Les Valois

lundi 11 février 2008
par  Philippe Landru

La branche appelée Valois est toujours constituée de Capétiens, mais ceux-ci ne sont plus en ligne directe. On peut diviser l’histoire des Valois en deux périodes distinctes :
- De Philippe VI à Louis XI, c’est une époque infiniment troublée par les conflits extérieurs (contre l’Angleterre, contre la Bourgogne) et intérieurs (oppositions de la noblesse contre le renforcement du souverain).
- A partir de Louis XI, qui rétablit la paix, la souveraineté française entame sa marche vers l’absolutisme, sur fond de guerres d’Italie et de Renaissance. A partir d’Henri II néanmoins, les troubles liés à la Réforme et la mort prématurée de ses trois fils (qui n’est pas sans rappeler celle des enfants de Philippe IV) mettent fin à la dynastie.

La dynastie des Valois marque, dans le domaine du funéraire, le passage des gisants médiévaux aux éclatants tombeaux de la Renaissance, marqués par les principes et les techniques que celle-ci véhicule. On remarquera également le remplacement du couvent des Jacobins par celui des Célestins comme lieu de dépôt des cœurs et entrailles royales. Les funérailles royales tendent à se complexifier et à être très codifiées : il est intéressant de remarquer que leur pratique avait acquis assez de force pour pouvoir s’imposer malgré les troubles.

- Philippe VI de Valois (1293-1350) : roi de 1328 à 1350. Inhumé en la basilique Saint-Denis, son gisant est une commande de 1364 faite par son petit-fils Charles V à André Beauneveu. ses entrailles furent placées au couvent des Jacobins de la rue St Jacques tandis que son cœur était apporté dans la chartreuse de Bourgfontaine en Valois (02) (il fut détruit par les protestants en 1567). Sa première épouse, Jeanne de Bourgogne, fut inhumée dans la basilique Saint-Denis et son cœur envoyé à l’abbaye de Cîteaux. Sa seconde épouse, Blanche de Navarre, fut elle aussi inhumée dans la basilique Saint-Denis où se trouve son gisant, œuvre des ateliers de Jean de Liège, daté de 1371 environ.

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Gisant de Philippe VI - St Denis.
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Gisant de Blanche de Navarre - St Denis.

- Jean II le Bon (1319-1364) : roi de 1350 à 1364. Le roi mourut à Londres en captivité (encore que cette captivité ait été très douce !). Il reçut de la part d’Edouard III d’Angleterre les honneurs de la cathédrale Saint-Paul, puis c’est le rapatriement en France du corps. Après une cérémonie à Notre-Dane, il est inhumé en la basilique Saint-Denis, son gisant étant une commande de 1364 faite par son fils Charles V à André Beauneveu. Son cœur fut placé au couvent des Célestins. Sa première épouse, Bonne de Luxembourg, fut quant à elle inhumée à l’abbaye de Maubuisson. Sa seconde épouse, Jeanne de Boulogne, qui lui donna la Bourgogne en dot, fut également inhumée à Saint-Denis tandis que son cœur était placé dans l’église du couvent des Célestins.

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Gisant de Jean II - St Denis.

- Charles V le Sage (1338-1380) : roi de 1364 à 1380. Inhumé en la basilique Saint-Denis, il commanda son gisant dans les ateliers d’André Beauneveu vers 1364 et celui-ci fut terminé en 1374. Son cœur fut déposé dans la cathédrale de Rouen, où il se trouve toujours (dans la crypte), tandis que ses entrailles étaient placées dans l’abbaye de Maubuisson : son tombeau d’entrailles fut ultérieurement placé au musée des Monuments Français, puis déposé au Louvre en 1883. Son épouse Jeanne de Bourbon fut également inhumée à Saint-Denis tandis que ses entrailles l’étaient au couvent des Célestins et son cœur au couvent des Cordeliers. Le gisant que l’on peut admirer est son tombeau d’entrailles, provenant des Célestins, et rapporté à Saint-Denis en 1816. La main du gisant tient, représenté dans la pierre, le sac en cuir qui contenait ses entrailles (voir « les gisants » dans l’introduction).

Voir également le gisant d’entrailles de Charles V au Louvre

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Gisant de Charles V - St Denis.
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Tombeau d’entrailles de Charles V - Louvre.
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Gisant de Jeanne de Bourbon - St Denis.
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Carditaphe de Charles V - crypte de la cathédrale de Rouen.

