MENTON (06) : cimetière du vieux château
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Sur la hauteur qui surplombe les campaniles de l’église Saint-Michel et de la chapelle des Pénitents Blancs, deux cimetières se détachent devant le ciel.
Le plus éloigné s’appelle le Trabuquet, nom venant des pièges que l’on tendait autrefois aux oiseaux de passage sur la colline. Le plus proche, et le plus pittoresque, est établi depuis 1808 sur les vestiges du château-fort qui protégea la cité du XIIIe à la fin du XVIe siècle. Sa situation élevée en fait un extraordinaire belvédère.
Disons le de suite : sans aucun doute l’un des plus beaux cimetières de France ! Pas un hasard si dès le XIXe siècle, Maupassant et Flaubert le décrivent avec admiration. Il faut dire que le site s’y prête à merveille : une éminence dominant la mer et la baie de Garavan, des tombeaux cosmopolites plus ou moins ruinés dans une végétation méditerranéenne de cyprès ! La vue de la-haut est à couper le souffle.
Menton est un cimetière marin, pourtant pas à proximité immédiate de la mer. A l’entrée de la nécropole, des vers issus du Cimetière marin de Paul Valery insiste sur ce caractère paysager.
En été cependant, on regrettera que l’ambiance extraordinaire soit gâchée par la pollution sonore des scooters des mers et le brouhaha insipide des "animateurs" de plages se mêlant aux sons des enceintes diffusant de la musique. On se demande comment une quelconque municipalité puisse laisser agir une pollution pareille !
Ce cimetière est né, comme la plupart des cimetières urbains modernes, suite au décret du 23 prairial an XII interdisant les inhumations dans les églises et les cimetières paroissiaux, ce qui était le cas du vieux cimetière Saint-Michel autour de l’église. La municipalité décida donc l’acquisition du château en ruine, propriété du prince de Monaco déclarée bien national par les autorités révolutionnaires, pour réaliser le nouveau cimetière.
Vers 1885, Stéphen Liégeard décrit en ces termes le cimetière de
Menton : “En étages concentriques, il se dresse entre deux golfes, image d’un cône tronqué. De sa plate-forme, il commande la mer, le port, les quais et toute la côte, depuis Bordighera jusqu’à la presqu’île Saint-Jean, avec une délicieuse échappée au nord sur le Val de Menton. Au-dessous de lui, les toits de la casbah mentonnaise ressemblent à la houle des vagues, un jour de tempête. Le moyen, d’ailleurs, d’être triste dans ce coquet royaume du repos ? Que de frais bancs de marbre, à l’ombre des cyprès ! (...) Des fleurs, des statues, des bustes, des médaillons ornent les délires romantiques de cette forteresse.”
Dès le début du XIXe, Menton fut, on le sait fréquentée par des malades venus d’Europe du Nord et de l’Est. Ils ne guérirent pas tous, beaucoup furent inhumés sur place. Les tombes d’aspect sagement néoclassique des familles locales se distinguent des tombes des hivernants d’un style funéraire souvent beaucoup plus évocateur : urnes, colonnes brisées, envols de draperie, statuaire d’expression exaltée laissent rêveur et sont dignes du climat théâtral du célèbre Campo Santo de Gênes.
Par son caractère cosmopolite, le cimetière permet d’évaluer l’importance de certaines communautés étrangères comme par exemple, celle des représentants des empires centraux.
Les différentes ambiances du cimetière
La partie basse du cimetière est essentiellement composée de tombes anglo-saxonnes protestantes (quelques pasteurs suisses s’y trouvent également). Ce sont des dalles simples, souvent bavardes (citations des Evangiles souvent longues !), assez uniformément entourées de grilles, souvent rouillées désormais. Beaucoup de malades venus pour le climat, d’où des décédés régulièrement jeunes.
Parfois, un tombeau plus imposant tranche avec l’unité de l’espace.
Certaines tombes ne sont plus lisibles, voire totalement ruinées.
