du BELLAY Joachim (c1522-1560)
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Article du Monde du 17 septembre 2024 : Le poète Joachim Du Bellay identifié dans un cercueil retrouvé à Notre-Dame de Paris
La résolution de ce « cold case » constitue le point le plus spectaculaire du bilan des fouilles archéologiques réalisées sous la cathédrale, présenté mardi 17 septembre.
L’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) avait prévenu : mardi 17 septembre, le bilan de l’avancée des recherches entreprises après l’incendie qui avait ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, allait dévoiler « du lourd ». Promesse tenue, à commencer par l’identité de l’occupant de l’un des deux cercueils plombés retrouvés en avril 2022, sous la croisée du transept. Il s’agirait du poète Joachim Du Bellay, mort vers 35 ans, dans la nuit du 1er au 2 janvier 1560.
- Le cercueil plombé de Joachim Du Bellay, découvert à Notre-Dame de Paris, en mars 2022.
Eric Crubézy, médecin et professeur d’anthropologie à l’université Paul-Sabatier, à Toulouse, l’a annoncé en conclusion d’une présentation déjà particulièrement riche, puisqu’elle dressait le bilan de pas moins de quatorze fouilles réalisées dans et autour de l’édifice religieux.
Eric Crubézy et son équipe y sont arrivés au terme d’une véritable enquête rétrospective. Début 2022, la croisée du transept avait été fouillée avant la pose du fameux échafaudage de 700 tonnes qui allait permettre la reconstruction de la flèche. Huit sépultures y avaient été découvertes. Rien d’étonnant : des milliers de personnes, essentiellement des hommes d’Eglise, ont été enterrées entre le XIVe et le XVIIIe siècle dans ce qui constituait alors une nécropole.
Mais parmi elles se trouvaient deux cercueils plombés, preuve que leurs occupants avaient un statut particulier. Le nom du premier a été connu immédiatement, attesté par une plaque avec épitaphe, sous la dalle funéraire, et une seconde, plus petite, fixée sur le cercueil : Antoine de la Porte, mort en 1710, chanoine de Notre-Dame pendant cinquante ans, riche mécène, qui finança notamment la clôture du chœur de la cathédrale.
Le second était plus mystérieux : de lui, on savait qu’il était mort jeune, qu’il souffrait d’une tuberculose osseuse et que ses dernières années avaient probablement été très pénibles. La déformation de son squelette attestait une pratique intense et ancienne du cheval – les chercheurs l’avaient ainsi surnommé « Le Cavalier ». Les archéologues avaient également établi que le cercueil avait été déplacé, à une date inconnue, pour réoccuper, comme cela était fréquent, un emplacement déjà utilisé.
- Ouverture et étude du cercueil plombé de Joachim Du Bellay, à Toulouse, en mars 2022.
Le poète de la Pléiade permet de rassembler les pointillés. L’écrivain n’était pas un dignitaire religieux. Mais il avait bien été chanoine de Notre-Dame de Paris. Il était surtout le neveu de Jean Du Bellay, ancien évêque de Paris, cardinal et doyen du sacré collège à Rome, autrement dit numéro deux de l’Eglise. Le 2 janvier 1560, il était donc inhumé à Notre-Dame dans la chapelle Saint-Crépin. Tel est, du moins, ce qu’indique le relevé de l’accord du chapitre, le collège nommé par le pape qui déterminait l’emplacement des sépultures.
Sauf que, en 1758, deux siècles plus tard, on ne retrouva pas le cercueil du poète dans la chapelle près de celui de son oncle. Eric Crubézy envisage deux solutions : « Soit une sépulture transitoire devenue permanente, soit un transfert de son cercueil lors d’une autre inhumation, en 1569, après la publication de ses œuvres complètes. »
Pour le reste, l’histoire du poète semble s’accorder parfaitement avec les indices. Son âge, on l’a vu, puisqu’il est né « vers 1522 », à Liré, en Anjou. Cavalier émérite, il faisait notamment le trajet de Paris à Rome, où il avait suivi un temps son oncle, à dos de monture. Quant aux causes de sa mort, les travaux réalisés par l’équipe toulousaine ont établi qu’il souffrait d’une tuberculose osseuse accompagnée d’une méningite chronique. Une pathologie retrouvée dans 0,03 % des autopsies réalisées à cette époque. Celle qui avait été conduite sur le poète par les médecins du roi – « assez mal, d’ailleurs », selon Eric Crubézy – avait relevé des signes de ces deux pathologies. On peut ajouter au faisceau d’éléments la surdité et les terribles céphalées dont souffrait le poète à la fin de sa vie, symptômes courants de ces affections.
