LUMIGNY (77) : cimetière
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De tous les petits cimetières ruraux visités, celui de Lumigny est sans doute celui qui a le plus conservé l’aspect qu’il avait à la fin du XIXe siècle : une très grande partie des tombes anciennes, pour la plupart abandonnées, ont conservé leur entourage metallique qui était la règle. Parions malheureusement que la situation ne durera pas, et qu’une volonté hygiéniste passera bientôt y mettre « de l’ordre ».
Ce sera d’autant plus dommage qu’il existe finalement désormais très peu de cimetières qui ont gardé cet aspect ancien, faisant de celui de Lumigny un véritable conservatoire des pratiques funéraires du XIXe siècle. Ce capharnaüm de croix et d’entourages rouillés ont évidemment un charme tout romantique. On ne comprendra jamais pourquoi les petites communes rurales, qui n’ont pas le problème de surpopulation des grands cimetières urbains, se sentent toujours obligées de « faire le ménage », faisant ainsi disparaître tout ce qui demeure de leur passé, pour les remplacer par des vilaines nécropoles sans âme : dans le domaine du funéraire, les matériaux nobles des Français du XIXe siècle (même les plus modestes) surpassent largement la laideur kitsch des tombeaux nos contemporains !
Dans un coin du cimetière, quelques tombeaux d’allure sévère annonce l’enclos familial des derniers seigneurs du lieu, qui habitèrent le château jusqu’au milieu du XXe siècle : la famille de Mun.
Parmi les stèles similaires alignées contre mur se trouve celle d’Albert de MUN (1841-1914).
C’est alors qu’il était en captivité en Allemagne, avec son ami René de La Tour du Pin, qu’il découvrit le mouvement catholique populaire existant outre-Rhin depuis 1848 à l’initiative de personnalités telles que Wilhelm Emmanuel Ketteler, archevêque de Mayence et initiateur du catholicisme social, dans la mouvance du parti du Zentrum. Les événements de la Commune de Paris (1871) et la répression sanglante qu’elle entraîna, lui firent mesurer le fossé qui séparait la classe ouvrière du libéralisme : là où le mouvement marxiste apportait des réponses, la catholicisme n’avait rien fait pour s’adapter à la donne nouvelle, conservant des vues ultramontaines et conservatrices très éloignées des aspirations de la nouvelle classe ouvrière.
Pour tenter d’y remédier, il fonda alors avec ses amis les cercles ouvriers. Il souhaitait contribuer de cette façon à la rechristianisation du peuple et à la défense de ses intérêts matériels et moraux.
Député du Morbihan de 1876 à 1878 et de 1881 à 1893, puis du Finistère de 1894 à 1914, il contribua à l’élaboration de presque toutes les lois sociales de la Troisième République. Catholique et monarchiste, il soutint l’aventure populiste du général Boulanger pour contrecarrer la république bourgeoise. Il se rallia à la République dans le sillage des positions de Léon XIII et de la Doctrine sociale de l’Église. En 1901, il fut avec Jacques Piou l’un des fondateurs d’Action Libérale Populaire, le parti politique des catholiques ralliés à la République. Il se démarqua de beaucoup de catholiques en prenant, au début du XIXe siècle, position contre l’Action française.
Albert de Mun, tout comme Lacordaire, Léon Harmel et Montalembert, fut une figure marquante de l’évolution du message social de l’Eglise au XIXe siècle.
Il fut élu à l’Académie française en 1897.
Il fut primitivement inhumé au cimetière de la Chartreuse de Bordeaux avant son transfert ici. Comme le précise sa tombe, son épouse repose au cimetière de Picpus à Paris auprès de ses parents.
Près de lui repose son fils, Bertrand de MUN (1870-1963), qui dirigea la maison Veuve Clicquot-Ponsardin jusqu’en 1951 et fut président de la Chambre de commerce et d’industrie de Reims et d’Épernay de 1929 à 1940. Il fut député de la Marne de 1914 à 1920 et de 1924 à 1928.
Une autre plaque cénotaphe honore la mémoire d’un autre académicien français, Robert d’Harcourt (1881-1965), qui était le neveu d’Albert de Mun. Il ne repose néanmoins pas ici mais au cimetière de Pargny-lès-Reims.
Tranchant avec ces tombes anciennes, la tombe de l’architecte Jean-Marc GEISER (1929-2005), qui réalisa avec son fils Luc (1954-1988) un dirigeable à pédales (!) opérationnel, le Zeppi.
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