CHASLES Michel (1793-1880)

Père Lachaise, puis cimetière Saint-Chéron de Chartres (28)
samedi 12 janvier 2013
par  Philippe Landru

Peut-être que vous ne gardez pas un excellent souvenir de cette fameuse « relation » qui prit son nom, même si cette propriété était déjà utilisée avant lui !

Étonnant personnage que ce Michel Chasles...et comme nous allons le voir, parcours funéraire pas si évident que tout le monde l’entend !

Après de brillantes études secondaires, Chasles entra à Polytechnique en 1812. Il y devint professeur en 1841. En 1846, une chaire de géométrie supérieure fut créée pour lui à la Sorbonne. Il fut élu en 1851 membre de l’Académie des sciences, dont il était correspondant depuis 1839.
Il devint également membre étranger de la Royal Society en 1854, tandis que ses travaux de géométrie lui valurent la Médaille Copley en 1865.

Outre cette fameuse « Relation » auquel son nom est attaché, on lui doit également un théorème, la création du mot « homothétie », et un grand nombre de travaux sur les coniques. Historien des mathématiques, il publia en 1837 un Aperçu historique sur l’origine et le développement des méthodes en Géométrie.

Ce très sérieux scientifique s’illustra également dans un autre domaine où il fit preuve de beaucoup d’amateurisme, et la confusion qui s’en suivit entacha sa réputation. Amateur d’histoire, et collectionneur d’autographes,
il présenta à l’Académie des sciences une série de lettres inédites prétendument de Pascal, que le faussaire Vrain-Lucas venait de fabriquer. Elles voulaient établir qu’avant Newton, l’auteur des Pensées avait découvert le principe de l’attraction universelle. Un savant anglais fit observer qu’on y trouvait des mesures astronomiques bien postérieures à la mort de Pascal. Plutôt que de reculer, Chasles s’entêta et produisit des lettres de Galilée, puis on apprit qu’il avait également acheter d’autres lettres, d’Alexandre le Grand à Aristote, de Jules César à Vercingétorix, de César à Cléopâtre ... toutes rédigées dans un faux vieux français !

Ses collègues de l’Institut prirent la chose avec bonne humeur, mais à l’étranger — à Londres en particulier — on fit des gorges chaudes du manque d’esprit critique des scientifiques français.

Pas rancunier, Chasles légua à sa mort sa collection à l’Institut, y compris les faux fabriqués par Vrain-Lucas.

Tous les guides sans exception (Moiroux, Gabrielli, Beyern, Bauer ...) placent sans difficulté sa tombe dans la 17ème division du Père Lachaise, que tous les connaisseurs du cimetière savent retrouver sans problème.

On n’y fait guère attention, mais un sarcophage d’ornement, portant l’identité du scientifique, et son appartenance à l’Institut, surmonte la massive chapelle.

L’énigme Michel Chasles…

A l’intérieur, une plaque rappelle le souvenir de plusieurs membres de la famille, en particulier son frère Henri Lubin Adelphe Chasles, qui fut maire de Chartres et député (voir plus bas). Petit détail auquel on ne fait guère attention : la plaque du Père Lachaise indique systématiquement, pour les parents et les fils : « à la mémoire de ». En règle général, cette mention indique l’ajout du souvenir d’un membre de la famille qui n’est pas inhumé avec les autres. Ici, le sens doit être autre...

Dès lors, comment expliquer cette étonnante trouvaille que j’ai faite au cimetière Saint-Chéron de Chartres.

Chasles y possède également un tombeau, plus modeste mais dans la même veine que celui du Père Lachaise (chapelle surmontée d’un sarcophage).

La lecture de la plaque est encore plus troublante : les mêmes noms apparaissent qu’au Père Lachaise (Michel, son frère, leurs parents...), mais ils sont indiqués cette fois-ci non pas « en mémoire » mais textuellement « inhumés sous cette pierre » !

Une plaque, datée de 1881, fut érigée par Louis Michel Henri Chasles « à la mémoire de sa famille dont il est le dernier survivant ».

Dès lors que croire ? Chasles -il n’est pas le seul, je pense en particulier aux Legouvé - nous gratifie donc post-mortem de l’énigme de la double tombe. Toutes les sources l’indiquent au Père Lachaise, mais y est-il réellement -l’opposition des mentions « en mémoire » et « inhumé sous cette pierre » est tout de même troublante ? Fut-il inhumé au Père Lachaise puis transféré à Chartres ? Voici pour l’instant l’état d’une question. Je n’ai trouvé pour l’instant aucune source corroborant l’une ou l’autre thèse.

Rebondissement dans l’affaire Chasles ! Quentin Stinat, lecteur du site, m’envoie un complément d’information précieux : il a retrouvé la tombe du frère de Michel, le député Henri Lubin Adelphe CHASLES (1795-1868). Notaire à Paris, il fut nommé maire de Chartres par Louis-Philippe en 1830 et le resta jusqu’en 1847. Battu une première fois en 1830 à l’élection de député, il réussit à se faire élire député de Chartres l’année suivante et le demeura jusqu’en 1848. Il fut également Conseiller général d’Eure et Loir (1833-1848).

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Naissance de Henri Lubin Chasles - Chartres, an 4.

Ce dernier repose avec son épouse dans le cimetière de Vitray-sous-Brezolles (actuelle Crucey villages) (28). Cet élément tenterait à corroborer le fait que Michel Chasles repose bien à Chartres, et que la tombe du Père Lachaise ne serait qu’un cénotaphe familial où reposeraient des descendances plus tardives.

