RUSSIER Gabrielle (1937-1969)

Père-Lachaise - 26ème division
mercredi 31 décembre 2008
par  Philippe Landru

Discrète parmi des tombes plus prestigieuses se dissimule, en hauteur bordée par une rampe, la tombe de Gabrielle Russier. Peu de visiteurs lui rendent visite : l’amnésie est de mise dans nos sociétés passé un bref délai. A son époque pourtant, cette femme défraya la chronique.

Printemps 1968. Issue d’un milieu bourgeois, Gabrielle Russier est agrégée de lettres. Mère de deux enfants, divorcée, elle est enseignante au lycée Nord de Marseille, où elle est appréciée par ses élèves qu’elle initie au théâtre moderne, au cinéma et à la peinture. L’un d’eux, Christian Rossi, 16 ans, est en classe de seconde. Il est fasciné par cette prof moderne et enthousiaste, elle est troublée par l’intelligence, la curiosité du lycéen. Ils finissent par tomber amoureux, et se lancent dans une idylle passionnée dans le contexte du si joli mois de mai, que Gabrielle, de sensibilité de gauche, accueille avec enthousiasme. En juin, la romance vire à l’aigre : les parents du mineur, prévenus, tentent d’écarter leur fils de sa « coupable » liaison. Pendant plusieurs mois, ils l’exilent en Allemagne, puis dans les Pyrénées : les amants se retrouvent. Impuissants, ils portent plainte : le 14 avril 1969, Gabrielle est incarcérée aux Baumettes. Elle y reste deux mois, hébétée, mais obstinée dans son amour. Le procès se traîne : le procureur demande une peine de treize mois de prison non amnistiables. L’affaire est renvoyée en octobre. Il n’y aura pas de procès. Le 1er septembre, Gabrielle, effondrée et calomniée, se suicide chez elle après avoir confié son chat à son voisin.

Sa mort indigne et divise la France : elle est l’occasion d’ouvrir un débat de société sur la réalité du détournement de mineur. Passion amoureuse « illégale » terminée dramatiquement : qu’en est-il finalement de cette libéralisation des mœurs promise dans le sillage de mai 68 ? On interroge Pompidou sur l’affaire, qui répond laconiquement en citant Eluard : « Comprenne qui voudra. Moi, mon remords ce fut la victime raisonnable ». En 1971, André Cayatte s’empare du drame et réalise Mourir d’aimer, dans lequel Annie Girardot incarne Gabrielle, l’un de ses plus beaux rôles. Serge Reggiani lui rend également hommage dans sa chanson Gabrielle :

Qui a tendu la main à Gabrielle
Lorsque les loups, se sont jetés sur elle ?
Pour la punir d’avoir aimé l’amour
En quel pays, vivons nous aujourd’hui
Pour qu’une rose soit mêlée aux orties
Sans un regard, et sans un geste ami ?

L’affaire Russier est encore fraîche en 1974 lorsque la majorité passe à 18 ans. Puis son souvenir s’estompe, progressivement, sûrement. Qu’il me soit permis d’en raviver aujourd’hui le souvenir, à une époque où il est de bon ton de remettre en cause les idéaux de mai 68. Pour les amateurs du Père-Lachaise, la tombe de Gabrielle Russier appartient à une catégorie bien spécifique : celle de victimes, le plus souvent jeunes, dont la mort donne lieu à un immense débat de société, dont l’ampleur de l’émotion dans l’instant est proportionnelle à la rapidité de l’oubli dans lequel ces personnes retombent ensuite. Chacun dans leur domaine, Pierre Overney, Gabrielle Russier ou Malik Oussekine appartiennent à cette catégorie. Marie Trintignant les y a déjà rejointe. Leur mort dramatique se transforme alors en fait divers oublié dans le minéral, que nous, taphophiles, nous aimons dénicher.


Commentaires

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en souvenir RUSSIER Gabrielle (1937-1969)
mercredi 24 novembre 2010 à 02h30 - par  Pierre

J’avais 19 ans alors et je croyais à l’amour . En mémoire de toi Gila qui a mis un terme à ta vie, comme elle et pour les mêmes raisons. Ta tombe est bien loin de France mais vos destins sont si proches.
Le vent t’a emportée il y a 15 ans, ce vent fou qui ravagea ma vie et qui y a laissé une blessure qui ne se referme pas.
Je fleurirai cette tombe soeur de la tienne à Istanbul avant de revenir te voir un jour ,et, comme le croient mes amis Balinais, la fragrance des fleurs que je lui offrirai s’élèvera jusqu’à toi pour te dire que je ne t’oublie pas.
Pierre

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RUSSIER Gabrielle (1937-1969)
lundi 10 août 2009 à 01h21 - par  Pierre

Bonsoir,

Commentaire remarquable.
Remerciements.

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mardi 18 août 2009 à 00h30 - par  Hugo

L’autre jour en montrant La Fontaine-Molière, j’ai fait un détour vers la tombe de Gabrielle Russier. Les gens n’ont pas oublié, ni le film, ni la chanson d’Aznavour qui reste dans les mémoires... Est-ce qu’on parlerait aujourd’hui de cette histoire avec autant de haine ? Sans doute que non, encore que...
Hugo

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lundi 10 août 2009 à 01h37 - par  Pierre

Ah, joubliais : « Mourir d’aimer » de Charles Aznavour.

http://www.malhanga.com/musicafrancesa/aznavour/mourir.htm