Sur les terrasses supérieures, un carré est davantage réservé aux populations orthodoxes d’origines slaves. Le coeur de cette "division" est une chapelle orthodoxe à bulbes contre laquelle est adossée la chapelle du prince Pierre Troubetskoï. C’est dans cette enclave que reposèrent jusqu’en 2005 les cendres de l’amiral Ivan Konstantinovitch GRIGOROVITCH (1856-1930), membre du Conseil d’État en 1914 et dernier ministre de la Marine impériale de Russie dde 1911 à 1917. En 1924, gravement malade, il quitta la Russie afin de recevoir des soins médicaux. Il se rendit à Menton, où il vécut dans un état d’extrême pauvreté. La France comme l’Angleterre lui proposèrent une pension, mais il refusa. Il termina sa vie en réalisant son rêve de jeunesse : peindre des paysages marins, tout en vivant de la vente de ses œuvres. Il mourut à Menton dans le plus grand dénuement et oublié de tous. Dans son testament, il avait émis le vœu d’être inhumé à Saint-Pétersbourg aux côtés de son épouse, mais il fut inhumé ici. En 2005, ses cendres furent très officiellement transférées à Saint-Petersbourg, dans la crypte familiale du cimetière de Nikolskoï au monastère Alexandre-Nevski.
A proximité se trouve la terrasse des Allemands
L’emprise de la mer : derrière la chapelle orthodoxe, à mesure que l’on monte sur le sommet du cimetière, les vues sur la mer deviennent étonnantes.
- La mer en toile de fond, sur laquelle se découpent clocher et campanile de la Basilique Saint-Michel-Archange.
C’est dans cette espace que se trouve ce qui est sans doute l’une des tombes les plus connues de France (en tout cas : l’une des plus photogéniques). Il s’agit de celle de la princesse polonaise Janina Jelowickich Lewandowska. La statue qui la surplombe représente l’envol d’une jeune femme hors de son cercueil. Elle se découpe de manière étonnante sur la baie et le front de mer. Cette tombe est la reproduction, en un peu plus grande, de celle de la cousine de la défunte, inhumée au cimetière Powązkowski de Varsovie où l’on peut encore voir l’original, les deux statues ayant été réalisées par le même artiste, le sculpteur italien Donato Barcaglio. Émue par la tombe de sa cousine, la jeune femme aurait désiré qu’il domine un jour sa propre sépulture. Atteinte de tuberculose, elle mourut à 27 ans. Qu’importent les angles de vue !
- La tombe originale, au cimetière Powązkowski de Varsovie
A proximité du sommet, le cimetière prend des couleurs italiennes : la langue, les couleurs, l’expression artistique en témoignent. Se trouvent ici les tombes des plus vieilles familles mentonnaises. Vieilles chapelles délabrées (parfois sous des alcôves insérées dans les anciens contreforts), statuaire plus denses, vieilles couronnes hors d’âge...
Le sommet de la colline offre évidemment les plus belles vues sur le site, mais donne également sur une petite terrasse sur laquelle se trouvent les dernières tombes, en particulier la chapelle Carroll of Carrollton (voir plus bas).
Curiosités
A l’entrée du cimetière, l’unique buste en bronze est celui du lieutenant Louis Vincent Bosano (1846-1870), issu d’une vieille famille de Menton d’origine génoise. Officier de l’Armée des Vosges, il participa à la guerre de 1870 et fut tué au combat.
Des carreaux d’argile émaillé ornent çà et là les murs du cimetière de mystérieuses citations en mentonnais. Il s’agit d’une réalisation de la peintre Jacqueline Verdini.
« Surtout ne nous plaignez pas. Notre voeu le plus cher était d’être réunis pour l’éternité et nous le sommes ». Cette inscription en cyrillique orne le flanc d’une tombe qui porte deux noms et une date unique de décès. Un jeune homme malade (Ernst Lentz) est venu de Russie soigner sa tuberculose à Menton, mais son état a empiré : peu de temps après son mariage, il expira. Pour ne pas le quitter, son épouse se donna la mort le même jour. Ils étaient âgés de 24 et 22 ans !
Célébrités : les incontournables...
S’il est bien le plus ancien et le plus beau cimetière de la ville, ce n’est pourtant pas ici que résident les "célébrités" de Menton (on ira les chercher à Trabuquet).