- Charles VI le Bien-Aimé (1368-1422) : roi de 1380 à 1422, son long règne, ajouté à sa démence précoce, fut une grande période de crise pour la France déchirée par la guerre de Cent ans et la lutte entre les grandes maisons (Bourguignons et Armagnacs). La mort de Charles VI donna lieu à une embarras étonnant : le dernier enterrement royal, celui de Charles V, ayant eu lieu 42 ans auparavant, le rituel n’ayant pas été consigné clairement, et les témoins de cette précédente inhumation n’étant plus nombreux, on ne savait pas exactement comment se déroulaient les funérailles royales. Celles de Charles VI furent particulièrement fastueuses, surtout si l’on songe à l’état de crise dans laquelle elles plaçaient le royaume, Henry VI d’Angleterre étant le successeur désigné. Pour la première fois, lors de ces obsèques, distinction fut faite entre la dépouille du roi (qui repose dans le cercueil) et la dignité royale (qui ne meurt jamais), symbolisée par une effigie du roi placée sur la bière. Pour celle-ci, vêtue d’un manteau d’hermine fleurdelisé, on fabriqua en cuir bouilli un visage ressemblant à partir d’un moulage post-mortem. L’effigie tenait les regalia, c’est-à-dire le sceptre et la main de justice. Pour Henry VI et son tuteur, le duc de Bedford, organiser un enterrement fastueux était une nécessité politique pour se placer dans la continuité dynastique d’un monarque dont on avait respecté la mémoire. Il fut inhumé dans la basilique Saint-Denis et son cœur fut placé dans le couvent des Célestins. Son épouse, Isabeau de Bavière, connut le même sort : le corps à Saint-Denis et le cœur aux Célestins. Elle mourut en son hôtel Saint-Paul, obèse et impotente, honni des Français qui ne lui pardonnaient pas la signature du Traité de Troyes de 1420 qui livrait la France aux Anglais. Les gisants de Charles VI et d’Isabeau de Bavière furent une commande passée par cette dernière à Pierre de Thoiry en 1424, et achevée en 1429.

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Gisants de Charles VI et d’Isabeau de Bavière - St Denis.

- Charles VII le Victorieux (1403-1461) : roi de 1422 à 1461. Sa mort fut assez pathétique , marquée par l’indifférence totale de son fils qui n’attendait que ça. Peu de monde assista à ses obsèques qui furent, comme celles de son père, fastueuses : les Grands s’empressèrent au contraire d’aller retrouver le nouveau roi pour rester en grâce. Louis XI n’assista d’ailleurs pas aux funérailles, ayant préféré prendre le chemin de Reims pour son futur sacre. Charles VII et son épouse, Marie d’Anjou, furent inhumés dans la basilique Saint-Denis : ils n’y possèdent ni gisant ni tombeau, leur présence étant tout juste signalée par deux bustes donnés par le Louvre.

- Louis XI (1423-1483) : roi de 1461 à 1483. Fin stratège, il agrandit considérablement le royaume de France, mit fin à la guerre de Cent ans par le traité de Picquigny, aux troubles intérieurs du royaume et restaura l’autorité royale. C’est lui qui fit édifier la collégiale de Clery-Saint-André dans laquelle il se fit inhumer : sur son tombeau, une statue de cuivre dorée le représente agenouillé en tenue de chasse devant Notre-Dame. Il fut le premier souverain depuis Louis VII à se faire inhumer en dehors de Saint-Denis : on dit que, paranoïaque, il craignait une atteinte à son tombeau dans la grande basilique. L’histoire lui donna finalement raison : alors que les tombeaux de ses ancêtres furent profanés durant la Révolution, le sien subsiste, majestueux, dans la collégiale. L’inflexion artistique donné au tombeau de Louis XI est notable : pour la première fois dans l’architecture funéraire, le mort n’est plus figuré en gisant mais en priant. Cela annonce les grands tombeaux de la Renaissance à partir de son fils Charles VIII. Sa première épouse, Marguerite d’Ecosse, mourut prématurément à Chalons-en-Champagne : ses restes furent déplacés dans l’église Saint-Laon de Thouars (79) où ils se trouvent encore. En revanche, son enfeu est vide : son gisant a disparu lors des profanations protestantes de 1562. Sa chapelle fut également profanée durant la Révolution. La seconde épouse de Louis XI, Charlotte de Savoie, fut inhumée auprès de son mari à Clery.

