Les cimetières du pays des vallées des Gaves
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Je viens de découvrir un article très bien fait sur les cimetières de la région de Lourdes. Cet article, que l’on peut retrouver ici, est un petit morceau d’une vaste monographie sur cette région que je vous invite à découvrir.
J’ai reproduit intégralement l’article. Les photos en proviennent toutes, et elles sont de Jean Omnès (voir son message plus bas). Je ferai ultérieurement des articles de compléments sur certains des cimetières que j’ai moi-même visité.
Les cimetières et leurs tombeaux
Le décret du 23 prairial de l’an XII (12 juin 1804)
C’est le décret napoléonien qui fixait les questions funéraires et l’organisation des cimetières. Fondement du droit actuel, il avait pour but de faire disparaître tous les problèmes sanitaires antérieurs. Les cimetières devaient être éloignés des habitations et les inhumations interdites à l’intérieur des villes, des bourgs et des édifices religieux. C’était la fin des cimetières autour des églises. Les inhumations devaient se faire « dans une fosse séparée assez profonde et remplie de terre bien foulée et distante des unes des autres. » C’était la fin des fosses communes, des tranchées : on parlait désormais du terrain commun. Et l’article 15, imposait aux communes de fermer le cimetière par des murs afin d’éviter la divagation des chiens errants. À l’intérieur, des fossés ou des haies vives, devaient être réalisés « en autant de parties qu’il y a de cultes différents avec une entrée particulière pour chacune. »
Cet article qui organisait des « carrés » selon l’origine cultuelle du défunt ne fut pas vraiment respecté à Lourdes et dans bien d’autres communes. Par simplification, les morts furent tous considérés comme ayant en commun la religion catholique.
L’organisation des cimetières de 1804 à nos jours
Le décret du 7 mars 1808, instaurait les servitudes pour les constructions voisines du cimetière (maisons, puits...) et l’ordonnance du 6 décembre 1843 réglementait les concessions, en créant trois classes : perpétuelle, trentenaire et temporaire (15 ans).
La loi du 14 novembre 1881, abrogeait l’article 15 du décret du 23 prairial de l’an XII, en interdisant les carrés confessionnels, afin de faire cesser les conflits de personnes, de confessions et de régler les problèmes des mécréants, suicidés, ou des enfants morts sans avoir été baptisés.
En 1905, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat interdisait, par son article 28, tout emblème religieux dans un emplacement public, sauf dans les terrains de sépulture, les cimetières et monuments funéraires. En 1993, la loi fut réactualisée avec la suppression du monopole des pompes funèbres.
Lourdes
Le cimetière ancien
- Cimetière ancien de Lourdes. Photo J. Omnès
Il est situé rue de l’Égalité (réminiscence de l’idéologie de la Révolution). Il n’a pas, bien sûr, la notoriété du « Père Lachaise » de Paris, mais une visite rapide peut nous permettre de retrouver tous les noms (à l’exception de Bernadette) qui ont fait ce que la petite cité est devenue aujourd’hui. C’est un lieu de mémoire par excellence.
ll n’est pas très beau : sans espace vert, ni plantation, il traduit bien, l’absence de souci esthétique ou environnemental des autorités locales de l’époque.
Des Mérovingiens à 1804
Jadis, les tombes se trouvaient à l’intérieur de l’ancienne église paroissiale Saint-Pierre, puis avec la démographie galopante, dans son enclos. Des sarcophages mérovingiens furent découverts sous le chœur et autour de l’abside de l‘église millénaire et dégagés par l’architecte de la ville, Ernest Seyrès, en 1906, lors de la démolition du bâtiment. Ces découvertes prouvaient que le site de tout temps a été une nécropole. Certains sarcophages sont exposés au château fort de la ville. De nouveaux sarcophages furent aussi découverts dans les rues environnantes (rue Basse, rue des Petits Fossés) lors de la réalisation du parking de l’office de tourisme en 1991, par l’archéologue Jacques Omnès. Sous la Révolution, par les décrets du 4 novembre 1789 et du 5 novembre 1790, la propriété des cimetières fût transférée aux communes, ce qui leur permit de récupérer l’entretien. Aussi, les autorités, à la recherche de salpêtre pour confectionner de la poudre, dite tyrannicide, ouvrirent un certain nombre de tombes, mais la puanteur était telle que leur déménagement fut envisagé, mais ne fut réalisé qu’en 1804, sous la municipalité Dufo. Le cimetière fut réaménagé hors des murs de la ville vers le quartier de l’Arberet, dans un enclos, pour éviter l’entrée de chiens errants, au bout du chemin devenu rue de l’Egalité.
Les tombeaux
Les tombeaux se répartissent dans des ilots séparés par des allées.
Ce cimetière est partagé en deux parties : la partie basse qui est la plus anciennes et la partie haute, séparée de la basse, par un mur de soutènement.