Contrairement à ce qu’on peut lire régulièrement, et en particulier dans le Beyern, la tombe de l’illustrateur Aubrey Beardsley existe toujours, cependant elle ne se trouve pas dans ce lieu mais au cimetière de Trabuquet.
... mais aussi
Charles CAROLL of CARROLLTON (1865-1921) : issu d’une ancienne famille irlandaise émigrée aux Etats-Unis en 1717, descendant du seul catholique signataire de la déclaration d’indépendance des États-Unis, il fut, durant la Première Guerre mondiale, un des principaux organisateurs des ambulances américaines (il fut en outre le fondateur du célèbre hôpital américain de Neuilly). Comme le précise sa longue épitaphe (signée Gabriel Hanotaux), il fut parmi les personnalités influentes qui firent évoluer l’opinion publique américaine vers l’entrée en guerre. Sa chapelle porte drapeaux français et américains. Dans la même chapelle repose George CABOT WARD (1876-1936), dont on ne trouve quasiment rien sur le net, ce qui est étonnant compte tenu que sa plaque indique qu’il fut membre de la Cour suprême américaine et gouverneur de Porto Rico.
John Richard GREEN (1837-1883) : historien britannique, on lui doit plusieurs ouvrages dont une Histoire du peuple anglais. Malade des poumons, il alla s’installer à Menton d’où sa présence dans ce cimetière.
Auguste MASSA (1819-1877), consul de Menton depuis 1843, maire de Menton et président du Grand Conseil (parlement) des villes libres en 1848, il fut l’un des principaux artisans de l’indépendance des cités par rapport à la dynastie monégasque, avant qu’elles ne soient intégrées au royaume de Piémont. Il était le neveu de Charles Trenca (1801-1854), qui fut chef du gouvernement des Villes Libres de Menton et Roquebrune en 1848, qui repose également ici.
Le général Louis PARTOUNEAUX (1770-1835), qui fit les campagnes du Premier Empire. En 1806, il fut nommé grand dignitaire de l’ordre des deux Siciles alors qu’il était gouverneur de Naples. Son nom est indiqué sur l’Arc de Triomphe. Il fut député monarchiste de 1821 à 1830.
Ernesta STERN (1855-1926), issu d’un milieu artistique et épouse d’un banquier parisien, qui tint à Paris un salon très admiré et encensé par les plus célèbres critiques mondains de l’époque. C’était notamment au salon d’Ernesta Stern que Proust et Reynaldo Hahn se donnaient rendez-vous. Elle fut en outre l’auteure, sous le nom de plume de Maria Star, de plusieurs ouvrages (dont douze romans et des journaux de voyage.
L’architecte danois Hans-Georg TERSLING (1857-1920), qui façonna la ville tout au long de la Belle Epoque, imposant son style néoclassique avec des touches de Renaissance italienne. Sa clientèle se composa d’aristocrates et de bourgeois aisés. Il construisit la villa Cyrnos pour l’impératrice Eugénie au cap Martin, et les bâtiments les plus remarquables de la ville. Menton lui doit son église russe, le palais Carnolès, le palais Viale ou encore l’actuel Palais de l’Europe. Prolifique, il créa des hôtels, des lotissements ou d’élégantes villas, notamment au cap Martin, dont il fut le principal promoteur et architecte dans les années 1890. La Grande Guerre le plongea dans d’importantes difficultés financières.
Le prince Andreï VOLKONSKY (1933-2008), compositeur, claveciniste et chef d’orchestre russe. Ancien élève de Dinu Lipatti, son style de composition se forma sous l’influence d’Igor Stravinski et de Sergueï Prokofiev, avant de se tourner vers l’avant-garde. Son cycle pour piano Musica stricta (1956) fut la première œuvre sérielle en musique russe. Il fit avec succès une carrière de claveciniste concertiste, collaborant avec l’Orchestre de chambre de Moscou. Il réalisa des enregistrements de musique vocale et instrumentale de l’époque de la Renaissance jusqu’au XVIIIe siècle. Il émigra en 1973 et s’installa en Provence où il resta jusqu’à la fin de sa vie.
L’historien allemand Alfred WOLTMANN (1841-1880), qui enseigna à l’université de Prague et à celle de Strasbourg.
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