- Charles VIII l’Affable (1470-1498) : roi de 1483 à 1498. Il mourut en se cognant la tête contre le linteau d’une porte du château d’Amboise. Il fut inhumé dans la basilique Saint-Denis, près du tombeau de Carloman : dès 1500, son mausolée était terminé : le roi y était représenté à genoux sur un socle surélevé en marbre noir. La statue, signée du maître italien Guido Mazzoni, était un chef-d’oeuvre de bronze doré polychrome émaillé. Cette sépulture a été considérée pendant des siècles comme l’une des plus belles de Saint Denis, avant de disparaître, comme bien d’autres dans la tourmente révolutionnaire de 1792. Ce tombeau, réalisé par un artiste italien, prépare celui de ses successeurs et amorce l’influence italienne dans le funéraire. Son cœur, placé dans la collégiale de Clery-Saint-André, fut retrouvé en 1873 sous le dallage : une dalle le signale encore aujourd’hui au visiteur. L’épouse de Louis VIII, Anne de Bretagne, épousa en seconde noce son successeur Louis XII : nous aborderons donc son tombeau dans le paragraphe suivant. Signalons enfin que Charles VIII fut le dernier représentant de la branche des Valois directs : à sa mort, il fallut chercher son cousin pour lui succéder


Les tombeaux Renaissance

Les tombeaux des monarques du XVIe siècle marquent à la fois l’apogée et le chant du cygne de la sculpture funéraire royale : après Henri II, nous le verrons, les souverains français n’eurent plus de tombeaux. Saint-Denis possèdent plusieurs témoignages de cette époque : les tombeaux de Louis XII, François Ier et Henri II, auxquels on ajoutera le tombeau d’entrailles de François Ier et les colonnes funéraires de François II et d’Henri III.

Tout d’abord, il faut rappeler le contexte : à partir de Charles VIII, les souverains français se lancent dans le « mirage italien ». La Guerre de Cent ans ayant pris fin, les Grands du royaume ayant été mis au pas et les dangers d’invasion s’éloignant, la France ayant reculé ses frontières, les souverains, prétextant de leurs ascendances (telle celle de Valentine Visconti), affirmèrent leurs droits sur la péninsule italienne : ce fut le début des guerres d’Italie qui ne prirent fin qu’avec Henri II. Si ces expéditions successives ne furent pas des succès au point de vue politique, elles le furent indéniablement dans le domaine des arts. De Charles VIII à Henri II, les rois rêvèrent de l’Italie et voulurent, dans leur propre royaume, reproduirent les merveilles qu’ils y avaient vues. La cour de France attira les artistes italiens en tout genre, alors même que l’humanisme s’installait. Avec les arts, ce furent toutes les techniques de la Renaissance qui passèrent les Alpes. Ces tombeaux en sont de parfaites illustrations.

Aux gisants hiératiques du Moyen-Age lesquels, on l’a vu, avaient commencé à être individualisés avec celui de Philippe III, succède le tombeau Renaissance, qui répond à un modèle. Il est constitué de deux étages : en bas, les corps transis dans la mort, torturés ; en haut, les âmes sereines qui prient pour s’élever vers Dieu. C’est probablement de la cérémonie des funérailles, telle qu’elle fut proposée à la mort de Charles VI, que naît l’invention des monuments à deux étages : le priant, représenté vivant, est la représentation dans la pierre de la permanence monarchique qui ne meurt pas, symbolisée lors des funérailles par l’effigie. En revanche, le transi, représentation de la mort criante de réalisme, est une évocation concrète du souverain mort. Il y a dans ces tombeaux à double entrée à la fois une angoisse de la mort physique, mais également un apaisement par l’espoir de la résurrection.

En quoi ces tombeaux témoignent-ils des innovations de la Renaissance ?

o En premier lieu, ils sont signés, innovation attestant de la place nouvelle de l’artiste au XVe siècle. L’essentiel des gisants des capétiens ne l’étaient pas, tout au plus avait-on une idée des ateliers dont ils provenaient. La Renaissance attribue à l’artiste une place centrale qui lui permet de signer ses œuvres. Il y a évidemment dans cette pratique nouvelle le témoignage d’une plus grande individualisation de l’homme.

o Ensuite, le style parle de lui-même : l’utilisation des marbres italiens, les reproductions de temples à l’antique, les statues au réalisme saisissant sont autant de témoignages de l’Antiquité retrouvée. Les bas-reliefs figurent les hauts-faits des souverains et les allégories des arts et des vertus abondent, comme nous le verrons pour le tombeau d’entrailles de François Ier.

