Les papes face à l’absolutisme et aux Lumières : 1623-1846

vendredi 15 février 2008
par  Philippe Landru

La consécration de la nouvelle basilique Saint-Pierre de Rome par Urbain VIII devait annoncer le triomphe d’une papauté regénérée par le courant de la Contre-Réforme. En réalité, il n’en fut rien : entre temps, l’absolutisme s’était affirmé dans les monarchies européennes, France en tête. Les papes des XVIIe et XVIIIe siècle virent leur pouvoir temporel contesté. Le temps de la théocratie pontificale était mort. Après l’abolutisme et la perte du pouvoir sur les êtres, la naissance des Lumières et l’essor progressif de l’athéisme menaça l’Eglise dans ses fondements spirituels. A la fin du XVIIIe siècle, la papauté n’est plus qu’un petit Etat dont les souverains pontifes peinent à asseoir l’autorité. Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que de constater que les tombeaux les plus monumentaux qui furent ériger dans la basilique, ceux baroques dans la lignée du Bernin ou néoclassique dans celle de Canova que l’on peut aujourd’hui admirer, le furent pour des papes affaiblis et contestés.

- Urbain VIII (Matteo Barberini) : pape de 1623 à 1644. Son règne, dans le contexte de la Guerre de Trente Ans, fut marqué par la condamnation de Galilée et de celle du Jansénisme. Pape mécène, il protégea Poussin et Le Lorrain, fit ériger dans la nouvelle basilique Saint-Pierre (dont il fit la consécration) le fameux baldaquin du Bernin, qui utilisa le bronze du toit du Panthéon pour le réaliser, et fit fortifier le château Saint-Ange. Son pontificat fut marqué par un fort népotisme vis-à-vis des Barberini.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre sous un tombeau du Bernin. Au pied du pape, représenté en train de bénir, un squelette inscrit le nom du défunt. De part et d’autre figurent la Charité (avec un enfant) et la justice (avec une épée).

- Innocent X (Gianbattista Pamfili) : pape de 1644 à
1655. Il s’opposa en vain à Mazarin et aux Traités de Westphalie, et fut attaqué pour son népotisme. En bien des points, le règne de ce pape marque le début d’une papauté dominée par les nations.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre, il fut transféré en l’église San’t Agnese in Agone, sur la Place Navonne de Rome, qu’il avait fait bâtir par Boromini. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Alexandre VII (Fabio Chigi) : pape de 1655 à 1667. Il s’attaqua à nouveau au Jansénisme, combattu par ses deux prédécesseurs, mais fut contraint de s’humilier face au jeune Louis XIV de France qui confisqua Avignon et le Comtat pour un temps. Il eut plus de succès hors d’Europe puisque sous son règne apparut une structure ecclésiale en Inde et en Chine. C’est à lui que l’on doit la colonnade qu’il commanda au Bernin pour Saint-Pierre.

Inhumé sous le plus magnifique tombeau de Saint-Pierre, œuvre tardive du Bernin : le pape y est représenté priant, foulant du pied un globe terrestre recouvrant l’Angleterre qui demeure anglicane. Il est entouré de quatre vertus : la Charité, la Vérité, la Justice et la Prudence. D’une splendide draperie minérale émerge un squelette aveuglé (car la mort ignore le rang de ceux qu’elle vient chercher) portant clepsydre. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Clément IX (Giulio Rospigliosi) : pape de 1667 à 1669. Durant son éphémère pontificat, il tenta en vain de mettre fin aux guerres européennes par la paix Clémentine.

Inhumé à l’entrée de la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Clément X (Emilio Altieri) : pape de 1670 à 1676. Son pontificat fut marqué par la détérioration progressive et dramatique des relations avec le royaume de France.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre sous un tombeau de Mattia de Rossi. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Bienheureux Innocent XI (Benedetto Odescalchi) : pape de 1676 à 1689. Il dut faire face, dans le cadre du conflit avec la France, à l’émergence du gallicanisme de Louis XIV. Il lutta également contre l’hérésie quiétiste, et tenta en vain de réconcilier Habsbourg et Bourbon face à la menace turque (second siège de Vienne en 1683). Il fut béatifié par Pie XII.

