire de Vichy, son principal ouvrage. Dans celui-ci, il reprit et développa la métaphore du bouclier et de l’épée : le général de Gaulle et le maréchal Pétain agissant tacitement de concert pour défendre la France, le second étant le bouclier préservant la France au maximum, y compris par une politique de collaboration (qui n’est dans cette thèse que simulée), en attendant que l’épée (De Gaulle) soit suffisamment forte pour vaincre l’Allemagne nazie. Vichyste et résistant étant ainsi mêlés tacitement dans une même attitude défensive ou offensive de la France.
Cette thèse connut beaucoup de succès. Il est vrai qu’elle arrangeait beaucoup de monde : la Droite française, qui s’était fourvoyée dans l’idéologie de Vichy, ou une partie des socialistes, ralliés à Pétain souvent par pacifisme (ou par anticommunisme). De manière plus globale, elle apaisa les éventuels scrupules de beaucoup de Français qui n’avaient pas été pendant la guerre « très résistants » ! Cette supercherie idéologique s’imposa jusque dans les années 70, rendant inaudibles les responsabilités de l’Etat dans la collaboration, et particulièrement dans l’assistance apportée à l’Allemagne dans la déportation des Juifs. Si De Gaulle n’y souscrivit jamais (il refusa toutes les tentatives de Pétain d’une quelconque idée de passation de pouvoir), la thèse l’arrangeait dans le contexte victorieux du résistancialisme, dans la mesure où elle magnifiait le rôle des Français en un peuple résistant (il voulait tout faire pour minimiser l’action des Alliés dans la libération de la France). Selon sa formule « seule une poignée de misérables et d’indignes, dont l’État fait et fera justice, avaient collaboré avec les Allemands ». En outre, cette théorie fut présentée explicitement comme moyen de défense au procès du maréchal Pétain, et d’autres cadres de l’Etat français.
Les travaux du jeune historien américain Robert Paxton dans les années 70 invalida durablement cette thèse. La parution de l’Histoire de Vichy (1972) révolutionna l’histoire de cette période. Il mit en avant le fait que Robert Aron n’avait utilisé que des sources vichystes à décharge (il avait presque exclusivement travaillé à partir de documents de la Haute Cour de justice, sans tenir compte de ce que les accusés cherchaient avant tout à se défendre, et les procureurs à démontrer que tel article du Code pénal avait été violé, le souci de la vérité historique n’y gagnant guère). En outre, Aron n’avait eu accès ni aux sources allemandes, ni aux sources des Alliés. Surtout, Robert Aron s’était largement attardé sur la période allant de l’Armistice à Montoire, la politique de collaboration passant au second plan.
Paxton démontra qu’il n’y avait rien de résistant dans Vichy. Les procès -tardifs- qui suivirent (Papon…), la découverte en 2010 du statut des juifs, annoté et aggravé de la main-même de Pétain ; les travaux récents sur les Vichysto-résistants (en particulier ceux de Bénédicte Vergez-Chaignon), démontrèrent le caractère fondamentalement antisémite et collaborationniste du régime de Vichy.
La thèse de Aron est très largement considérée comme révisionniste aujourd’hui. Elle continue cependant à séduire quelques milieux, principalement d’extrême droite et conservateurs et ses défenseurs sont généralement des nostalgiques du régime de Vichy, qui par renversement des valeurs, considèrent les travaux de Paxton comme une « doxa » politiquement correcte qui ne saurait être critiquée, pour reprendre les propos d’un « intellectuel » autoproclamé médiatique.
Robert Aron fut élu membre de l’Académie française en mars 1974, mais mourut subitement en avril 1975, cinq jours avant la date prévue pour sa réception solennelle sous la Coupole.
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