o Le réalisme des transis n’est pas sans rappeler les progrès spectaculaires que firent les techniques médicales et chirurgicales à cette époque. Ces siècles furent aussi ceux de Vésale ou d’Ambroise Paré. La mort physiologique est apparente : l’attitude du corps après la dernière convulsion, le hoquet final, la douleur apparente des moribonds... Le souci du détail pousse les artistes à représenter l’ouverture de l’abdomen, nécessaire à l’éviscération.

o Innovation enfin, le tombeau Renaissance est de plus en plus un tombeau familial : les enfants de François Ier et de Claude de France figurent derrière les priants des souverains. Quant à Henri II, le mausolée recouvrait un tombeau dans lequel on inhuma également ses enfants François II, Charles IX, Henri III et François d’Alençon. Cette pratique tend à s’internationaliser, comme en témoigne le tombeau de Charles Quint à l’Escurial.


- Louis XII (1462-1515) : roi de 1498 à 1515. Louis XII fut l’unique représentant de la branche des Valois-Orléans à monter sur le trône, puisqu’il mourut sans descendant mâle survivant : il s’était pourtant marié trois fois Il fut contraint d’épouser en première noce Jeanne de Valois, fille de Louis XI : cette dernière était fort laide (défigurée par la petite vérole), contrefaite, bossue et boiteuse. Louis XI, en la lui donnant pour femme, avait l’espoir que leur union serait stérile, ce qui amènerait l’extinction de cette branche des Valois-Orléans dont il redoutait les ambitions. Louis XII épousa Jeanne de Valois avec écoeurement, et évita sa femme avec application. A la mort de Charles VIII, il fit casser le mariage par le pape pour épouser sa veuve, Anne de Bretagne, malgré les vaines protestations de son épouse : celle-ci entra en religion et fonda le couvent de l’Annonciade, toujours actif de nos jours. Elle mourut quelques années plus tard, à l’issue d’une vie qui peut aisément passer pour un calvaire. On transporta son corps dans l’église du monastère de l’Annonciade des Bourges où il fut inhumé. En 1562, les calvinistes profanèrent la tombe : ils enlevèrent le corps intact d’où on raconte que coula du sang quand on lui enfonça un couteau dans le bras et qu’un soldat lui perça le flanc d’un coup d’épée ; ils brûlèrent le corps et jetèrent les cendres au vent. Béatifiée en 1742 par Benoît XIV, elle fut canonisée en 1950 par Pie XII sous le nom de Sainte Jeanne de France. Louis XII épousa donc en seconde noce Anne de Bretagne, veuve de Charles VIII : lorsque celle-ci meurt, usée par les fausses couches, il lui offre des funérailles splendides. Il convola enfin en troisième noce avec Mary Tudor, sœur de Henri VIII, pourtant bien plus jeune que lui. Malgré tous ses efforts, Louis XII ne parvint pas à assurer une descendance mâle survivante. Louis XII fut inhumé dans la basilique Saint-Denis, où il rejoignit Anne de Bretagne, tandis que son cœur et ses entrailles étaient placés au couvent des Célestins. Le cœur d’Anne fut transporté à sa demande à Nantes : il est d’abord déposé dans l’église des Chartreux, puis au couvent des Carmes où il est placé à l’intérieur du caveau de ses parents. Le reliquaire dans lequel il se trouvait est aujourd’hui au musée Dobrée de Nantes. Après le décès du roi, Mary Tudor repartit en Angleterre : elle épousa en seconde noce le duc de Suffolk. Elle fut inhumée dans le monastère de Bury St-Edmonds, puis transférée, après la destruction de l’abbaye, dans l’église Sainte-Mary de Westhorpe, dans le Suffolk.

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Tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne - St Denis.

Le tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne est sans nul doute le plus beau tombeau royal français : François Ier,

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Transi d’Anne de Bretagne - St Denis.

qui avait expédié assez rapidement l’inhumation de son prédécesseur (et beau-père), ne lésina pas sur les dépenses de son mausolée. Dessiné par Jean Perréal, il est sculpté par le Florentin Jean Juste, installé à Tours. En marbre blanc de Carrare, le monument conjugue harmonieusement le gothique et le style italien. Il se compose de deux parties : un socle sarcophage orné de bas-reliefs représentant les victoires du roi. Aux quatre coins les vertus cardinales et sous douze arcades les apôtres. Sur la dalle, les cadavres royaux sont représentés en transis, sans doute dessinés sur modèle : les marques des coutures sont apparentes, le roi est représenté dans

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Tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne : détail des Priants - St Denis.

son dernier hoquet. Au sommet de l’édifice, Louis XII et Anne de Bretagne sont agenouillés. Mains jointes, devant leur prie-Dieu, vêtus de longs manteaux, mais ne portant pas de couronne, ils paraissent encore vivants. Commandé en 1516, le monument ne fut installé à Saint-Denis qu’en 1530.

