COUILLY-PONT-AUX-DAMES (77) : cimetière
par
La maison de retraite des artistes
Couilly-Pont-aux-Dames à une particularité qui a une conséquence sur son cimetière : la présence sur la commune d’une maison de retraite des artistes, créée par le comédien Constant COQUELIN (1841-1909), dit Coquelin Aîné pour le distinguer de son cadet.
Celui-ci fut l’un des acteurs comiques les plus notoires de son temps. Sociétaire de la Comédie-Française, il donna des représentations en Europe et en Amérique. Il fut ensuite engagé dans divers théâtres parisiens, et prit en 1896 la direction du théâtre de la Porte Saint-Martin. Son titre de gloire, pour l’éternité, fut d’avoir créer le rôle de Cyrano de Bergerac pour Edmond Rostand. Altruiste, il fonda en 1902 la « Maison des Comédiens » de Couilly-Pont-aux-Dames, une maison de retraite pour artistes dramatiques (il fut imité quelques années plus tard par Dranem à Ris-Orangis). C’est là qu’il mourut. Il fut inhumé dans le petit cimetière communal mais peu de temps après, selon son désir, fut transféré dans le parc de sa création.
Son monument, dessiné par René Binet, se trouve une clairière au milieu des fusains. La tombe est composée d’une grande pierre tumulaire sur laquelle est gravée « Qu’il dorme dans son beau jardin. Ses vieux comédiens veillent sur lui », phrase prononcée par Edmond Rostand au cours de l’éloge funèbre. Un banc de pierre l’entoure, au milieu duquel est placée une stèle qui porte le buste de l’artiste réalisé par Auguste Maillard.
Le cimetière de la commune
Depuis, évidemment, plusieurs générations d’artistes (et pas seulement des comédiens) sont décédées dans la maison de retraite. Tous ne se sont pas faits inhumer dans le cimetière de la commune, mais ce fut le cas de pas mal d’entre eux, vivant parfois avec des revenus très modestes. Un recensement attentif mériterait d’être fait avec les archives de la maison de retraite.
Si, comme nous allons le voir, certains artistes disposent d’un tombeau personnel (toujours très modeste d’aspect), il existe dans le cimetière au moins deux pauvres caveaux collectifs destinés à recevoir leurs dépouilles : ils se signalent par quelques plaques, certaines illisibles, datant pour beaucoup d’entre-elles des années 60. Il est évident que tous ne sont même pas signalés par une plaque, d’où la difficulté d’un recensement exhaustif. J’ignore si ces tombeaux, en très mauvais état, sont encore utilisés. On peut penser qu’il serait louable d’ériger une plaque au sein du cimetière sur laquelle, au fur et à mesure, seraient indiquées leurs identités.
Sont donc présents (et retrouvés) dans ce cimetière, en caveau collectif ou en tombe individuelle :
Marie BIZET (Germaine Prévost : 1905-1998) : elle se fit connaître au début des années 30 dans un répertoire assez léger. On la vit également chanter dans Ignace avec Fernandel, et jouer dans plusieurs films dans les années 30 et 40. Mais si Marie Bizet mérite de ne pas être oubliée, c’est pour avoir été l’interprète à partir de 1941, du haut de sa voix perchée, de l’inénarrable Hôtel des trois canards !
Connaissez-vous l’Hôtel des Trois Canards ?
Il est dans un petit patelin, quelque part
Comme c’est le seul qu’on puisse y dénicher
Malgré soi il faut bien y coucher
Y’a pas de garage... il faut ranger l’auto
Dans une étable entre une vache et un veau
Et, par les trous qu’il y a dans la toiture
Les pigeons déshonorent votre voiture…
Elle connut assurément le succès avec cette chanson, même si elle interpréta d’autres titres aussi intellectuels (J’y va-t’y, j’y va-t’y pas).
A noter que sur la tombe d’à-côté, on remarque trois canards décoratifs : ont-ils migré d’une tombe à l’autre ?
Ariane BORG (Lucie Derveaux : 1915-2007) : étonnant destin que celui de cette comédienne ! Originaire de Roubaix, remarquée par Jouvet, Pabst puis D.W. Griffith, elle entama une carrière américaine. Logée chez Mary Pickford (qui voulut l’adopter) et Douglas Fairbanks, Louis B. Mayer décida d’en faire une nouvelle Garbo. Elle fréquenta à cette époque tout le jet set d’Hollywood. Bloquée en France où elle était revenue fêter son anniversaire en 1939, la guerre mit un terme à ses espoirs américains. Commença alors une carrière française de quelques films et pièces de théâtre des années 40 aux années 50. Suivit un inexorable déclin que rien n’arrêta, même si elle maintint une vie mondaine importante, fréquentant toutes les générations d’artistes, de Colette à Thierry le Luron, de Montherlant à Jean-Luc Godart. Sa vie sentimentale ne fut pas plus heureuse : son mariage avec le comédien Michel Bouquet se solda par un divorce très douloureux. La vie d’Ariane Borg fut faite de rendez-vous manqués, et elle ne fut jamais la star qu’elle aurait pu être.
