NANTES (44) : cimetière de la Bouteillerie
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Ouvert en 1774 (soit trente ans avant le Père Lachaise , mais également vingt ans avant le cimetière Miséricorde, le plus fameux de Nantes !) [1], son nom a pour origine l’activité du lieu lorsqu’il était possession de l’évêque de Nantes, au Moyen Âge. Le prélat y disposait de vignes et de chais. Le vin y était mis en bouteille, d’où « La Bouteillerie ». En réalité, ce n’était pas son nom à l’origine : l’ancien portail étant surmonté d’une sculpture représentant un navire, un brigantin sculpté dans la pierre, on avait prit l’habitude d’appeler la nécropole "le Grand brigantin". Le portail ayant disparu, le nom fut supplanté par « La Bouteillerie ». Passé de mains en mains, le terrain fut acquis au XVIIe siècle par les Chartreux. Il fut enfin racheté par un ensemble de communes pour en faire leur cimetière, anticipant de deux ans le fameux Edit royal interdisant les inhumations dans les églises.
Durant la Révolution, il servit, comme toutes les autres nécropoles de la ville, à enfouir les nombreuses victimes de la guerre civile entre chouans et républicains. L’état d’infection que cela provoqua obligea même le cimetière à fermer quelques temps, mais il fut réouvert sur la pression du clergé.
- Prisonniers allemands morts dans les hôpitaux nantais.
L’Histoire provoqua une modification la structure de la Bouteillerie : le 30 octobre 1914, l’administration fit ouvrir la section destinée à l’inhumation des soldats morts. Il fallait en effet, entre cette date et 1919, inhumer tous ceux qui succombaient dans les hôpitaux militaires établis à Nantes durant la Première Guerre mondiale. Un cimetière militaire fut donc conçu, où 1 533 tombes sont implantées. Seules 560 ont droit à la mention « Mort pour la France ». Dans ce carré reposent désormais 1 781 soldats anglais, belges, russes, polonais, allemands et français, ainsi que des combattants venus des colonies françaises (Algériens, Sénégalais, ou d’autres avec des noms aux consonances asiatiques). . En 2008, à l’occasion des 90 ans de l’armistice de 1918, le carré militaire a été rénové par dix personnes dans le cadre d’un chantier d’insertion
- La Pleureuse par René Quillivic
- Cet artiste breton a pas mal œuvré dans les cimetières (mon site recense plusieurs de ses réalisations), particulièrement dans la confection des monuments aux morts. Il a fait don en 1948 à la Ville de Nantes de cette bretonne en coiffe (caractéristique de sa production) qu’il avait créé en mémoire des mères et épouses ayant perdu leur fils ou mari à la Grande guerre. Elle est maintenant installée au cimetière de la Bouteillerie face au carré des combattants de 14-18 .
Sa superficie, résultant de plusieurs agrandissements, est de 6 hectares.
Vous n’aurez sans doute pas de grand coup de cœur à la Bouteillerie : malgré son âge, et le maintien d’un secteur ancien, il est austère (comme souvent les cimetières bretons) et fatigué. La nature des granits utilisés n’y est évidemment pas pour rien. Les moisissures s’emparent de la pierre, rendant régulièrement les inscriptions illisibles. Les site est également très enclavé dans la ville, que l’on voit de partout.
Il reste malgré tout, avec Miséricorde, l’un des deux cimetières patrimoniaux de la ville. En outre, la présence de quelques personnalités intéressantes et une production artistique qui n’est pas insignifiante rendent sa visite agréable.
Curiosités
Le premier notable a y avoir été inhumé fut l’armateur négrier Guillaume GROU (1699-1774).
En 1839, Charles-Mathurin d’Haveloose, négociant nantais né à Angers, lègue une forte somme à la ville de Nantes. Pour honorer sa mémoire, l’architecte de la ville, Henri-Théodore Driollet, réalise un monument, la stèle Haveloose, sur laquelle est inscrit : « À Haveloose, le bienfaiteur des pauvres, la bienfaisance et la charité rendent hommage ». Cette œuvre est placée près de la conciergerie du cimetière.
À gauche de l’entrée historique du cimetière, un bas-relief intitulé Vers l’infini, œuvre de Blanche Moria, est exposé depuis 1928.