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Tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne : détail des apôtres - St Denis.
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Reliquaire du coeur d’Anne de Bretagne - musée Dobrée, Nantes.
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Plaque funéraire de Mary Tudor - Ste Mary, Westhorpe.

Pourquoi épouser la veuve de son prédécesseur ? Le cas breton.

On peut se demander ce qui poussa Louis XII à épouser la veuve du défunt roi Charles VIII. Les raisons en sont politiques, évidemment.

Le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne fut politique : la France et la Bretagne était alors en guerre, et la jeune Anne, héritière du duché de Bretagne, venait de se marier avec Maximilien d’Autriche. Charles VIII, de son coté, était fiancé avec Marguerite d’Autriche, la fille de ce même Maximilien. Il voit d’un très mauvais œil l’attribution de la Bretagne aux Habsbourgs (le fait, choquant pour nous, d’imaginer que la Bretagne puisse devenir... « autrichienne » ne posait dans le système féodal de l’époque aucun problème !) : ce mariage plaçait la France en position dangereuse, prise en tenailles par la dynastie rivale. Charles VIII décida donc d’épouser Anne : deux mariages furent donc cassés pour l’occasion, ce qui ne posait pas de problème dans la mesure où aucun des deux n’avait été consommé. Evidemment, pour Maximilien, c’était une double humiliation.

Le mariage de Charles et de Anne donna lieu à un contrat : celui-ci stipulait que Anne restait titulaire du duché qui, à sa mort, reviendrait à l’héritier de la couronne de France. Au cas où le couple n’aurait pas d’enfant, il était prévu que les époux se fissent don mutuel de leur droit successif : si Anne mourait la première, Charles devenait duc. Dans le cas inverse, elle restait souveraine. Il était néanmoins précisé qu’elle ne pouvait se remarier qu’avec le nouveau roi (le but étant d’empêcher le duché de quitter le giron français).

Lorsque Louis XII monte sur le trône, il reprend les termes du contrat : non seulement il ne perd pas la Bretagne, mais le prétexte est bon pour se débarrasser de son encombrante épouse. Là encore, un mariage fut rompu.

Reste à préciser à ceux qui trouveraient que la situation manque cruellement de romantisme que l’on raconte que Charles et Anne s’aimèrent réellement !


- François Ier (1494-1547) : roi de 1515 à 1547. Il fut inhumé dans la basilique Saint-Denis, son coeur placé au couvent des Célestins et ses entrailles dans un tombeau dans l’abbaye de Hautebruyères, qui fut rapporté à Saint-Denis en 1852. Il épousa en première noce Claude de France, fille de son prédécesseur, qui fut inhumée avec lui à Saint-Denis. Après sa mort, il épousa Eléonore d’Autriche, sœur de Charles Quint : cette dernière, après la mort de son époux, retourna aux Pays-Bas, puis en Espagne et fut inhumée au monastère San Lorenzo de l’Escorial.

Le tombeau de François Ier et de Claude de France fut installé en 1558, soit dix ans après la mort du roi. Il fut commandé par Henri II à Philibert Delorme, assisté des sculpteurs Marchant et Bontemps, et des ornementalistes Chanterel et Perret. Il se présente de manière similaire à celui de Louis XII : une dalle sur laquelle reposent les transis réalistes des époux pour lesquels rien n’est oublié, pas même la taille du roi (il faisait presque deux mètres !). Les bas-reliefs de la dalle célèbrent les victoires du roi, en particulier la fameuse bataille de Marignan, par Bontemps : y figurent les préparatifs, le passage des Alpes et la rencontre des armées (derrière le roi, reconnaissable au F majuscule inscrit sur la selle de son cheval, figure Bayard). Sur la plateforme supérieure, les défunts sont en priants : derrière eux se trouvent leurs trois enfants, rappelant la fonction familiale du tombeau. Près du mausolée, on peut également voir le tombeau des entrailles de François Ier ramené de Hautebruyères : il est de Pierre Bontemps et célèbre un François Ier mécène et protecteur des artistes. Les décors à cartouches représentent l’Architecture, la Géométrie, la Sculpture et la Peinture. On y trouve également la salamandre, l’emblème du roi, symbole de courage et d’éternité.