Inhumé à Saint-Pierre, on peut admirer son tombeau réalisé par le Français Pierre Etienne Monnot (dont le bas-relief représente la victoire chrétienne contre les Turcs à Vienne). Dans la partie opposée de la basilique, dans la chapelle Saint-Sébastien, on pouvait voir jusqu’en avril 2011 son corps embaumé. Jean-Paul II lui ayant prit la place, le corps d’Innocent XI fut déplacé à l’autel de la Transfiguration, situé dans le pilier de saint André, l’un des quatre qui soutiennent la coupole. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Alexandre VIII (Pietro Ottoboni) : pape de 1689 à 1691. Durant son court pontificat (il avait été élu âgé), il condamna le gallicanisme français.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre sous un monument de Arrigo di San Martino. Son tombeau est connu pour ses marbres rares et précieux, et pour son bas-relief, représentant une canonisation de cinq saints en 1690. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Innocent XII (Antonio Pignatelli) : pape de 1691 à 1700. Ce pape parvint, par un compromis, à rétablir les relations entre le Vatican et la France, et Avignon fut redonnée à la papauté.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre, entre les figures de la justice et de la charité dans un tombeau œuvre de Filippo della Valle. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Clément XI (Giovanni Francesco Albani) : pape de 1700 à 1721. Ce pape dut faire face à la guerre de Succession d’Espagne où il se mit à dos et la France, et l’Autriche. Par la bulle Unigenitus de 1713, il condamna définitivement le jansénisme.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre, il ne possède pas de tombeau monumental mais une simple dalle funéraire. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Innocent XIII (Michelangelo Conti) : pape de 1721 à 1724. Son court pontificat fut marqué à nouveau par les tentatives, souvent vaines, de maintenir son pouvoir face aux Bourbon et aux Habsbourg.

Inhumé dans les grottes vaticanes de Saint-Pierre dans un tombeau simple et massif. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Benoît XIII (Pietro Francesco Orsini) : pape de 1724 à 1730. Homme pieu et d’une humilité sincère, il fut néanmoins un piètre politique qui se laissa guider par un escroc, Niccolo Coscia, qu’il fit cardinal. Il avait reprit le nom de Benoît XIII qui avait été un antipape d’Avignon.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre, il fut transféré en 1733 dans un tombeau monumental de l’église Santa-Maria-Sopra-Minerva de Rome sous un monument de Pietro Bracci qui représente pour la première fois le souverain debout, technique qui fut souvent utilisée par la suite.

- Clément XII (Lorenzo Corsini) : pape de 1730 à 1740.
Homme d’une grande intelligence, il fut fortement diminué par une santé chancelante qui le paralysa en partie. Dans le contexte de l’essor des Lumières, il prescrivit l’enseignement de la philosophie aux prêtres pour lutter contre les hérésies. Il condamna en 1738 la Franc-maçonnerie. On lui doit la construction à Rome de la célèbre fontaine Trévi. Avec lui, la papauté s’installa au Quirinal où elle demeura pendant un siècle.

Inhumé en la basilique Saint-Pierre, il fut transféré en 1742 dans la basilique Saint-Jean-de-Latran de Rome. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Benoît XIV (Prospero Lambertini) : pape de 1740 à 1758. Homme cultivé, son pontificat est considéré comme le plus brillant des XVIIe et XVIIIe siècle, mais confirme que la papauté n’est plus une grande puissance. D’une grande ouverture d’esprit, il reconnut la Prusse (et fut même ami de son roi Frederic II) et les mariages entre catholiques et protestants. Il laissa de nombreux écrits.

Inhumé en la basilique Saint-Pierre sous un monument de Pietro Bracci qui l’a représenté debout, bénissant la foule en un geste emphatique, encadré par les allégories de la connaissance et de l’indifférence. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Clément XIII (Carlo Della Torre Rezzonico) : pape de 1758 à 1769. Il tenta de lutter contre les Lumières et soutint les Jésuites alors que ceux-ci étaient expulsés du Portugal et de France.