En 1853, Mathurine Fourchon veuve Perrot, cantinière de l’armée d’Afrique, fut décorée de l’Ordre impérial de la Légion d’honneur suite à son comportement héroïque durant le siège de Constantine du 10 au 13 octobre 1837. Elle fut enterrée à Nantes en 1863. Au fil des ans, les inscriptions de sa tombe disparurent, la rendant anonyme.
- Etat lors de ma visite
- Etat actuel
La tombe a été refaire en 2019.
Le 14 juin 1931, le vapeur Saint-Philibert des Messageries de l’Ouest allant de Noirmoutier à Nantes sombra dans l’embouchure de la Loire. Le naufrage fit près de 500 victimes (seuls huit passagers furent sauvés), ce qui en fit l’une des plus grandes catastrophes maritimes civiles françaises. Un monument fut érigé au cimetière Saint-Jacques pour les victimes non identifiées, mais on trouve dans les cimetières du secteur un certain nombre de ces naufragés.
Deux sœurs institutrices reposent ici : Amélie (+1980) et Joséphine (+1987) Prévert. Elles étaient les nièces du poète Jacques Prévert. L’histoire ne dit pas si elles apprirent les compositions de tonton à leurs élèves !
On trouve également dans ce cimetière le petit-neveu du refondateur de la Compagnie des Indes, le célèbre financier John Law, ainsi que des descendants présumés du frère de Jeanne d’Arc.
En dehors de Serge Danot, l’austère cimetière de la Bouteillerie abrite paradoxalement un certain nombre de tombes très originales :
- Une figure locale qui parlera à certains nantais : la tombe originale du champion de skate Christophe Bétille (+2009), qui figure un skate et une rampe.
- la tombe, anachronique pour quelqu’un qui est mort en 1934, de Louis Cheval.
- une tombe anonyme sous forme de BD.
- Tombeau Cheminant
- Tombeau Ernest Dalby
- Conseiller municipal. Signé L. Mahé
- Tombeau Eugène Peignon
- Sculpteur de masques.
- Tombeau Le Goff de Fontainegal
- L’unique statue animalière du cimetière !
Célébrités : les incontournables...
Marie Alphonse BEDEAU
René Guy CADOU
Charles CASSEGRAIN
Serge DANOT
Jules GRANDJOUAN
Léa PAPIN
... mais aussi
Félix BENOIST (1818-1896) : peintre, dessinateur et lithographe, il fut l’auteur de vues de villes, de monuments et de paysages.
- Cette représentation du Père Lachaise, bien connue de tous les amateurs éclairés du cimetière, est de Félix Benoist.
Le peintre postimpressionniste Louis Emile BLANCHARD (1876-1936).
Charles BRUNELLIÈRE (1847-1917) : armateur, il fit construire La Fédération, premier grand voilier en acier, puis les deux premiers grands vapeurs. Organisateur du mouvement syndical et coopératif nantais, il fonda le Parti ouvrier nantais en 1888.
Le statuaire Joseph-Michel CAILLÉ (1836-1881), qui débuta au Salon de 1863 avec le plâtre Aristée pleurant la mort de ses abeilles qu’il exécuta plus tard en marbre.
L’architecte Louis-Joseph CHAIGNEAU (1796-1849).
Evariste COLOMBEL (1813-1856) : maire de Nantes républicain de 1848 à 1952, il fut également brièvement député du département en 1846. La tombe était autrefois ornée de deux bustes de Guillaume Grootaërs qui ont malheureusement été volés.
René de CORNULIER-LUCINIÈRE (18511-1886) : contre-amiral d’orientation monarchiste, il fut brièvement maire de Nantes en 1874. Il participa à l’expédition française en Algérie, puis commanda la division navale des mers de Chine en 1869. Il fut Gouverneur général de la Cochinchine entre 1870 et 1871.
Le chirurgien Augustin DARBEFEUILLE (1756-1831), qui fut chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Nantes. Durant la Révolution, il lutta avec efficacité contre une épidémie de typhus. Sa tombe est quasiment illisible, double dalle connaissant les plus strictes signes de l’abandon.
famille DECRÉ : symbole historique du centre-ville de Nantes, les enseignes « Decré » , du nom de la grande famille de négociants qui l’a fondé, fut le premier grand magasin de la ville de Nantes. Il était, à l’ouverture de son nouveau bâtiment en 1931, le plus important d’Europe. Ce magasin, reconstruit après la Seconde Guerre mondiale, porte aujourd’hui l’enseigne Galeries Lafayette.
