Itinéraire Dracula 1 : Bucarest
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Durant l’été 2012, le journal Libération publia sur plusieurs semaines l’itinéraire d’un écrivain et d’un photographe partis à la recherche des lieux réels décrits dans le roman Dracula :
À la poursuite de Dracula est le récit, illustré de photographies, du périple insolite de deux voyageurs partis sur la piste du plus célèbre des vampires du 9 mars au 3 avril 2012. Du mystérieux col de Borgo à l’école de magie noire de Scholomance en passant par les lieux des exploits de Vlad l’Empaleur, du port de Whitby aux hauteurs de Londres, ce blog suit leurs errances entre la Roumanie et l’Angleterre et vous offre un avant-goût du livre à paraître en novembre 2012. Par ailleurs, les auteurs ont lancé un appel à contribution sur le site kisskissbankbank.com afin de récolter les fonds nécessaires à la publication du livre. Vous pouvez aider à la création d’une œuvre littéraire et photographique originale en soutenant leur projet. Rendez-vous sur le site.
Etant allé plusieurs fois en Roumanie, ancien amateur de Stoker et de sa créature, j’ai aimé leur projet (dont j’ai d’ailleurs réalisé plusieurs itinéraires en mon temps). Loin de la « logorrhée vampirique » sans cesse rabâchée, j’ai pensé que ces petites chroniques pouvaient intéresser plus d’un lecteur du site... Le rapport ? Comme vous le verrez, je me sers de ces articles (et également de leurs photos) pour ajouter mes propres vues, parfois anciennes, des mêmes lieux, et bien évidemment des mêmes cimetières...
1ère partie : à Bucarest...
26/06
A la manière du journal de Jonathan Harker...
Je suis paralysé, allongé sur le lit de cette chambre d’hôtel où nous avons échoué la nuit dernière. Le mal m’a surpris juste avant de prendre l’avion pour Bucarest : lombaires foudroyés et élancements de sciatiques. Simple poisse, ou peut-il exister un lien de cause à effet avec la nouvelle quête dans laquelle Gwenn et moi venons de nous lancer : partir à la poursuite du Dracula de Bram Stoker à travers la Roumanie et l’Angleterre ? Je me pose sérieusement la question.
Gwenn m’a abandonné pour aller explorer la capitale roumaine, appareil photo en bandoulière. Ne pouvant rien faire d’autre, je m’occupe de planifier notre voyage. Au pied du lit, j’ai réussi à étendre notre carte de la Roumanie et, près de l’oreiller, reposent le roman griffonné d’annotations de Stoker, plusieurs essais consacrés à son vampire ainsi qu’un Routard. J’observe les contours de ce pays dont j’ignore tout, coincé entre la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, l’Ukraine et la Moldavie. Au milieu, le croissant des fameuses Carpates apparaît comme une invitation. Je repère les lieux du roman, puis ceux associés à l’histoire de ce Vlad Tépès, dont Stoker se serait inspiré pour son Dracula. Vers le milieu du 15ème siècle, Vlad Tépès fut voïévode de Valachie, cette région qui, avec la Transylvanie et une partie de la Moldavie, devint plus tard l’actuelle Roumanie. Selon une théorie remontant aux années 70, Vlad Tépès serait l’ancêtre qu’évoque le comte Dracula en présence de Jonathan Harker : en réalité l’homme qu’il était avant de se transformer en vampire et d’acquérir l’immortalité.
Par où commencer ?
Notre objectif est clair : nous sommes ici pour nous lancer à la poursuite de Dracula. Le roman fourmille de détails et nous projetons d’enquêter sur chacun d’eux, de visiter chacun des lieux évoqués afin de voir s’ils correspondent. La force du roman de Stoker réside dans la grande impression de réalisme qui s’en dégage, notamment parce qu’il s’agit d’un récit uniquement composé de témoignages directs : extraits de journaux intimes, lettres, télégrammes, coupures de presse… Et si tout cela était vrai ? Et si Bram Stoker n’avait rien inventé mais avait compilé des documents réels pour la raconter ?
Et puis il y a ce mystérieux Vlad Tépès et la réputation sulfureuse qui l’accompagne. Est-il bien ce tyran sanguinaire que les médias se complaisent à dépeindre dès qu’est abordée la possible origine historique de Dracula ? Qui est cet homme ? Qu’a-t-il réellement fait ? Et s’il s’agit bien de l’humain derrière le vampire, comment a-t-il pu en arriver là ?