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Tombeau de François Ier et de Claude de France - St Denis.
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Tombeau d’entrailles de François Ier - St Denis.

Le rituel des funérailles royales

Les cérémonies liées aux funérailles des souverains n’ont cessé d’évoluer avec le temps. On peut clairement voir se dessiner trois périodes distinctes :
- Des origines à Charles VI : le modèle de l’inhumation royale prend progressivement corps. Le but est de magnifier la fonction royale, mais également, dans des contextes de changement de dynasties, de se présenter en continuité des prédécesseurs. Ce fut à l’évidence le but principal de Dagobert pour légitimer les Carolingiens, puis de Saint-Louis pour imposer les Capétiens. On connaît mal, par manque de sources, le déroulement des funérailles à cette époque mais tout laisse à penser qu’elles prirent deux directions qui culminèrent par la suite : la première est la distinction entre le corps mort (et donc la dimension mortelle du souverain en tant qu’homme), et la fonction immortelle de souverain (ce qui explique que les gisants représentent le roi vivant. Par la suite, cette symbolique sera exprimée par les effigies royales). La seconde orientation fut celle du renforcement de la souveraineté du roi par l’utilisation d’une symbolique dont le tombeau est le signe le plus visible : le tombeau royale est « magnifique » car supérieur à tout autre. Lorsque les princes imitèrent les rois pour la réalisation de leurs tombeaux, ceux-ci jouèrent la surenchère, l’apogée étant atteinte lors de la Renaissance.
- De Charles VI à Henri II : l’inhumation de Charles VI représente dans ce domaine une rupture. Le rituel commence à se fixer définitivement, même si des évolutions furent sensibles par la suite.
- A partir de Henri II, les funérailles perdent de leur faste : pour les successeurs immédiats (François II, Charles IX, Henri III), on peut alléguer la situation de crise politique qui empêcha de se consacrer davantage à cette cérémonie. En réalité, le changement était plus profond, et les funérailles royales cessèrent d’être des cérémonies majeures de la monarchie. Parallèlement, les tombeaux disparurent. Les raisons sont multiples, mais la plus évidente est la suivante : les souverains français étaient parvenus à devenir incontournables et tout-puissant. Sans vouloir, par un déterminisme anachronique, présenter l’histoire de la monarchie comme une longue marche vers l’absolutisme, il devenait évident à partir du XVIe siècle que les souverains n’avaient plus rien à prouver dans ce domaine, leur autorité n’étant plus remise en cause. Aussi, la magnificence des funérailles et la somptuosité des tombeaux n’avaient plus de raison d’être. Ce qui explique ce qui est pour nous un paradoxe : c’est à l’époque où les souverains étaient les plus puissants et les plus glorifiés que leurs funérailles et leurs tombeaux furent les plus humbles. Nous verrons par la suite que des raisons religieuses sont également à prendre en compte pour comprendre ce phénomène.

Le rituel des funérailles durait quarante jours, durant lesquels le roi défunt occupait le devant de la scène tandis que son successeur régnait dans l’ombre. L’épouse du décédé et son successeur étaient durant ce délai cloîtrés dans leurs appartements. Décédé, le roi était embaumé (on enlevait son cœur et ses viscères) et exposé sur un lit de parade pendant quelques jours. La cour défilait devant lui, les serviteurs continuant à le servir comme à l’accoutumée par des repas qui ne sont pas sans rappeler quelques offrandes anciennes et païennes. Le roi était ensuite mis dans son cercueil et remplacé par une effigie en cire « faite au vif » : le service du défunt continuait durant ce temps. Au bout de quarante jours, l’effigie était placée sur le cercueil et transportée triomphalement jusqu’à Saint-Denis, transport généralement précédé d’une messe à Notre-Dame : le parcours, la composition du cortège, les dais d’honneur n’étaient pas sans rappeler les entrées royales lors du couronnement, dont les funérailles étaient une cérémonie en négatif.