Henry Wilfrid DEVILLE (1871-1939) : architecte, il alla travailler aux Etats-Unis où il découvrit la gravure et l’eau forte. L’entrée en guerre de la France précipita sa décision de rentrer en France pour s’enrôler : durant le conflit, de 1914 à 1918, il continua à exécuter de nombreux dessins des tranchées ainsi que des zones dévastées qu’il grava par la suite. En 1922, il fut nommé par le Gouvernement architecte en chef de la reconstruction des régions libérées, dans l’Est de la France : il restaura Lunéville et Nancy, et conçut l’hôtel de ville de Baccarat.
Le peintre et graveur Emile DEZAUNAY (1854-1938), qui fut l’élève de Pierre Puvis de Chavannes. Il excella dans l’art de l’aquarelle et de la gravure.
Le sculpteur Pierre Jean-François DONON (1765-1830).
Henri-Théodore DRIOLLET (1805-1863) : architecte, il obtint la deuxième place du grand prix de Rome en 1834. Il fut nommé architecte voyer de la ville de Nantes en 1837. Il développa une capacité à organiser les festivités officielles : en 1825, il participa à la décoration de la cathédrale de Reims pour le sacre de Charles X ; en 1849 il organisa les festivités accompagnant la visite du président de la République à Nantes ; en 1851, il mit en scène la cérémonie d’inauguration de la ligne de chemin de fer d’Angers à Nantes. On lui doit plusieurs tombeaux dans les cimetières nantais (en particulier le piédestal du maréchal Cambronne). Son médaillon en bronze est une œuvre de Guillaume Grootaërs, qui repose dans ce même cimetière.
Le peintre Hippolyte DUBOIS (1837-1909), qui fut directeur de l’École des beaux-arts d’Alger de 1885 à 1909. Il exerça une forte influence sur la vie artistique à Alger et il fut l’un des fondateurs de la Société des artistes orientalistes algériens.
Ange GUÉPIN (1805-1873) : médecin ophtalmologue, écrivain républicain et socialiste, il joua un rôle important dans la vie politique et sociale de Nantes au XIXe siècle. Influencé par le saint-simonisme, sa vie fut orientée par l’idée d’un progrès de l’humanité fondé sur le développement de la science et des techniques appliquées à l’industrie. Il publia des livres de médecine ainsi que des ouvrages dans lesquels il dénonçait la misère et préconisait des remèdes : mesure d’assistance, de prévoyance, enseignement de l’hygiène. Il écrivit un traité d’économie sociale en 1833 qu’il essaya de mettre en pratique dans la région de Nantes en 1848 par la création d’une association ouvrière et un projet de banques départementales de bienfaisance. Philanthrope très populaire dans la région, il parcourait les campagnes pour tenter de répandre les idées socialistes. Il fut révoqué par le parti de l’Ordre en 1850 de ses fonctions officielles de médecin des douanes et de professeur pour son socialisme et son anticléricalisme. Réintégré dans la vie politique après 1870, il devint préfet de la Loire Inférieure.
Le sculpteur belge Louis GROOTAËRS (1788-1867), spécialisé dans la création d’œuvres d’art religieuses, qui fut également l’auteur de la verrière du passage Pommeraye. Avec lui repose son fils Guillaume GROOTAËRS (1816-1882), également sculpteur, qui travailla dans l’atelier de Pierre-Jean David d’Angers, James Pradier et Duret. Il réalisa de grandes commandes publiques à Nantes et dans la région durant sa carrière. On lui doit également plusieurs monuments funéraires (général de Bréa au cimetière Miséricorde, Driollet dans celui-ci).
Dans le tombeau de famille repose le général Charles-André de LA JAILLE (1824-1892), sénateur de la Guadeloupe (où il était né) entre 1876 et 1885. Il prit place à l’extrême droite du Sénat. S’y trouve également son frère, l’amiral Charles Edouard de LA JAILLE (1836-1925), qui fut préfet maritime à Brest et à Toulon, et commandant de l’escadre de Méditerranée. Il fut en outre sénateur de droite de la Loire-Inférieure entre 1901 et 1920.