Le comédien André CARNÈGE (Eugène Cargemel : 1890-1969), qui tourna des années 30 aux années 50 dans un très grand nombre de films, mais sur lequel il est pourtant difficile de mettre un visage.
La contralto Marie CHARBONNEL (1880-1969), qui fit l’essentiel de sa carrière dans les salles françaises mais qui connut le succès. Elle créa plusieurs rôles, en particulier celui de Madame Rolland pour l’opéra du même nom à la Gaieté lyrique en 1914.
La soprano Marguerite CHARPANTIER, de l’Opéra Comique.
La comédienne Nadia DEBORY (Fernande Durand : 1896-1981).
Marfa DHERVILLY (Marthe Dutreix : 1876-1963), elle aussi actrice bien oubliée malgré une filmographie importante s’échelonnant des années 20 aux années 50.
Le ténor belge Charles FONTAINE (1878-1955), qui fit carrière à l’Opéra de Paris.
La comédienne belge Lucienne LEMARCHAND (1908- 1992), qui connut le succès en France durant sa carrière. Pendant la guerre, elle s’expatria en Algérie, puis en Égypte, où elle fonda sa propre compagnie théâtrale, puis, à la Libération, regagna Paris juste à temps pour participer aux débuts de l’aventure du T.N.P. Elle fut dans les années 60 à Villeurbanne, un des piliers de la compagnie Roger Planchon. Elle tourna pour le cinéma de 1930 aux années 80.
Le comédien Daniel MENDAILLE (1885-1963) : acteur de théâtre avant tout (il fut l’élève de Paul Mounet et joua sur les scènes du Théâtre Antoine, de l’Œuvre et de la Renaissance), il tourna pour le cinéma muet mais s’investit plus sérieusement au cinéma avec le début du parlant. Il fut abonné aux rôles de composition : il fut curé dans Maria Chapdelaine avec Madeleine Renaud, médecin dans Andalousie (1950) avec Luis Mariano, patron de guinguette dans Casque d’or (1951) avec Simone Signoret, un capitaine dans Lola Montès (1955) avec Martine Carol, professeur dans Montparnasse 19 (1957) avec Gérard Philipe … Il est inhumé avec son épouse, la comédienne espagnole Leda GINELLY (Geneviève Petry : 1899-1959).
Le comédien de théâtre Raymond STUDER.
Le comédien Charles VISSIÈRES (1880-1960), qui tourna des années 30 aux années 50.
Le comédien Léon WALTHER (1874-1973), au parcours similaire.
La « star » du lieu demeure évidemment le comédien Paul PREBOIST (1927-1997). Contrairement à ce qu’on lit parfois, il ne vivait pas dans la maison de retraite mais aimait venir divertir ses pensionnaires.
Ancien jockey, il se produisit dans les brasseries marseillaises et les hôpitaux en pastichant les chansons de Fernandel et de Noël-Noël. Il entama ensuite une carrière d’artiste dans les théâtres et les cabarets. Il tourna dans 120 films tout de même, des rôles secondaires dans beaucoup de navets, mais pas uniquement. Il y montra à de nombreuses reprises son talent. Il y eut des réalisateurs qui aimèrent à l’employer, tels Lautner,Jean Yanne ou Claude Lelouch. Il promena dans cette filmographie sa silhouette débonnaire dans des rôles comiques pour la plupart, mais pas exclusivement. Sur le tard, il devint la mascotte de Patrick Sébastien, apparaissant sous des grimages parfois étonnants dans les émissions de ce dernier. A sa mort, il fut crématisé au Père-Lachaise. Il est dit que le caveau fut payé par Patrick Sébastien, très affecté par la mort de son ami. Une partie de ses cendres reposerait également dans la tombe de son amie Darzie, au cimetière de Nizas (34). Dans le même caveau repose également son frère, Jacques PREBOIST (1923-1999). Lui aussi fut acteur de second rôle, mais mena une carrière au cinéma encore plus confidentielle, dans l’ombre de Paul.
Dans un tout autre registre que la comédie, on trouve également au cimetière de Couilly
Une tombe ornée d’un médaillon (Rozoy) sur la dépouille d’une jeune femme morte sans doute accidentellement en 1996 dans les gorges du Cians.
L’architecte Nicolas Auguste GENUYS (1813-1897).
Auguste Stanislas LEBOBE (1790-1858) : juge, puis président du tribunal de commerce, il travailla également à l’établissement du tracé du chemin de fer de Paris à la mer. Il fut élu en 1842 député de l’arrondissement de Meaux, et siégea sur les bancs conservateurs jusqu’en 1846. Un médaillon en bronze réalisé par Victor Vilain orne sa tombe.
Sources :
Dictionnaire des comédiens disparus d’Yvan Foucart
Historique de la Maison de Retraite de Pont-aux-Dames, plaquette écrite par Sandrine Vallet.
les deux photos de la tombe Coquelin sont issues du site www.cyranodebergerac.fr
Commentaires