CARMAUX (81) : cimetière Sainte-Cécile
par
Jusqu’à ce que je visite la ville et son cimetière, Carmaux n’évoquait qu’une chose pour moi : les grandes grèves de mineurs et de la verrerie des années 1892-1895, et l’ acte fondateur de la conversion de Jean Jaurès au socialisme, qui les défendit. Je m’attendais donc à trouver un cimetière essentiellement ouvrier. C’était oublié que les mines de Carmaux ne sont pas dans la ville, mais dans ses périphéries, où des cimetières à forte imprégnation ouvrière existe, comme je l’ai présenté pour celui de Blaye-les-Mines.
A contrario, le cimetière de Carmaux est celui des notables, et particulièrement des propriétaires des mines. C’est un espace très agréable à visiter, certains endroits du cimetière étant très peu densément peuplés. On y trouve la chapelle Saint-Roch, monument religieux autrefois nommé église Ste-Cécile, qui est l’un des plus anciens lieux de culte de la cité minière puisque le plus vieux document qui en fait mention date de 1311.
L’enclos familial des Solages
Le cimetière de la famille Solages à Carmaux est une enclave privée située dans le cimetière de Sainte-Cécile. Il compte 26 tombes dont 2 se trouvent dans la crypte, 2 autres ne faisant pas partie de la famille. En 1964, le marquis Thibaut de Solages, dernier marquis de Carmaux, après avoir vendu son domaine de la Verrerie, céda cette enclave privée à la commune de Carmaux qui, depuis, se doit d’assurer l’entretien des tombes et des allées. Il n’est pas clôturé et fait désormais partie intégrante de la nécropole, même si son espace se distingue du reste des parcelles.
Les Solages sont une vieille famille d’extraction chevaleresque, originaire du Rouergue. Parmi les tombes de ce cimetière privé, nous présenterons celles des membres les plus éminents de la famille :
Gabriel de Solages (1711-1799), dit le chevalier de Solages était un officier de l’armée royale. Il obtint en 1751 un privilège royal pour la construction d’une verrerie, puis l’année suivante la concession des mines de houilles à Carmaux à la suite de son frère aîné. Il parvint à accroître l’importance de l’entreprise et à contourner les difficultés de transport, en recourant au charbon de Carmaux et en consommant sur place la plus grande partie de ses produits : il fit construire une verrerie à bouteilles. En décembre 1793, sous la Terreur, les Solages furent suspectés de soutenir le mouvement royaliste. Gabriel, son épouse et son fils furent arrêtés, et les mines furent mises sous séquestre et nationalisées. La chute de Robespierre permit aux de Solages d’être libérés. Malgré de nombreuses protestations de la part des propriétaires, ils parvinrent à diriger de nouveau les mines de Carmaux. C’est lui qui, en 1755, fit construire la gentilhommière familiale un peu à l’écart, sur la commune voisine de Blaye, qui fut transformé en un imposant château par son arrière-petit-fils Achille, pendant la Restauration. Il fut le premier à se faire inhumer dans ce qui allait devenir le cimetière privé de la famille, mais sa tombe n’a toujours pas été identifiée avec certitude. Il se pourrait qu’elle ait été déplacée à Blaye.
Hippolyte de Solages (1772-1811), petit-fils du précédent, émigra pendant la Révolution. Il fut inscrit sur la liste des suspects et des notables émigrés, ce qui valut à son père d’être emprisonné à la Conciergerie à Paris. Une de ses sœurs, Zoé de Solages (qui ne repose pas ici) fut l’arrière-grand-mère du peintre Henri de Toulouse-Lautrec. Il acheta en 1808 le château de Mézens dans le canton de Rabastens où habite actuellement toujours la famille. Il est le seul, avec son épouse Blanche Louise Antoinette de Bertier de Sauvigny, a reposer dans une crypte (édifiée par son épouse) dans un sarcophage posé sur des pattes de lion.