… L’énigme levée

En décembre 2019, Benoit Gallot, conservateur du Père Lachaise (que je remercie au passage), m’envoie la résolution de l’énigme (depuis, la mise en ligne des registres du cimetière a rendu la tâche encore plus aisée).

L’énigme est enfin levée : Michel Chasles fut inhumé en 1880 au Père Lachaise, puis transféré en 1881 au cimetière de Chartres. La tombe du Père Lachaise est donc bien désormais un cénotaphe !


Retour vers le Père Lachaise


Merci à Quentin Stinat pour la photo de la tombe d’Henri.


Commentaires

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CHASLES Michel (1793-1880)
samedi 21 mars 2020 à 16h37 - par  Roger Rousselet

A propos de l’énigme M. Chasles Père Lachaise ou Chartres on lit s/le registre journalier du P.L. au 21 12 1880 P. 16, qu’il est inhumé dans la 17è Div. etc, puis que le 29 3 1881 il fut transporté à Chartres, ceci valant pour lui, les autres membres de la 17è ont-ils suivis ? A suivre.

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lundi 23 mars 2020 à 14h01 - par  Philippe Landru

Merci Roger. En décembre 2019, Benoit Gallot, conservateur du cimetière, m’avait livré la même information mais je n’avais pas encore mis mon article à jour : c’est chose faite.

Michel Chasles, définitivement, ne repose donc plus au Père Lachaise.

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CHASLES Michel (1793-1880)
lundi 22 octobre 2018 à 09h23 - par  Nadia SOLER

Bonjour. Concernant Henri Lubin, le cas semble identique à celui de son frère Michel. Dans cette notice conservée à la BNF, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63559889 , il est indiqué que Henri Lubin a été déposé dans le caveau familial au Père Lachaise , et plus loin, que son corps ne reposera pas en Eure-et-Loir ...... mais on retrouve pourtant là aussi une tombe en Eure-et-Loir et comme l’a précisé une autre personne, il n’est pas indiqué sur la plaque comme enterré à Chartres ..... la piste du cenotaphe au Père Lachaise semble tout de même se préciser grâce à ce « En Mémoire de » ...

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CHASLES Michel (1793-1880) ==> énigme de la tombe
mercredi 12 août 2015 à 19h15 - par  Clemence

Bonjour,

suite à cette page web j’ai été fort curieuse et j’ai donc cherché la dite sépulture de Michel CHASLES au cimetière saint chéron à chartres ; j’habite tout près

j’ai donc découvert celle-ci et j’ai été lire la plaque, en effet il y a bien écrit pour Michel « inhumé sous cette pierre » et pour Henri il n’y a rien (ce qui signifie qu’il est enterré ailleurs comme l’a précisé un autre internaute)

quand j’aurai + de temps je me renseignerai, irais prendre des photos et tenterai de chercher dans les archives de la ville si j’en ai la possibilité

cette énigme est vraiment intéressante !

Site web : u
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CHASLES Michel (1793-1880)
dimanche 13 janvier 2013 à 15h04 - par  MARRY Ghislain - EVIGNY (Ardennes)

@Philippe :

Afin de savoir où repose très précisément le mathématicien Michel CHASLES, une seule solution à mon humble avis : faire ouvrir les deux tombeaux (celui du Père Lachaise et celui de Chartres ) !

Personnellement, à la lumière de vos observations et de ce qui est gravé dans la chapelle funéraire, je pencherais pour le cimetière Saint-Chéron de Chartres !
Le service des Archives de la ville de Chartres devrait nous aider à éclaircir ce mystère !

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dimanche 13 janvier 2013 à 23h10 - par  Philippe Landru

Le problème est que l’on risque de tomber sur un os : il peut très bien y a voir eu un enterrement solennel au Père Lachaise (avec les corps constitués, membre de l’Institut...) et transfert ensuite. Je suis bien content d’avoir levé un lièvre en lequel, moi itou, tout le monde croyait.

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dimanche 13 janvier 2013 à 21h53 - par  MARRY Ghislain - EVIGNY (Ardennes)

@Philippe :
Si mes recherches généalogiques sur le Net sont exactes, Louis Michel Henri CHASLES (1833-1907) était le NEVEU du célèbre géomètre et scientifique (Floréal) Michel CHASLES, qui aurait été inhumé à Chartres sous ce mausolée, après avoir reposé un an au Père Lachaise !

La sépulture du Père Lachaise ne serait-elle qu’un cénotaphe ? Les journaux de l’époque ont dû relater les obsèques de ce mathématicien hors normes, et de son éventuel transfert !

Mystère, mystère, vous avez dit Mystère ? Oui j’ai dit Mystère !

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CHASLES Michel (1793-1880)
samedi 12 janvier 2013 à 11h42 - par  MARRY Ghislain - EVIGNY (Ardennes)

Juste une petite remarque orthographique : le terme inventé par Michel CHASLES est ’« l’homothétie » et non « l’homotéthie » !
(Le suffixe « tie » comme dans « calvitie » ; « acrobatie » ; « minutie »... )

Bon week-end !

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samedi 12 janvier 2013 à 12h01 - par  cp

S’écharper à cause d’un châle, est-ce bien raisonnable ?... Ou alors, c’est qu’on est fichu !