- Les Oblats
- Décoration de brancardier(croix à l’envers)
Aux noms à consonances bien locales, se mêlent de nombreux noms étrangers. Ce sont les pèlerins et parfois leurs brancardiers décédés dans la cité mariale. Les tombes des brancardiers sont reconnaissables à la médaille de pierre au crucifix inversé (tête en bas). On rencontre également les tombes de quelques hospitaliers aux noms prestigieux et celles de quelques familles nobles qui avaient fait de Lourdes l’objet de leur devoir ancestral de protection des plus faibles. S’ajoutent naturellement, les sépultures collectives des nombreuses congrégations religieuses installées dans la région depuis les Apparitions.
- Monument des ecclésiatiques
- Tombe de L Capdevielle, peintre.
On rencontre quelques tombes aux noms locaux connus. Celle des parents de Bernadette Soubirous est la seule tombe fléchée. Bernadette ne repose pas à Lourdes, ville qu’elle chérissait par-dessus tout, mais à Nevers. À quand son retour dans sa terre natale ? À côté, reposent le peintre Louis Capdevielle ; le buste est l’œuvre de son fils, puis la famille Pailhasson (colonne tronquée), chocolatier célèbre à l’épouse à la beauté non moins célèbre. Reposent également la famille Malespine (la pastille à l’eau de Lourdes), celle du maire Lacadé (de l’époque de Bernadette). Le sépulcre le plus imposant et le plus haut, est, comme il se doit, celui de Soubirous-Roques (propriétaire de l’hôtel Moderne et de la villa éponyme de la Mairie).
- Malespine, créateur de la pastille Vichy à l’eau de Lourdes.
- Soubirous-Roques
- Baron de Mohremhein. Photos J. Omnès
Parmi les hospitaliers, on retiendra dans l’îlot 5, la tombe du comte Étienne de Beauchamps, ancien président de l’Hospitalité de N-D de Lourdes ; un véritable CV en lettres d’or orne la pierre. La noblesse n’est pas en reste avec, à l’îlot 3, le vicomte de Beaurepaire-Lovigny, à l’îlot 5, le vicomte de Pouy, à l’îlot 1, le baron de Mohremhein, ancien ambassadeur de Russie sous Napoléon III. Beau vitrail.
Enfin et surtout, le mausolée de la famille de Béarn (Galard de Béarn), ancienne détentrice du comté de Bigorre. Il se trouve au fond sur la gauche ; comtes, vicomtes, princes et princesses se côtoient pour l’éternité.
- Tombes des princes du Béarn
Le monument du caveau des soldats morts pour la patrie a été réalisé par la commune en 1928.
- Tombeau des Campbell.
Notre préférence va à la tombe qui se trouve au fond, à l’extrême droite. C’est la seule sans nom, composée d’un parterre en pelouse et entourée d’arbustes. Trop rare pour ne pas la mentionner. À l’opposé, la plus sophistiquée, celle de la famille Campbell, est semble-t-il l’œuvre d’un architecte de Tarbes, L. Grimal : « Propriété artistique réservée ». La statue de l’ange a été exécutée en marbre de Carrare par un sculpteur de Rome. L’ensemble restauré par le marbrier Voldoire d’Arcizac-ez-Angles est composé de deux monuments grandioses qui mériteraient un classement aux Monuments historiques. Cette sépulture hors du commun sert de dernière demeure à la famille Campbell-Johnston, vieille et importante famille, d’origine écossaise, installée à Brive-la-Gaillarde. L’oncle du dernier défunt, Diarmid Ian Alexander, a été camérier de Léon XIII et de Pie X.
Dans la partie basse du cimetière, nous trouvons la tombe de Blanche d’Orléans, princesse de la maison royale de France.
Une mention particulière pour Louis Le Bondidier. Une affection pulmonaire l’emporta le 9 janvier 1945. Il fut alors inhumé temporairement dans ce cimetière. Puis, selon ses dernières volontés, sur le turon de la Courade, à Gavarnie, à côté de Frantz Schrader.
Le cimetière nouveau, rue de Langelle
Ce nom vient de la présence de la statuette de l’ange située dans une niche, face à la Poste.
Sa construction a été décidée en 1929, puis sa surface a été agrandie en décembre 1943 par l’adjonction du terrain Le Rodellec. Les différents pèlerinages demandèrent dès son ouverture, une concession, car il devenait habituel que les pèlerins décédés à Lourdes soient enterrés dans la cité mariale. Ainsi, furent construits les monuments pour recevoir les tombes communes pour les pèlerins belges, italiens, anglais, irlandais, flamands et alsaciens.