Achille de Solages (1804-1887), hérita du titre de marquis de Carmaux. Il loua la « Verrerie royale » à Eugène Rességuier qui l’abandonna pour construire la verrerie Sainte-Clotilde. Il fut à l’initiative de la construction de la voie ferrée Albi - Carmaux ouverte en 1857. Il dut faire face aux grandes grèves des mineurs en 1869 et en 1883. Il agrandit « la gentilhommière » de feu son arrière-grand-père pour en faire un imposant château qui disparut en 1895 lors d’un incendie.
Ludovic de SOLAGES (1862-1927), marquis de Carmaux, qui affronta les grèves des mineurs de Carmaux en 1892 qui l’obligèrent à démissionner de son poste de député du Tarn (1889-1892) où il s’était fait élire en tant que royaliste légitimiste, s’opposant aux mesures anticléricales. Il mena les luttes politiques contre Jean Jaurès qu’il ne battit qu’en 1898 (il fut à nouveau député jusqu’en 1902), année où il devint Président du Conseil d’Administration des mines de Carmaux. Il pnomma Charles Pérès directeur des mines avec qui il engagea un vaste programme de modernisation des mines, d’œuvres sociales et de constructions.
Le cimetière
Les protagonistes principaux des grèves de Carmaux reposent ici :
Le politicien Jean-Baptiste CALVIGNAC (1854-1934) : Fils de mineur, acquis aux idées républicaines et socialistes, il participa tôt à l’activité politique et syndicale, notamment pour la défense de la sécurité au travail. Il fut le premier maire socialiste de la ville en 1892. Son licenciement, que le patron Eugène Resseguier justifia par les absences qu’imposaient l’exercice du mandat municipal, entraîna un vaste mouvement de grève du 15 août au 3 novembre 1892 auquel participent 2 350 mineurs sur 3 000. Jean Jaurès soutient cette grève qui aboutit à la réintégration de l’élu carmausin et à la démission du directeur de la mine, responsable aux yeux des mineurs du renvoi de leur secrétaire syndical.
Georges RIEUNAU (1907-1971) : médecin enseignant à la Faculté de médecine et de pharmacie de Toulouse, il fut président de la Société française de chirurgie plastique reconstructive. Il était spécialiste d’orthopédie et de traumatologie et publia plusieurs manuels dans ce domaine. Il donna son nom à un prix de médecine décerné tous les ans.
Le linguiste Paul RIVENC (192-2019), qui fut l’assistant de Georges Gougenheim, Professeur à la Sorbonne, lors des enquêtes sur le français parlé et de la réalisation du Français fondamental, à partir duquel une équipe réunie par Paul Rivenc réalisa une nouvelle méthode d’enseignement du français, puis d’autres langues, se fondant sur des travaux basés sur la « langue parlée ». Paul Rivenc contribua avec Georges Gougenheim à la fondation du Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français (CREDIF) dont il est directeur-adjoint jusqu’en 1965. Il fut professeur émérite de linguistique, de sémiotique et de didactique des langues à l’université de Toulouse-Le-Mirail
Le sculpteur Jean-Pascal SIMORRE (1842-1902), auteur de la façade sculptée du café des arts et de l’emblème des travailleurs à Carmaux. Il laissa de nombreuses sculptures et pierres travaillées que l’on peut voir dans la ville et dans les cimetières du carmausin.
L’industriel Eugène RESSEGUIER (1824-1914), qui reprit la verrerie de la famille Solages. C’est lui qui affronta la grande grève de la fin du XIXe siècle : il imposa un lock-out. Malgré le soutien apporté par Jean Jaurès aux ouvriers, il parvint, avec l’appui des autorités préfectorales, à redémarrer l’usine en employant des ouvriers recrutés dans toute la France. Les anciens salariés grévistes de la verrerie décidèrent, avec l’appui de Jean Jaurès et de donateurs, de créer, en 1896, une nouvelle verrerie entièrement autogérée à Albi.
Commentaires