FARNBOROUGH (Royaume-Uni) : Saint Michael’s Abbey
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Tous les taphophiles, au moins les Français, savent que Napoléon III, parti un peu précipitamment de France et mort en exil, partage avec Charles X la particularité d’être les deux seuls souverains français inhumés hors de France (du moins depuis Hugues Capet).
Ceci étant, ce lieu restait empreint d’un grand mystère dans la mesure où très peu de photos existent du lieu (il est vrai que, officiellement, elles sont interdites). Votre serviteur, après une petite visite, va donc lever le voile sur la dernière demeure du dernier empereur !
Disons le tout d’abord : les Britanniques, qui sont pourtant encore plus fascinés par Napoléon Ier que les Français, n’ont que faire du neveu. Il faut toute la ténacité taphophilique pour découvrir cette abbaye : si vous l’imaginez dans une lande brumeuse et mystérieuse, détrompez-vous ! Dans un cadre périurbain quelconque, elle n’est même pas indiqué par un panneau ! On pénètre par une porte donnant sur une allée forestière en pente. Au sommet de la butte se dresse les bâtiments monastiques, et un peu au delà la chapelle elle-même.
Établis par l’Impératrice Eugénie (1826-1920) pour abriter le mausolée de son mari Napoléon III (1808-1873) et de son fils, le Prince impérial (1856-1879, mort sous l’uniforme britannique en Afrique du Sud, tué par les Zoulous), dont les corps reposent dans la crypte, avec le sien, l’église et le monastère construits en 1881 furent d’abord administrés selon les règles des Prémontrés. En 1895, l’ex-impératrice remplaça ces moines par des bénédictins français de l’abbaye de Solesmes. D’abord prieuré, le monastère Saint-Michel de Farnborough devint abbaye en 1903, en relevant à son bénéfice le titre de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Si Farnborough fut choisi, c’est parce que l’ex-impératrice y vivait et possédait plusieurs maisons, dont l’Empress cottage.
En 1873, à la mort de l’empereur, on déposa son corps dans une chapelle de la petite église catholique Sainte-Mary de Chislehurst, ville du Kent où la famille impériale déchue avait élu domicile. Lorsqu’en 1879 le Prince impérial dut rejoindre son père, on ne put que le placer dans un mur de la chapelle. C’est à ce moment qu’Eugénie décida de leur faire bâtir un tombeau plus imposant. L’église abbatiale a été construite dans le style gothique flamboyant par l’architecte français Gabriel-Hippolyte Destailleur. Il est intéressant de noter qu’elle est ornée de deux tableaux provenant des Tuileries (ils ont un tel besoin de restauration qu’on pourrait croire qu’ils ont connus l’incendie de 1871, ce qui n’est évidemment pas le cas !). Cette chapelle sert d’écrin à la crypte, où repose la famille impériale.
- Le cimetière des moines.
Pour accéder à la crypte, on contourne l’église par le côté gauche, longeant le cimetière des anciens moines de l’abbaye. Le dôme de l’église abbatiale fut voulu par l’Impératrice en référence directe au dôme des Invalides de Paris. De même, au-delà de la volonté de l’Impératrice d’établir une communauté de prières pour elle et sa famille, cette construction alliant abbaye, église et sépultures n’est pas sans rappeler l’abbaye de Saint-Denis.
- Entrée de la crypte.
En contrebas du cimetière de l’abbaye se dessine une première porte, sur la gauche de l’église, porte personnelle de l’impératrice qui en possédait personnellement la clé afin de pouvoir se rendre auprès de son mari et de son fils quand elle le désirait. La porte principale de la crypte est derrière l’église [1].
- Le maître-autel de la chapelle. Au dessus, le tombeau d’Eugénie.
La crypte, ouverte par un dallage où trône au centre une étoile, est une nouvelle référence directe au tombeau de Napoléon Ier. Sur la droite, la sépulture de l’empereur. En face de lui, dans l’alcôve opposée, la sépulture de son fils, le Prince impérial. Surélevée derrière l’autel repose l’Impératrice. C’est donc bien Eugénie et non Napoléon qui occupe la position centrale de la crypte ! Les trois tombeaux en marbre de Farnborough, qui rappellent naturellement celui de Napoléon Ier, furent offerts par la reine Victoria à Eugénie. Le tout est complété de mobiliser liturgique, étendards, et plusieurs objets provenant des Tuileries. L’ensemble donne une impression de temps arrêté, un peu poussiéreux.
- Tombeau de Napoléon III
- Tombeau de l’impératrice.
- Tombeau du prince impérial.
Au dehors de cette crypte, de part et d’autre de l’entrée principale, se trouvent deux tombeaux des serviteurs de la famille impériale :
celui de gauche est celui de Xavier UHLMANN (1828-1904), valet personnel du Prince Impérial (1857-1879), puis trésorier privé et régisseur du domaine impérial de Farnborough Hill de l’Impératrice Eugénie (1879-1904). C’est en 1979 que ses restes furent rapportés ici.
celui de droite est celui de Jean-Baptiste "Tito" FRANCESCHINI-PIETRI (1834-1915), qui pendant plus de quinze ans fut l’homme de confiance de Napoléon III. Attaché au service de l’Empereur dès 1855, il le suivit jusqu’à la chute de l’Empire en 1870, puis en exil en Angleterre. Il était l’arrière-petit neveu de Pascal Paoli, et le neveu de Pierre-Marie Pietri, préfet de police de la ville de Paris : il figurait donc en bonne place dans le cercle des Corses de l’Empereur.
Des projets de retour des dépouilles impériales sont régulièrement proposées par des personnalités politiques françaises en mal d’expression médiatique (la dernière en date est celle d’Estrosi) : elle font a priori beaucoup sourire l’abbé en charge.
[1] A la fondation de l’église et de l’abbaye, la messe était remplie de protestants, ne venant donc pas pour des raisons spirituelles mais uniquement pour apercevoir l’impératrice. Cette dernière se plaçant toujours cachée sur la droite, l’assistance passait la majeure partie de son temps non pas vers le maître-autel mais penchée vers Eugénie.
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