LaPresse.ca (site canadien) - 28 octobre 2011

jeudi 3 novembre 2011
par  Philippe Landru

Certains parcourent le monde à la recherche des plus jolis monuments, des marchés les plus vibrants et des musées les mieux garnis. Et des cimetières ? Pourquoi pas. Loin d’être aussi lugubres qu’on pourrait le penser, ils sont le reflet exceptionnel de la culture pays visités, petits condensés d’histoire ou havres de paix précieux. À la veille de la fête des Morts, La Presse propose un tour d’horizon de certaines des nécropoles les plus célèbres, romantiques ou étranges visitées par ses journalistes au cours des derniers mois.

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C’est une condition sine qua non : chaque fois qu’il part à l’étranger, Philippe Landru inclut la visite d’au moins un cimetière à son itinéraire. Même si cela implique un détour de plus de 50km ! Il n’est visiblement pas le seul. Et les cimetières l’ont bien compris.

Les projets destinés à attirer dans les nécropoles les visiteurs qui ont encore de la chair autour des os se multiplient depuis quelques années. La « route des cimetières d’Europe » a vu le jour en 2010 pour attirer les visiteurs dans 49 nécropoles de 37 villes et 16 pays, construites du siècle des Lumières à nos jours ; plus près d’ici, le cimetière de Nashville, aux États-Unis, organise des visites historiques où les guides se costument en colons, soldats, maires et artistes pour divertir et instruire les touristes en ces lieux qui, d’ordinaire, ne prêtent pas tout à fait à ce genre de spectacle... Et une foule de cimetières se sont dotés de sites internet pour faciliter l’organisation de visites touristiques, avec des plans détaillés, des listes des personnalités enterrées et des circuits guidés pour iPhone.

C’est encore parfois un tabou. « Mais les cimetières doivent assurément être considérés comme des attraits touristiques », note Amélie Racine, analyse du réseau de veille en tourisme de l’UQAM. « Ce sont des lieux calmes, avec des monuments d’une grande beauté et parfois des célébrités. Les gens sont attirés, c’est normal. »

Les cimetières du Père-Lachaise (Paris), de Highgate (Londres), de Forest Lawn Memorial Park (à Hollywood) ou les catacombes de Rome figurent parmi les plus connus et les plus courus dans le monde. Mais il ne faut pas lever le nez sur les plus petits où se cachent de belles découvertes, assure Philippe Landru, qui anime un blogue sur le tourisme dans les cimetières de France et d’ailleurs. Il aime notamment y rechercher les épitaphes surprenantes. Comme celle-ci, trouvée à Joinville-le-Pont, en France : « Malgré les médecins, nous vivrons jusqu’au trépas. » D’autres rappellent un drame oublié, comme à Leuville-sur-Orge : « Ils étaient jeunes, ils étaient amis, ils aiment la vie. Ils passaient des vacances au Canada. Une bombe les a tués à Montréal le 3 septembre 1984. »

Paris, France

Le Père-Lachaise

« Vous savez où est Jim ? » Jim ? L’adolescent aux cheveux longs n’a pas besoin de préciser le patronyme. Au cimetière du Père-Lachaise, tout le monde cherche Jim Morrison ! Il faut dire que sa pierre tombale est toute petite et pas des mieux indiquées. Le meilleur moyen de la trouver est encore, très souvent, de chercher le plus gros rassemblement d’adolescents se photographiant avec leur téléphone cellulaire. La preuve qu’un cimetière peut être « cool » à visiter. N’empêche que, admirateur ou pas de la star du rock, tous y trouveront leur compte, que ce soit pour rendre hommage à une célébrité entre Chopin, Édith Piaf et Alfred de Musset, le choix est immense , admirer les délicates sculptures des tombeaux ou faire une balade romantique à l’ombre de des quelque 6000 arbres de l’un des plus grands espaces paysagés de Paris. Ce n’est pas sans raison que la nécropole, inaugurée en 1804, est aujourd’hui au quatrième rang des plus visités de Paris, après la tour Eiffel, le Louvre et Notre-Dame-de Paris. Il doit son nom au père François d’Aix de la Chaise, confesseur de Louis XIV qui aimait venir s’y reposer.

Infos : accessible en métro. Visite virtuelle : www.pere-lachaise.com

San Pedro de Atacama, Chili

Fleurs du désert

Déroutant : situé dans l’un des déserts les plus arides du monde, le cimetière de San Pedro de Atacama est aussi l’un des plus... fleuris. Comme s’ils voulaient compenser le manque de végétation naturelle, les habitants du minuscule village se font un devoir d’inonder de fleurs de papier de soie rouge, orange, magenta, turquoise et autres couleurs plus vives les unes que les autres. L’ambiance est vaguement festive : le sable est chaud, le ciel sans nuage et les ombrelles pareilles à celles, en format réduit, qui ornent les cocktails servis dans les bars du village. Mais on ne tient pas à s’éterniser pour autant... on devine que les vautours sont à l’affût. De précieux objets, témoins de la civilisation de Tiwanaku, y ont été découverts au milieu du XXe siècle et sont maintenant exposés au Musée d’archéologie de la ville. À visiter avec une bonne bouteille d’eau.

