CAEN (14) : les cimetières dormants
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Caen a une particurité rare qu’il convient de louer : par une politique intelligente, la commune a conservé ses anciens cimetières paroissiaux. Désaffectés, ceux-ci offrent désormais un cadre romantique et écologique aux populations locales, mais également aux touristes. Le fait convient d’être souligné non seulement car il existe dans une grande ville, mais également parce que cette ville connut d’énormes dommages en 1944.
Un article de la Manche libre tient lieu d’introduction. Suivent ensuite des articles sur les cimetières que j’ai pu visiter.
Introduction : Promenades insolites : cimetières de lierre
D’étonnants coins de verdure au beau milieu de la ville. A Caen, les cimetières sont mangés par le lierre et habités par les… chats ! A deux pas de l’Abbaye aux Hommes, juste à l’arrière des édifices du Bon Sauveur, l’hôpital psychiatrique, une niche à peine visible au pied de gros murs. La petite église Saint-Ouen, jolie chapelle du XVe est posée dans la verdure. Tout autour, à l’ombre de petits bosquets entremêlés au lierre rampant à même le sol, quelques anciennes pierres tombales dont certaines à peine visibles sont mangées par l’herbe folle.
Les chats de saint Nicolas
C’est un des cimetières de la ville, une de ces niches de verdure qu’entretient avec soin mais sans la dénaturer le Service municipal des Espaces verts. A deux pas de là, pas loin des fossés Saint-Julien, un autre petit “paradis” : un cimetière de poche entoure la belle église Saint Nicolas, lieu connu des promeneurs et des amoureux… habitués des bancs publics au pied de la vieille et belle église. Le cimetière Saint-Nicolas, sûrement l’un des pus beaux de Caen, est aussi habité par les… chats nourris par les gens du quartier qui alimentent chaque jour leurs petites gamelles. A l’arrière du mur d’enceinte, quelques belles propriétés dont on aperçoit, clos de murs, les jardins soigneusement entretenus. En contrebas, les flèches de l’église Saint Etienne au pied de l’Abbaye aux Hommes, là où repose Guillaume le Conquérant ! La capitale régionale compte plusieurs beaux cimetières de lierre, des coins ici où là, à peine repérables : Saint Ouen et Saint Nicolas, mais aussi le cimetière de l’Université, le cimetière protestant rue du magasin à poudre, celui du passage Canchy de l’autre côté de l’Orne, le cimetière Saint Jean, le cimetière saint Pierre aux inscriptions pieuses du XVIIIe ou encore le cimetière de la rue Desmoueux, le cimetière des Quatre Nations appelé ainsi parce qu’on y inhumait autrefois les habitants de quatre quartiers environnants. Tous ont même le visage, attachant, à l’allure si romantique, mangé par le lierre, aux pierres tombales à demi recouvertes par la végétation. Dans la plupart, de vieilles chapelles fatiguées laissent entrevoir, derrière les grilles de fer forgé, des inscriptions “in Mémoriam”.
Monsieur Loyal au paradis
Les cimetières caennais sont connus pour leur beauté et leurs… célébrités. Un historien caennais [1] a eu la bonne idée de recenser récemment quelques unes de ces figures qui y reposent : Michel Moulin, dit Michelot, capitaine chouan et Guillaume Trébutien, éditeur de son ami Barbey d’Aurevilly, partagent la même terre du petit cimetière des Quatre Nations. Le cimetière Saint-Jean, passage Canchy est celui d’Arcisse de Caumont, mais aussi d’un certain Monsieur… Loyal . L’homme de théâtre, artiste surnommé “Blondin” dont le nom est resté lié à l’histoire du cirque est décédé à Caen en 1867. Les deux reposent en paix cote à côte, un homme de cirque et un autre de lettres pour un repos éternel ! Au Cimetière saint Ouen, on découvre la pierre tombale du comte de Bourienne, ami de Napoléon Bonaparte tandis Georges Brummel le célèbre dandy habitué de la Cour d’Angleterre et ami de Lord Byron repose au cimetière protestant. Les cimetières caennais sont des lieux bien fréquentés….
Article de la Manche libre
Le cimetière Saint-Jean
Caen a encore la chance de posséder quelques vieux cimetières paroissiaux désaffectés devenus autant de parcs en plein cœur de la ville : c’est le cas du cimetière Saint-Jean, situé à quelques encablures de la gare.