Au fond de ce cimetière se trouve la tombe de la famille Doerr dont celui de X, Manouche, devenu sédentaire à Lourdes. Une grande guitare de granite rose remplace la croix symbolique. La dalle est recouverte de poèmes honorant les artistes manouches et les manadiers qui viennent discrètement rendre visite à leur frère, en passant par l’entrée de service au fond du cimetière. Lui et sa famille animait musicalement le restaurant du café de la Rotonde, rue de la Grotte. Elle était parfois rejointe par Django Reinhart qui logeait alors rue de Cagots.
- Dos du tombeau du père Giacomo. Photos J. Omnès
Autre tombe qui fait la renommée du cimetière, celle du père Giacomo. Elle est fléchée et facile à distinguer : elle est recouverte de fleurs et de plaques d’ex-voto qui entourent un piédestal supportant une Bible ouverte. Il s’agit de la tombe d’un capucin italien : Giacomo Filon, faiseur de miracles. Confesseur à Udine, il était réputé pour soulager les détresses, toutes sortes de détresses. Malade, il partit pour Lourdes en affirmant que la cité mariale serait sa dernière demeure. Il mourut en 1948, le soir même de son arrivée, en prononçant ces mots : Je suis heureux car la Vierge Marie me veut ici. Même mort il est censé avoir des pouvoirs thaumaturgiques. Une boutique, au 96, rue de la Grotte : Sainte Marguerite, propose des images du prêtre avec relique (bout de tissu) et un petit livre sur la vie de l’homme. La tombe voisine est celle de Madeleine Marty (1907-1945), pieuse gardienne durant des années, de la sépulture du capucin.
Le cimetière du château fort
Le château fort abrite un petit cimetière. Il est composé de tombes mérovingiennes, dont une particulière à deux niveaux. Ce sont les sarcophages trouvés par l’architecte Seyrès en 1906, lors de la démolition de l’église paroissiale millénaire. On y trouve aussi des tombes basques au fronton discoïdal.
- Sarcophages et tombes basques au château fort de Lourdes.
Quelques communes
En se dirigeant vers le Lavedan (Sud de Lourdes), les escarpements se multiplient et les terres horizontales pour l’installations de cimetières se font de plus en plus rares. La plupart de ces derniers se trouvaient et se trouvent encore autour des enclos de leur église. Quelques pierres tombales jonchent le sol des plus ancien sites. Certains villages, par manque de place ont préféré déplacer entièrement leur cimetière de l’enclos, vers des terrains à l’extérieur, laissant ainsi place à une pelouse.
Argelès-Gazost
Tombe d’Eliane Embrun, chanteuse et parolière à la voix expressive et sensuelle des années 50, décédée en février 2009. Eliane Embrun, de son vrai nom Éliane Branchard, était née en mars 1923 à Argelès-Gazost. Nous lui devons « Au chant des mandolines », « Congo », « La semaine d’amour », « Valse perdue » et bien d’autres.... : Eliane Embrun avait chanté au Liban, en Belgique, au Brésil et en Egypte.
Elle avait fait des émissions télévisées « Music-Hall Parade » avec Gilles Margaritis et au cinéma, elle avait joué un rôle dans « Une fille à croquer » aux côtés de Serge Reggiani et Louise Carletti.
Arès avoir mis fin à sa carrière vers 1960, pour des raisons personnelles et familiales, elle retourna dans son pays natal.
Gavarnie
Le cimetière : à côté de l’église. Un peu triste et laissé à l’abandon, malgré le nombre important de personnalités qui y reposent. Les grands guides de Gavarnie : les Passet dont Laurent (1810-1864), Hippolyte (1813-1884), Henri (1845-1920) et le plus connu Célestin (1845-1917).
Quelques tombes de Pyrénéistes : en sortant de l’église, au fond, à droite, celle du Savoyard Jean Arlaud (1896-1938), médecin montagnard, fondateur en 1920 du groupe des « Jeunes » (GDJ), il participe en tant que médecin à l’expédition française au Karrakoran dans l’Himalaya ; à côté, un rocher commémoratif aux nombreuses victimes de la montagne.
Plus avant, la sépulture de l’abbé Ludovic Gaurier (1873-1931), grand spécialiste des lacs et des eaux, initiateur du barrage d’Artouste. La plaque de bronze est due au sculpteur béarnais Gabard et celle de Diego Calvet (1898-1922) avec hommage du C.A.F. (1) et l’épitaphe : « Des plus purs
- Tombe Ledormeur.
sommets, des montagnes les plus ardues dont il aimait les grands horizons et les dangers, il est parti vers les sommets éternels, n’ayant pas connu dans la vie, l’ombre de la vallée ».
Celle de Georges Ledormeur, employé dans un cabinet d’architecte à Tarbes ; il a près de 1 500 sommets, dont 120 au dessus de 3 000 mètres à son actif. Il est à l’origine des plans de la construction du refuge qui porte son nom au Balaïtous et d’un guide richement documenté avec cartes qui servira plus tard, pour organiser les passages en Espagne (1943-1944).
Un lieu si empreint d’histoire mériterait une meilleure présentation.
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