MÔQUET Guy (1924-1941)

Père-Lachaise - 97ème division
dimanche 17 février 2008
par  Philippe Landru

Issu d’une famille communiste (son père était député), il fit ses études à Paris, puis adhéra au mouvement des Jeunesses communistes. Il participait à la reconstruction clandestine du parti (qui avait été interdit) lorsqu’il fut arrêté à la Gare de l’Est, le 13 octobre 1941, alors qu’il distribuait des tracts clandestins. Emprisonné à la Santé, puis à Fresnes, il fut, malgré son acquittement, maintenu en prison et envoyé en camp d’internement. C’est au camp de Châteaubriant, en loire-Atlantique, qu’il fut fusillé comme otage avec 26 de ses camarades, le 22 octobre 1941, à l’âge de 17 ans.

Inhumé au cimetière du Petit-Auverné (44) (voir à ce sujet l’article sur Les fusillés de Châteaubriant), il fut transféré à la Libération au Père-Lachaise avec d’autres fusillés. Son nom fut donné à une station du métro parisien.

La polémique

En 2007, lors de son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy prit la décision « de faire lire chaque année dans tous les lycées la dernière lettre du jeune résistant Guy Môquet », adressée à sa famille.

Plusieurs polémiques naquirent à cette occasion. Nous les résumerons donc dans les lignes qui suivent :

- en premier lieu, on dénonce l’utilisation faite de l’usage de l’histoire à des fins électorales (le fait que Guy Môquet ait été communiste est finalement le premier signe de « l’ouverture » stratégique du président de la République (on se souvient que Blum et Jaurès revinrent également plusieurs fois dans ses discours)).

- Le fait que Guy Môquet soit considéré comme résistant fait débat dans le milieu historique : le fait est qu’il militait pour une re-légalisation du parti communiste dans la France occupée, ce qui n’est pas en soi un acte de résistance. Rappelons d’ailleurs qu’il ne fut pas fusillé pour faits de résistance mais en tant qu’otage. Néanmoins, le grand public perçoit mal ces nuances et considère le plus souvent la mort du jeune homme comme un acte de résistance. En outre, d’autres historiens considèrent que vouloir re-légaliser le parti communiste sous Vichy était en soi un acte de résistance.

- Plus grave sans doute, la lecture de cette lettre, selon N. Sarkozy, le « bouleverse » à chaque fois : on rétorquera qu’on ne fait pas de l’histoire avec du pathos, et qu’ici, le jeune âge du fusillé joue en faveur d’une dramatisation médiatique qui prend la place de la réflexion historique. On ne fait pas usage de l’histoire « à la demande », fut-ce sous injonction du chef de l’Etat (où cela s’apparente à de la propagande). En outre, lire une lettre sans avoir vraiment le temps d’en présenter le contexte précis, les tenants et les aboutissants, peut obtenir l’effet contraire à celui désiré, à savoir une « étape oblige », banalisée et privée de tous sens d’un parcours scolaire.

- Si émouvante qu’elle fût (ce que personne ne conteste), la lettre de Guy Môquet est peu pertinente pour l’étude dans la mesure où elle est d’une grande pauvreté « historique » : rien n’est dit sur son contexte, les circonstances et les conséquences de l’acte. Ce dont on ne peut faire grief à un jeune homme qui va mourir avec beaucoup de courage, on peut en revanche le reprocher à un chef d’Etat qui n’a finalement pas la clairvoyance d’en prendre acte. D’autres lettres de fusillés auraient, dans ce domaine, été d’une plus grande richesse pour l’étude... encore qu’il faille avoir le temps, ce qui dans le contexte des programmes scolaires n’est pas le cas. Ainsi, pour des secondes qui sont actuellement en train de traiter le christianisme au Ier siècle ou la Méditerranée au XIIe siècle, on aimerait connaître par quel processus magique l’étude du contexte de 1941 prend du sens !!!