Cloué sur mon lit, constamment à la recherche d’une position confortable qui se révèle systématiquement plus douloureuse que la précédente, je passe d’un livre à l’autre tout en étudiant la carte de ces régions européennes qui me sont inconnues. Vlad Tépès m’apparaît rapidement comme un objectif secondaire, et je me dis qu’inaugurer ce périple à travers les lieux qu’il marquât de son empreinte n’aurait pas grand sens. Il faut que nous commencions par Dracula. Mais il existe deux possibilités : suivre les pas de Jonathan Harker lorsqu’il allait à la rencontre du comte dans son château, par-delà les brumes du col de Borgo, ou suivre les chemins de Van Helsing et de ses compagnons lorsqu’ils se lancèrent à la poursuite de Dracula, à la fin du roman, pour en éradiquer à jamais la menace ?
Cette deuxième possibilité recueille finalement ma préférence. Nous n’allons pas à la rencontre de Dracula, nous sommes également à sa poursuite, même si plus d’un siècle nous séparent des événements narrés par Stoker dans son roman. A la fin du 19ème siècle, Van Helsing et ses compagnons parvinrent en Roumanie en train, depuis la Bulgarie, par la ville de Galatz. Il s’agira donc de notre première destination, lorsque mon dos me permettra de quitter cette satanée chambre d’hôtel.
27/06
Etant toujours frappé par ce mal étrange qui ronge mes lombaires depuis notre arrivée en Roumanie, Gwenn et moi décidons de passer une journée de plus à Bucarest. Cette nuit, des chiens errants ont hurlé sous nos fenêtres, comme cela était arrivé à Harker il y a bien longtemps. Je deviens fou dans cette pièce, aussi je prends sur moi pour m’offrir une petite excursion dans la capitale roumaine. Aucun événement du roman de Stoker ne se déroulant dans cette ville, nous effectuons une première incartade au programme que j’ai monté la veille en allant jeter un œil aux restes de la Curtea Veche, la cour princière installée ici par Vlad Tépès en 1459. Tandis que j’approche de l’entrée en boitant, un gardien nous bloque le passage, l’air profondément ennuyé par notre venue.
« Qu’est-ce que vous voulez ?
― On vient visiter…
― C’est fermé.
― Mais il est indiqué ici que c’est ouvert jusqu’à 17h et il n’est que 15h…
― Non : il est 17h. »
Visiblement, nous avons du nous planter en réglant nos montres à l’heure roumaine. Tandis que nous nous éloignons, Gwenn est pris d’un doute et demande l’heure à une femme blonde d’une quarantaine d’années. Celle-ci nous indique 16h… Je ne comprends rien à ce qu’il se passe, l’impression de louvoyer dans un univers parallèle. De retour auprès du gardien, nous réattaquons et celui-ci lâche finalement, dans un grognement :
« Ok, ok, allez-y. »
Curieux.
De la Curtea Veche, il ne reste que quelques ruines hors sol et de petites salles voûtées, en dessous, siège du pouvoir des voïévodes, les suzerains de cette Valachie aujourd’hui disparue. L’endroit revêt cependant une importance notable puisque Vlad Tépès fut le premier à y installer une cour, lançant probablement sans le savoir un processus qui allait faire de cette simple bourgade la capitale de la Valachie deux siècles plus tard, et celle de la Roumanie à partir du 19ème siècle.
Cette visite m’a épuisé et je m’assoie sur un perron non loin tandis que Gwenn va jeter un œil à une proche église orthodoxe devant laquelle les Roumains se signent tous, sans exception. Alors que je cherche une position à peu près confortable, je me fais jeter comme un clochard par un employé de l’établissement devant lequel je me suis installé. Je m’écarte en me tenant le dos et vais m’appuyer sur une rambarde près de la Curtea Veche.
Devant moi, un buste austère de Vlad Tépès me couve d’un regard peu amène. Je fume un clope en l’observant.
Qui es-tu, toi que l’on surnomme l’empaleur ?
- Vitre serviteur dans les ruines de la Curtea Veche, devant le même « portrait »
à suivre : La quête du château de Dracula
NB : toutes les photos des deux auteurs ont conservé leurs copyright. Les autres sont toutes les miennes.
J’ai procédé à quelques coupes dans leur récit lorsque ce dernier n’avait qu’un lointain rapport avec leur itinéraire.
On excusera le coté « criard » de mes photos, qui datent pour la plupart de 2004 : vous savez, l’époque où on découvrait le numérique et où l’on faisait des retouches au karcher !!!
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