La peintre Renée France LADMIRAULT (1946-2010).
Le peintre et illustrateur Alain LE BRAS (1945-1990), dont la tombe porte pour épitaphe "Le miracle, et c’est ma définition de l’art, est de donner de la saveur à l’angoisse".
L’archiviste paléographe Léon MAÎTRE (1840-1926), qui travailla en Mayenne, puis dans la Loire-Inférieure. Ses contemporains ont souligné l’ampleur de sa production scientifique dans le domaine de l’archéologie antique et médiévale du département.
Camille MELLINET (1795-1843) : frère du général Mellinet (qui repose au cimetière Miséricorde), il fut imprimeur, journaliste et historien. Il prit en 1820 la tête de la maison d’édition et imprimerie Malassis dirigée par sa mère, qui était la fondatrice du Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, premier journal d’opinion nantais. Il développa considérablement l’entreprise en introduisant, le premier dans la région, la presse mécanique. Il fut l’éditeur ou le fondateur de plusieurs revues littéraires et scientifiques. Je n’ai pas trouvé l’identité de son buste en bronze perché sur sa colonne, pas plus que la raison d’être du bas-relief qui orne sa tombe.
Aimable Joseph MEURIS (1760-1793) : ferblantier nantais, né dans l’actuelle province belge du Hainaut, il fut commandant d’un bataillon de volontaires Sans-culottes lors de la Révolution française. Il fut considéré comme le Léonidas nantais lors du siège de Nantes en juin 1793. Avec 500 volontaires, il retarda à Nort-sur-Erdre l’avance des troupes vendéennes durant huit heures, délai qui permit à la défense nantaise (forte d’environ 10 000 hommes) de s’organiser face à environ 40 000 adversaires royalistes dirigés par Cathelineau et Charette. Sa tombe a disparu.
MORIN-JEAN (Jean Morin : 1877-1940) : archéologue, peintre et graveur ; il pratiqua la taille-douce, l’eau-forte et la gravure sur bois. Il illustra un grand nombre d’ouvrages.
L’architecte Emile Adolphe OGÉE (826-1879).
Le peintre Pierre ROY (1880-1950), qui exposa en 1907, 1908, 1913 et 1914 au Salon des indépendants. Il participa à la première exposition des peintres surréalistes aux côtés de Giorgio De Chirico, Max Ernst, Pablo Picasso. En 1933, il fut nommé pour cinq ans peintre de la Marine. Il réalisa également des décors de théâtre, plusieurs couvertures du magazine Vogue et des affiches publicitaires. Ces tableaux sont des mises en scène d’objets courants, représentés le plus fidèlement possible. Coquillages, légumes et fruits, bobines de laine, épis et graines, œufs, rubans sont assemblés, mélangés pour créer des scènes poétiques.
L’architecte Aristide Van ISEGHEM (1838-1887).
Olivier de WISMES (Jean-Baptiste Olivier de Blocquel de Croix, baron de Wismes : 1814-1887) : archéologue, dessinateur, graveur et lithographe, il réalisa des dessins de ses voyages à travers l’Allemagne et l’Italie.
Armel de WISMES (Armel de Blocquel de Croix, baron de Wismes : 1922-2009) : issu d’une famille ancienne de la noblesse française du Pas-de-Calais, il mena de front une carrière de peintre de marine, de journaliste et d’écrivain, membre de plusieurs académies et de plusieurs jurys de prix littéraires. En 1952, il obtint le prix Marc Elder pour son roman Coup de mer.
Bibliographie : Eric Lhomeau et Karen Roberts ont rédigé cinq ouvrages très utiles et illustrés sur le cimetière de Miséricorde
Le cimetière de la Bouteillerie, 2009
Guide du cimetière Miséricorde de Nantes, 2009 (2 tomes)
Guide du cimetière Miséricorde de Nantes (petite histoire de la traite négrière), 2012
Les artistes dans les cimetières nantais, 2013
Tous aux éditions Le veilleur de nuit
[1] Il n’est cependant pas le plus ancien de Nantes : ce titre revient au petit cimetière Saint-Donatien, qui remonte au Haut Moyen-Age.
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