Ce minuscule cimetière plaira à tous les amoureux de cimetières romantiques : végétation luxuriante (on est en Normandie !), vieilles dalles rongées par la mousse.
Trois personnalités sont néanmoins présents dans cette petite nécropole :
François-Gabriel BERTRAND (1797-1875), qui fut maire de Caen de 1848 à 1870 et député du Calvados de 1863 à 1869. Son surnom de Haussmann caennais vint du fait qu’il a profondément remanié la ville durant son mandat de maire.
Pierre Claude LOYAL (1795-1867), dit Blondin Cadet, membre de l’illustre famille de cirque qui fut à l’origine de la création du personnage de Monsieur Loyal : pour plus d’informations, je renvoies à l’article On enterre aussi les clowns : histoire du cirque vue par les cimetières
Sur la même allée que lui repose également :
Arcisse de CAUMONT (1801-1873). Cet archéologue issu d’une famille de la bourgeoisie normande, fonda un certain nombre de sociétés savantes, telle que la Société Linnéenne de Normandie en 1823, qui s’intéresse à la géologie et à la botanique.
Il se préoccupe du patrimoine architectural, qui a grandement souffert des excès de la Révolution. Avec d’autres érudits normands, il anime à partir de 1824 la Société des antiquaires de Normandie, celle-ci se donnant pour but d’inventorier et d’étudier ces ruines et autres chefs d’œuvre architecturaux.
La publication de son Cours d’antiquité monumentale, richement illustré de gravures sur bois, et dont la publication s’étala de 1830 à 1843, est une publication scientifique dans la mesure où il y mène une "classification chronologique des monuments religieux, au moyen de l’analyse de leurs différentes parties et de l’étude comparative de leurs formes et de leurs moulures aux différents siècles du Moyen-Age". Il est le premier à établir la classification en deux périodes, romane et gothique (qu’il appelle "ogival"). Il joue donc un rôle fondamental dans le regain d’intérêt pour la période médiévale qui constitua la tendance du XIXe siècle : sur son modèle, d’autres travaux du même genre virent le jour un peu partout en France.
La consécration arrive lorsque l’Etat se saisit de la question et nomme une Commission des Monuments Historiques chargée de classer les sites : l’œuvre de pérénisation est en marche. Pour Caumont, les honneurs se succèdent et il devient membre de l’Institut.
Le cimetière Saint-Ouen
Autour de la vieille église de Saint-Ouen se trouve encore une dizaine de tombes, rescapées de l’ancien cimetière Saint-Ouen.
Parmi elles, celle de deux personnalités du XIXe siècle :
Louis-Antoine FAUVELET de BOURRIENNE (1769-1834) : élevé à l’École de Brienne avec Napoléon Bonaparte, il se lia avec lui d’une étroite amitié. Lorsque celui-ci fut nommé général en chef de l’Armée d’Italie, Bourrienne fut appelé près de lui et devint son secrétaire intime ; mais fut disgracié au bout de quelques années. Rallié aux Bourbons en 1814, il fut un éphémère préfet de police en 1815, puis ministre d’état. La révolution de juillet 1830 et la perte de sa fortune, qui en fut la suite, égarèrent sa raison.
Antoine-Marie HÉRON de VILLEFOSSE (1774-1852) : polytechnicien et géographe français, il commença sa carrière sous l’Empire, comme inspecteur des mines du royaume de Westphalie, puis du Grand-duché de Berg. Conseiller d’état et secrétaire du Cabinet de Louis XVIII, il publia, de 1810 à 1819, trois volumes sur la Richesse minérale, accompagnés d’un atlas. Il y développa les aspects économiques, législatifs et techniques de l’exploitation minière. Ses travaux lui valurent d’être élu membre libre de l’Académie des sciences en 1816.
Il est regrettable de constater que le cimetière n’est que très rarement ouvert.
Le cimetière Saint-Nicolas
Ici, aucune vedette ne troublera votre attention. La promenade n’en est pas moins très agréable, dans un endroit comme il n’y en a plus beaucoup en France : végétation exubérante reprenant ses droits, vieilles grilles rouillées d’antiques tombeaux, stèles délabrées se fondant dans le décor...