Inhumé sous un tombeau néoclassique en marbre de Carrare, œuvre de Antonio Canova, dans la basilique Saint-Pierre. Le pape y est représenté en priant, dans la tradition des tombeaux monumentaux fixés par le Bernin, mais les Vertus traditionnelles sont remplacées par une allégorie de la religion et une figure rappelant un Apollon christianisé. Au pied du monument sont représentés deux lions, un dormant et l’autre éveillé. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’égliseSaint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Clément XIV (Giovanni Vincenzo Antonio Ganganelli) : pape de 1769 à 1774. Son court pontificat fut marqué par la dissolution de l’ordre des Jésuites, qu’il consentit face aux pressions européennes, ce qui atteste que la papauté n’avait plus aucune autorité face aux monarchies.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre, ses restes furent transférés en 1802 en l’église des Saints-Apôtres de Rome. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Pie VI (Giannangeli Braschi) : pape de 1775 à 1799. Après un début de règne conservateur, où il condamna l’ensemble des idées nouvelles liées aux Lumières, Pie VI dut affronter le terrible choc de la Révolution française : il tarda à condamner la constitution civile du clergé, ce qui fut un casus belli avec la France. Pour le pape, ce fut le début d’un interminable calvaire : confiscation définitive d’Avignon et du comtat Vénaissin, invasion des Etats pontificaux, proclamation de la république romaine, exil puis arrestation du pape. Il commença alors une mortelle errance : Florence, Parme, Montgenèvre, Briançon puis Valence où il mourut d’épuisement.

Il fut inhumé à Valence, mais ses restes furent transférés en 1802 dans un tombeau dans les grottes vaticanes de la basilique Saint-Pierre. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Pie VII (Barnaba Chiaramonti) : pape de 1800 à 1823. Elu dans le trouble suivant la mort de Pie VI, son pontificat fut évidemment essentiellement lié à ses démêlés avec Napoléon Ier. Contraint par deux fois à signer des concordats avec la France (il récusa celui de 1813, obtenu par la force), obligé de se rendre à Paris pour légitimer le sacre de l’Empereur, il fit preuve de conciliation pour ménager l’intérêt des catholiques. A partir de 1806 néanmoins, Pie VII refusa de cautionner une politique dont il était le pantin. Captif en 1812, il ne put rejoindre Rome qu’à la faveur des défaites de l’empereur. En 1814 enfin, il rétablit les Jésuites.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre sous un monument du Danois protestant Bertel Thorvaldsen. Le pape, assis sur son trône, les traits du visage marqués par les vicissitudes de son règne, est encadré par deux anges figurant le Temps et l’Histoire. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Léon XII (Anibale Della Genga) : pape de 1823 à 1829. Bien que court, son pontificat fut assez marquant. Très conservateur, il condamna les idées révolutionnaires, le carbonarisme et l’indifférentisme religieux, quitta le Quirinal pour se réinstaller au Vatican, et réorganisa les finances et la justice romaines.

Inhumé dans la basilique Saint-Pierre, devant l’autel de Léon Ier, il ne possède pas véritablement de monument funéraire même si une statue, œuvre de Giuseppe de Fabris, le représentant dans le geste de la bénédiction urbi et orbi, lui tient lieu de cénotaphe. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Pie VIII (Francesco Saviero Castiglioni) : pape de 1829 à 1830. Son court règne fut à nouveau marqué par le conservatisme et la condamnation réitérée du libéralisme qui connut de grands succès en Europe. Il n’en reconnut pas moins Louis-Philippe sur le trône de France, lui accordant même le titre de roi très chrétien.

Inhumé en la basilique Saint-Pierre sous un monument néoclassique de Pietro Tenerani le représentant en priant agenouillé tandis que derrière lui se tiennent le Christ, Saint-Pierre et Saint-Paul. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.

- Grégoire XVI (Bartolomeo Alberto Cappelari) : pape de 1830 à 1846. Conservateur, il dut faire face au vent révolutionnaire et libéral qui secoua l’Europe et ses Etats. Par l’encyclique Mirari Vos, il condamna le libéralisme chrétien de Lammenais, Lacordaire et Montalembert, trop en avance sur leur temps. Réactionnaire en Europe, il fut en revanche révolutionnaire dans les colonies où il condamna la traite des Noirs et appela à davantage de justice sociale. Son pontificat marque la fin définitive de l’Eglise européenne (dans laquelle le pape ne représente plus grand-chose en tant que puissance temporelle) mais également la naissance d’une Eglise mondiale (dans laquelle sa dimension ne cessera pas de s’étoffer).

Inhumé dans les grottes vaticanes, puis transféré en 1853 dans la basilique Saint-Pierre sous un monument néoclassique inspiré de Canova, œuvre de Luigi Amici. Son cœur et ses viscères se trouvent dans une urne de l’église Saint-Vincent-Saint-Anastase de Rome.


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