- On peut enfin se poser la question de la décence de telles pratiques : utiliser une lettre à usage privée pour tout et n’importe quoi (on pensera à sa lecture dans les vestiaires du Stade de France avant le match de Rugby France-Argentine... Certains esprits caustiques ne manqueront pas de rappeler d’ailleurs que le match fut perdu par la France !!!).

La fameuse lettre

Ma petite maman chérie,

mon tout petit frère adoré,

mon petit papa aimé,

Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas ! J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t’ai fait ainsi qu’à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée.

Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.

17 ans 1/2, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine.

Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage !

Votre Guy qui vous aime.

Guy

Dernières pensées : Vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir !"

La tombe de Guy Môquet

 [1]

Annick, 73 ans aujourd’hui, est la fille de l’institutrice du village dans lequel a été enterré le jeune militant. Elle raconte.

« Après l’exécution, les soldats allemands disséminèrent les 27 cercueils, trois par trois dans 9 cimetières des environs, »de préférence des petites communes, d’accès difficile, espérant ainsi que l’oubli passerait plus vite, qu’on hésiterait à se déplacer« , raconte Alfred Gernoux (in »Châteaubriant et ses martyrs« , 1946). Spontanément, les tombes furent fleuries, chaque communes voulant faire mieux que l’autre ». Les cercueils n’étaient désignés que par des numéros, maisla liste des noms fut rapidement colportée par les rumeurs.

A 17 km de Châteaubriant, le Petit-Auverné compte en 1941 quelques centaines d’habitants, répartis dans de grosses fermes, autour d’une épicerie et deux écoles : celle des Bonnes-Sœurs et celle de la République. L’institutrice de l’enseignement publique vit seule avec sa fille Annick : son mari a été fait prisonnier en Allemagne.

Annick a 73 ans aujourd’hui. C’est elle qui raconte aujourd’hui pour la première fois l’histoire de la tombe de Guy Môquet.

"Ces jours-là, toute la région ne parlait que des 27 otages fusillés à La Sablière. Le 24 octobre au matin, on apprend que trois d’entre eux allaient être enterrés dans le cimetière du village, dont Guy Môquet. Parmi nous, son nom était le seul à circuler, parce qu’il était si jeune. A l’époque, être communiste, c’était faire partie des bannis, en plein dans le collimateur, comme si on était juif. Pour Guy Môquet, la population n’était pas allée chercher si loin que ça : c’était un enfant qu’on avait fusillé, et voilà. Il était un héros.

Au Petit-Auverné, le jour de l’inhumation, l’ordre a été donné que personne ne sorte des maisons, ni ne s’approche du cimetière à partir du début de l’après-midi. Un recoin le long du mur avait été choisi pour y creuser les tombes.

Le jour de la Toussaint, une fermière vient chez nous avec son beurre. Elle est très émue. « Si vous voyez les tombes ! », dit-elle. « Elles sont couvertes de fleurs, bleues pour l’une, blanches pour l’autre, rouges pour la troisième ».

Un cordon empêchait d’accéder directement aux trois tombes. Il n’y avait pas de plaque, seulement des numéros, mais tout le monde savait que celle de Guy Môquet était au milieu.

A cause de la guerre, nous vivions en vase clos et chaque chose prenait une proportion incroyable. Les trois tombes étaient devenues la grande affaire de la commune. Tout le monde en parlait sous le manteau, en faisant attention, car nul ne savait qui étaient ses amis et ses ennemis. Il n’y avait pas d’Allemands au village, mais nous vivions dans la peur de la délation, sans oser lever le petit doigt. C’était une époque où on vendait les autres pour pas grand-chose. Des fleurs continuaient d’apparaître sur les trois tombes, de simples bouquets de jardins, mais sans cesse renouvelés.