Après un long service funèbre, le cercueil était descendu dans le caveau où il remplaçait celui de son prédécesseur (qui pouvait dès lors être mis au tombeau). Les officiers attachés à la maison du roi brisaient alors leurs bâtons, symboles de leur fonction, pour désigner que la maison était désormais fermée. Le Parlement, en revanche, restait vêtu de rouge dans le cortège pour signifier que la justice ne meurt jamais. Une fois les insignes de commandement jetés dans la fosse, l’étendard royal était pointé vers la dépouille et le héraut d’armes criait alors trois fois « le roi est mort ». A la troisième fois, il ajoutait « vive le roi », symbolisant ainsi la continuité de la fonction monarchique.


- Henri II (1519-1559) : roi de 1547 à 1559. Inhumé dans la basilique Saint-Denis, son cœur fut déposé au couvent des Célestins avant d’être placé au musée des Monuments français, d’où il fut transféré au Louvre en 1816. Il épousa Catherine de Médicis qui mourut à Blois et y fut inhumée, la ville de Paris étant alors aux mains de la Ligue. Ce n’est qu’en 1610 qu’elle pu regagner la capitale, et être inhumée auprès de son mari à Saint-Denis. Son cœur fut également placé au couvent des Célestins.

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Tombeau de Henri II et de Catherine de Médicis - St Denis.

Le tombeau d’Henri II et de Catherine de Médicis est le dernier témoignage des tombeaux de la Renaissance. Il est d’ailleurs le dernier tombeau royal, puisque les souverains

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Transi de henri II - St Denis.

qui viennent après eux n’en eurent jamais. A la mort de Henri, Catherine de Médicis fit construire au nord de l’abbatiale Saint-Denis une immense rotonde d’une trentaine de diamètre destinée à accueillie le tombeau de sa famille : les plus grands artistes de son époque (le Primatice, Della Robia, Ponce, Jacquio et Germain Pilon) participèrent au chantier, mais le projet, en pleine guerre de religion, était trop ambitieux. Inachevé, menaçant de s’écrouler, il fut démoli en 1719. Le plan de ce mausolée, imitant les temples circulaires à l’antique, est aujourd’hui restitué dans le jardin Pierre de Montreuil qui jouxte la basilique. Le tombeau des Valois fut donc replacé dans l’église. Réalisé de 1560 à 1573, animé par des marbres de différentes couleurs, il est encadré par quatre

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Masque mortuaire de Henri II - Louvre.

vertus de bronze de style maniériste (Force, Justice, Prudence et Tempérance). Les bas-reliefs du soubassement évoquent les trois vertus théologales (Charité, Foi, Espérance). Le tombeau est composé de deux étages : les transis surmontés des priants. Le transi de Catherine de Médicis, œuvre de Germain Pilon, représente une jeune Vénus alanguie et endormie alors que la reine est morte...à 70 ans ! En réalité, un premier transi d’un réalisme étonnant, mais fort macabre, avait été réalisé par Della Robia : la reine en fut épouvantée et en commanda un autre à Pilon. L’esquisse faite par Della Robia peut néanmoins être admirée au Louvre.

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Transi de Catherine de Médicis de della Robia - Louvre.
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Transi de Henri II et de Catherine de Médicis de Germain Pilon - St Denis.
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Gisants de Henri II et de Catherine de Médicis - St Denis.

Il est à noter que Henri II et Catherine de Médicis disposent à Saint-Denis d’une autre paire de gisants, réalisée par Germain Pilon, proche des modèles médiévaux par la structure à défaut du style. Ils sont représentés vivants, les mains jointes, en habit de sacre. Commandé en 1583 par Catherine, ils reproduisent en réalité les effigies en cire et en bois présentées sur les lits de parades des défunts.

Quant au carditaphe de Henri II, il fut également commandé à Germain Pilon : il se présente sous la forme d’un groupe de Trois Grâces sur un piédestal exécuté par Dominique Florentin sur un modèle de Jean Picard, dit Leroux. Le vase en cuivre contenant le coeur du roi, porté à bout de bras par les Grâces, fut fondu par Benoît Boucher mais fut détruit sous la Révolution et remplacé par un vase en bois sous la Restauration. La traduction de l’épitaphe du monument, en latin, indique : « Ici la reine Catherine, tout en souhaitant le cacher en son propre sein, a déposé le coeur de son mari. Le coeur longtemps uni de deux personnes atteste l’amour devant les hommes, leur esprit uni en témoigne devant Dieu. Ce coeur jadis berceau des Grâces. Trois Grâces l’exaltent à bon endroit ».

Voir également diverses pièces de la rotonde Valois détenus au Louvre

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Carditaphe d’Henri II - Louvre.