Tout au plus signalera-t-on la tombe de Lucien de VALROGER (1807-1881), professeur de droit à Paris, avocat à la Cour de cassation, qui laissa quelques ouvrages sur l’histoire du droit.
Le lieu appartient désormais aux promeneurs... et aux chats, qui trouvent ici de bonnes natures venues les nourrir.
Le cimetière des Quatre-Nations
Ce cimetière naquit en 1783 quand on décida de fermer tous les cimetières intra-muros (on était alors ici dans les faubourgs...). Quatre "nations" (c’est-à-dire paroisses décidèrent de partager un cimetière commun, d’où son nom.
C’est encore un magnifique enclos romantique caractérisé par les 43 ifs qui y poussent. François Truffaut se servit de ce cimetière comme cadre pour son film La chambre verte.
Quelques personnalités y ont leur dernière demeure :
Emile ALLIOT-PREJARDIN (1831-1914), fondateur du journal Le bonhomme normand.
L’historien Amédée RENÉE (1807-1859), qui se consacra à des travaux historiques et à la politique. Il fut élu en 1852 député du Calvados, et chargé en 1857 de la rédaction en chef du Constitutionnel et du Pays.
L’érudit orientaliste Guillaume TRÉBUTIEN (1800-1870), aui apprit seul le turc, l’arabe, l’hébreux et le persan ! Devenu libraire et éditeur, il publia des recueils de contes. Il fut l’ami de Barbey d’Aurevilly.
Il est regrettable que je n’ai pu visiter ce petit cimetière : quoique venu un jour ouvrable et dans les horaires indiqués sur la porte d’entrée, l’endroit était fermé.
Le cimetière protestant
Tout comme le cimetière Saint-Jean, le cimetière protestant de Caen, en centre-ville, est parvenu à résister au temps et aux promoteurs immobiliers. En terme de superficie, il est difficile de faire plus petit : une allée centrale et deux allées latérales constituent l’essentiel de son étendue. Beaucoup de stèles sont devenues illisibles mais celles qui ne le sont pas rappellent l’importante communauté protestante qui anima le commerce de la ville, mais également une partie de la diaspora britannique qui venait s’installer outre-Manche.
L’endroit est une merveille romantique, où la végétation et les pierres brisées se battent pour le peu de place qui reste.
C’est dans ce minuscule cimetière que se trouve la stèle assez contemporaine de George Bryan BRUMMEL (1778-1840). Né à Londres d’une famille aisée, il fit de bonnes études au collège d’Eton où il étudia le grec et le latin et où il apprit à parler l’Italien et le Français, tout en cultivant également de solides aptitudes artistiques. Esprit brillant, il passa sa jeunesse avec l’élite intellectuelle de son pays. Séduit par son son esprit, son humour et son intelligence, le Prince de Galles, futur George IV, en fit son ami. Il devint l’un des personnages les plus en vue d’Angleterre et se rendit célèbre par son élégance et sa politesse raffinée. Il devint l’arbitre de l’élégance et du bon goût. On le surnomma Beau Brummel, le roi des dandy.
Son insolence et sa désinvolture lui suscitèrent des ennemis et il finit par être chassé de la cour. Perdant ses protections et sa fortune au jeu, il s’exila à Calais en 1816 où il s’endetta. En 1830, à la mort de George IV, il obtint un poste de Consul d’Angleterre à Caen.
Dès son arrivée, sa renommée lui permit d’être acueilli par la bonne société caennaise et en particulier les salons littéraires où il brilla. Cependant, sa charge de Consul supprimée, il accumula les dettes : il fut emprisonné en 1835. Libéré, il reprit ses habitudes de soirées, diners et soupers mondains mais il continua à s’endetter et perdit petit à petit tous ses amis. C’est dans le dénuement le plus complet qu’il sombra dans la folie qui le mena au Bon Sauveur où il s’éteignit.
Brummell est considéré comme l’initiateur du costume de l’homme moderne, porté avec la cravate, ce costume maintenant en usage dans le monde entier. Il n’est pas totalement oublié et des visiteurs élégants viennent encore fleurir sa tombe.
[1] A lire “Tombes célèbres de Normandie” par Y. Lecouturier, Editions Orep
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