Au Petit-Auverné, le car de Nantes passe deux fois par semaine. Regarder ceux qui montent et ceux qui descendent est alors une occupation prisée. Un soir, la rumeur s’est mise courir que Madame Môquet était dans le car. Au village, elle s’était installée dans une des chambres que louait Madame Salmon, au-dessus de son bistrot. Il y avait un cabinet de toilette et je crois même des WC, ce qui était alors considéré à la campagne comme un grand raffinement. C’était courageux de la part de madame Salmon de recevoir cette dame. Ce genre de chose pouvait avoir un impact à l’époque, on risquait gros. De tels bruits courraient sur Madame Môquet, qu’elle sortait seulement pour aller au cimetière et à la nuit tombante, dans le village sans lumière, à l’heure où tout le monde était barricadé chez soi.

Un soir, quelqu’un frappe à la porte de notre maison. Avec maman, on meurt de peur. On se regarde, on ne sait pas. On entend une petite voix. Elle dit : « C’est madame Môquet ». Cette femme-là chez nous ! C’était inattendu, totalement ! En arrivant dans notre bourg, Madame Môquet n’avait aucune idée de l’endroit où elle mettait les pieds. Tout était périlleux en ce temps-là, elle ne connaissait personne et elle était d’une famille communiste. Ma mère ne faisait partie de rien, ni de la résistance, ni d’aucun parti, mais même sans faire de politique, on pouvait être sûr qu’elle était quelqu’un de laïc. A l’époque, c’était quelque chose qui comptait beaucoup. On disait encore « l’école du diable » pour désigner l’école publique et, au Petit-Auverné, toutes les filles -sauf moi- étaient inscrites chez les Sœurs. Ma mère, comme plupart des instituteurs laïques, était d’ailleurs suspectée d’être communiste et à la fin de la guerre, au moment où on fusillait les gens pour un Oui ou pour un Non, elle a même failli être exécutée.

Au Petit-Auverné, Madame Môquet avait réfléchi et s’était dit, qu’au fond, la seule personne, à pouvoir la recevoir, à qui elle pourrait parler, était l’institutrice de l’école publique.

Avec maman, nous étions blotties de l’autre côté de la porte, terrifiées, surtout qu’en face de chez nous, habitait le maire, un collaborateur. C’était compliqué, dangereux de recevoir quelqu’un comme Madame Môquet. Mais comment ne pas le faire ? On ouvre. Je n’oublierai jamais cette image tant elle était saisissante. Se dressait devant nous en pleine nuit une grande dame brune, tout en noir, les cheveux noués en catogan, beaucoup d’allure, une élégance incroyable, figée dans la dignité et la douleur. Elle entre. De son sac à main, elle sort son portefeuille et de son portefeuille une lettre. Elle nous la tend. C’est celle de son fils Guy. On la lit et on la relit. On reste debout, sans savoir quoi faire.

Maman lui a dit qu’elle pouvait revenir à son prochain voyage, en toute discrétion bien sûr. La fois suivante, Madame Môquet tenait une couronne mortuaire, en petite perles tressées comme on faisait à l’époque. Elle nous dit : « Cela fait trois semaines que je dors avec cette couronne contre moi, parce que je veux lui transmettre tout mon amour avant de la déposer sur la tombe de mon fils ». Elle l’avait cachée dans ses bagages pour le voyage.

Elle est venue cinq ou six fois, toujours avec son second fils, Serge, qui avait deux ou trois ans de plus que moi. Quand elle était avec lui, elle avait un air très doux, n’affichait rien, jouait beaucoup. Je ne l’ai jamais vue pleurer. Avec une amie, nous avions adopté Serge, nous partions des heures en vélo ensemble. Ensuite, les voyages sont devenus trop périlleux et ils ne sont plus revenus.

Dans le village, personne ne nous a jamais parlé de ces visites, sauf l’épicière, qui était devenue une grande amie de ma mère. Elle nous donnait de la laine pour que je tricote des gants à ses fils prisonniers. Plus tard, on a appris qu’elle était de ceux qui déposaient entre autre les fleurs sur la tombe".


Retour au cimetière du Père-Lachaise


[1Article de Florence Aubenas, Le Nouvel Observateur - 19 octobre 2007


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