- François II (1544-1560) : roi de 1559 à 1560. Après un règne éphémère, il fut inhumé dans le caveau familial des Valois édifié par sa mère. Son cœur fut placé au couvent des Célestins : la colonne qui supportait le carditaphe du roi fut déplacée à la basilique Saint-Denis, où elle est l’unique trace individuelle de ce souverain. Réalisée par le Primatice et Jacquiot, elle fut fortement endommagée sous la Révolution. François II avait épousé la reine d’Ecosse Mary Stuart : à la mort de son époux, celle-ci retourna dans son pays où devait s’accomplir, dans sa lutte contre Elizabeth d’Angleterre, un destin qui la mena sur l’échafaud. Elle fut néanmoins inhumée dans l’abbaye royale de Westminster où l’on peut voir son tombeau.

Voir également un fragment du carditaphe de François II au Louvre

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Colonne funéraire du carditaphe de François II - St Denis.
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Tombeau de Mary Stuart - abbaye de Westminster.

- Charles IX (1550-1574) : roi de France de 1560 à 1574. Comme son frère, il fut inhumé dans le caveau des Valois et son cœur fut placé au couvent des Célestins. Il n’y a aucune trace individualisée de sa présence à Saint-Denis. Il avait épousé Elisabeth d’Autriche qui, elle aussi, retourna dans son pays après la mort de son mari. Elle fut inhumée dans la crypte de la Stephansdom de Vienne.

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Cercueil d’Elisabeth d’Autriche - Stephansdom de Vienne.

- Henri III (1551-1589) : roi de 1574 à 1589. Assassiné par un moine ultra catholique, il fut le dernier des Valois. Il fut tout d’abord inhumé dans l’abbaye Saint-Corneille de Compiègne, Paris tenu par la Ligue étant impraticable. Ce n’est qu’en 1610 qu’il put être transféré dans le caveau Valois de la basilique Saint-Denis, mais son cœur fut déposé dans l’église de Saint-Cloud. Saint-Denis possède également la colonne funéraire qui à l’origine supportait le cœur d’Henri III. Il avait épousé Louise de Vaudémont-Lorraine qui connut bien des tribulations avant de rejoindre Saint-Denis : morte à Moulins en 1601, elle y est inhumée avant d’être transférée en 1606 dans le couvent des Capucines de la rue Saint-Honoré de Paris qu’elle avait fondé. En 1688, elle fut à nouveau déplacée dans le couvent de la place Vendôme où on la déposa dans le caveau des religieuses en dessous du chœur. Ses entrailles furent déposées dans le cloître de l’abbaye du Val-de-Grâce. Devenue théâtre sous la Révolution, la chapelle fut ensuite transformée en cité ouvrière : la crypte servit alors de fosse d’aisance ! Lorsque on démolit le couvent en 1806, on redécouvrit son cercueil qui fut facilement identifié grâce à la plaque de marbre noir armoriée portant ses titres et qualités. Elle fut alors transportée au cimetière du Père-Lachaise où elle demeura jusqu’en 1817. A cette date, Louis XVIII la fit transférer dans la basilique Saint-Denis. Après tant d’avanies, elle repose désormais dans la partie centrale de la crypte dans un tombeau de facture récente.

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Colonne funéraire du carditaphe de Henri III - St Denis.
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Dalle funéraire de Louise de Lorraine - St Denis.

à suivre : les Bourbons et les Orléans


Commentaires

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Les Valois
dimanche 26 novembre 2017 à 16h56 - par  Vigneaux

Bonjour,
Je crois que vous avez inversé les photos des gisants de Philippe VI et Jean II, en attribuant à Philippe VI le gisant de son fils et réciproquement.

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Les Valois
samedi 14 décembre 2013 à 23h44 - par  Alain Térieur

Concernant Louis XI et la basilique ND de Cléry, il y a encore quelques années, on pouvait demander à faire ouvrir la lourde trappe de fer qui protégeait la petite crypte et y descendre... Au pied des deux sarcophages de pierre blanche de Louis XI et Charlotte de Savoie se trouvait une vitrine où leurs crânes étaient exposés.

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Les Valois
vendredi 28 mai 2010 à 10h31 - par  Brigitte

je vous félicite pour tout ce travail, je consulte très souvent votre site
je veux juste vous donner un petit détail, Louis XI n’est pas enterrée dans le tombeau mais à coté dans une toute petite crypte fermée par une trappe