Lors de la présentation des résultats au public, Christophe Besnier, le responsable des fouilles à l’Inrap, s’est voulu plus prudent. Il a notamment été fait des analyses de composition isotopique de ses dents, qui feraient état d’une enfance passée en région parisienne ou lyonnaise, loin de la fameuse « douceur angevine ». « Normal : il était orphelin, élevé par son oncle, donc il a passé l’essentiel de son temps à Paris », rétorque Eric Crubézy. Dominique Garcia, le président de l’Inrap, estime, lui aussi, que la messe est dite. « Que peut-on avoir de plus ? Retrouver sa brosse à dents pour vérifier que l’ADN correspond ? Rien que son âge et sa pathologie offrent une solidité statistique remarquable. »
- A l’intérieur du cercueil plombé de Joachim Du Bellay, à Toulouse, en mars 2022.
Derrière la spectaculaire identification du « Cavalier », c’est un travail considérable qu’a rendu public l’Inrap. Pas moins de cent autres sépultures ont été retrouvées, dans divers lieux où on ne les attendait pas particulièrement : dans les réseaux intérieurs, les carneaux ou encore dans la cave Soufflot. Réalisés pour l’essentiel en bois clouté, la moitié des cercueils étaient orientés tête à l’ouest (l’usage pour les laïcs), l’autre moitié tête à l’est (des membres du clergé, donc). Nombre de ces tombes avaient été déplacées, les ossements eux-mêmes parfois retirés et déposés en surface.
Les chercheurs ont fouillé quatre-vingts sépultures et étudié les ossements. Et, « sans surprise », selon l’archéologue Camille Colonna, il s’agit en écrasante majorité d’individus âgés, avec des marques de sénescence, de quelques hommes plus jeunes et d’un adolescent. « Tous sont de sexe masculin, à une exception », précise la chercheuse. Cette femme fera-t-elle à son tour l’objet d’une enquête fouillée ? Officiellement, rien n’est prévu, mais Eric Crubézy indiquait qu’il avait bien l’intention de se saisir de ce nouveau cas.
Les quatorze fouilles conduites par l’Inrap ont aussi permis de mettre en évidence les différentes époques d’occupation du terrain. Les archéologues ont notamment découvert, à 3,50 mètres sous la cave Soufflot, les sols d’une demeure du début du Ier siècle. Sous le parvis, ils ont retrouvé le témoignage d’habitat et d’activité artisanale datant du Bas Empire (IIIe siècle après J.-C.). Un vaste bâtiment carolingien et plusieurs autres édifices ont pu également être approchés, témoins, cette fois, de l’occupation des lieux au Moyen Age. Enfin, ils ont exhumé les traces d’une église, romane, qui précéda Notre-Dame.
- Fragment du jubé représentant une frise végétale et un rongeur, après son nettoyage et la stabilisation de la polychromie du XIIIᵉ siècle.
Reste le jubé, peut-être la pièce dont les archéologues sont le plus fiers. Construite en 1230, détruite sous Louis XIV pour répondre aux nouveaux usages liturgiques, cette vaste cloison séparait les fidèles et les religieux. Quelques portions en avaient été retrouvées lors de la restauration de la cathédrale par Viollet-le-Duc, au XIXe siècle. Exposées au Louvre, elles avaient perdu leur couleur.
Près de mille fragments ont été retrouvés, dont sept cents ont conservé leur polychromie. Des pièces « exceptionnelles », ont répété plusieurs intervenants. Toutes ont été « stabilisées », un traitement qui permet d’éviter la destruction de la couleur une fois au contact de l’air. Une reconstitution numérique de l’ensemble est en cours. Mais, dès le 19 novembre, le Musée de Cluny, à Paris, présentera quelques pièces dans le cadre de l’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame ». Les images que nous avons pu voir sont bouleversantes.
Nathaniel Herzberg
Photos : Denis Gliksman et Hamid Azmoun
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