Infos : À 10 minutes à pied du centre-ville du village de San Pedro de Atacama, au Chili

Vienne, Autriche

L’immensité

C’est au cimetière Central de Vienne que l’expression « Ville des morts » prend tout son sens. Avec ses quelque 3 millions de tombes, il est l’un des plus grands de toute l’Europe et compte deux fois plus « d’habitants » que la capitale autrichienne. Étendu sur près de 240 hectares, il a été agrandi sept fois depuis son ouverture en 1874 et est aujourd’hui plus vaste encore que Monaco. Cette immensité ne laisse pas insensible. On marche, marche et marche encore, mais le paysage ne change pas. Des tombes systématiquement ordonnées le long d’allées parfois larges comme des avenues s’étendent à perte de vue. On se sent subitement si petit... Et le côté lugubre de la balade est exacerbé par l’absence quasi totale de bruit puisque le cimetière Central, comme son nom ne l’indique pas, est situé aux limites de Vienne, loin du brouhaha et de la circulation. C’est d’ailleurs pour rendre les lieux plus attirants et apaiser le flot de critiques au sujet de son éloignement que la mairie de Vienne a inauguré, en 1881, un espace réservé aux personnalités célèbres où les dépouilles de Beethoven, Schubert ou Strauss reposent aujourd’hui. Un incontournable pour les amateurs de musique classique, d’Art nouveau et de méditation : le parc Paix et pouvoir y a été construit selon les principes de géomancie pour favoriser la communion avec la nature.

Infos : Accessible en tram et en bus (30 minutes depuis le centre-ville). Audioguide : 7 euros. Plan gratuit, en anglais seulement : www.friedhoefewien.at

Santiago, Chili

Lutte de classes

Le traitement réservé aux morts est un extraordinaire reflet du fonctionnement de la société des vivants. À Santiago, la visite du cimetière central illustre mieux qu’aucun autre traité de sociologie l’ampleur du gouffre économique qui a séparé, et sépare encore, les classes sociales du pays. Des mausolées de marbre ou de granit, ornés de vitraux importés d’Europe d’un luxe inouï ont été érigés en souvenir des citoyens nantis tandis que les plus pauvres n’ont droit qu’à de petites cases de ciment superposées les unes sur les autres. Le devoir de mémoire impose un détour devant le mémorial érigé aux nombreuses victimes du régime d’Augusto Pinochet. Mais une visite ne serait pas plus complète sans un arrêt devant la légendaire « Carmencita » qui, selon les récits, est parfois une fillette violée et assassinée brutalement, parfois une femme victime d’une erreur médicale, mais peu importe : sa sépulture est invariablement recouverte des fleurs, lampions et jouets déposés par les Chiliens venus lui demander d’exaucer une faveur. Impressionnant. Le cimetière de Santiago est d’ailleurs loin d’être sinistre. On croisera au détour d’une allée débordant de fleurs un vendeur de bonbons ou de ballons gonflés à l’hélium, un couple d’amoureux marchant main dans la main, une famille nombreuse en pique-nique, des étudiants révisant leurs cours. Oui, un lieu plein de vie.

Infos : Accessible en métro. Plan et parcours culturel gratuits (en espagnol) : www.cementeriogeneral.cl

San Antonio Aguas Calientes, Guatemala

Un cerf-volant contre la mort

Dans le village de San Antonio Aguas Calientes, au centre du Guatemala, un enfant est juché au sommet d’une église en ruine. Il tient la corde d’un cerf-volant bien haut, pendant que plus bas, des centaines de villageois conduisent une femme à son dernier repos. C’est l’âme de la défunte que l’enfant tente de joindre avec son jouet. La communauté de descendance maya teinte la religion catholique de rites comme celui-là. Elle salue les morts avec des trompettes, des vêtements colorés, et des cerfs-volants. La Presse a eu l’occasion d’assister à cette procession, entre les volcans.

Key West, Floride

Amusante étrangeté

Le cimetière de cette petite île paradisiaque, refuge des artistes, est d’une amusante étrangeté, à l’image de l’histoire originale de Key West. Déplacé en 1847 vers son lieu actuel dans le quartier historique, en raison des ouragans, il abrite environ 100000 âmes, ce qui est bien plus que le nombre total des habitants officiels de l’île. La plupart des tombes sont au-dessus de la terre, puisque le sol de Key West est principalement constitué de corail, ce qui ne permet pas de creuser très loin. Des coqs et des chats à six doigts spécialité féline génétique de Key West se promènent entre les pierres tombales blanches chauffées par le soleil, toujours au rendez-vous dans cette île où il ne pleut presque jamais. Toutes les ethnies et les religions y sont mélangées. Du mémorial africain dédié aux esclaves, en passant par les martyrs cubains, les soldats de la guerre de Sécession, les Juifs, jusqu’aux « Conchs » le surnom des habitants de Key West depuis plusieurs générations. On y trouve notamment les tombes de l’équipage du cuirassé Maine, coulé au large de La Havane en 1898, drame à l’origine de la guerre hispano-américaine. Mais on y trouve aussi des excentriques, qui ont fait graver dans la pierre des phrases comme « I Told You I Was Sick » ou « Devoted Fan of Julio Iglesias »...

Info : Le cimetière est situé au coeur de la ville.

Zermatt, Suisse

Cimetière des alpinistes

Le cimetière des alpinistes de Zermatt est minuscule. Une trentaine de tombes, simplissimes, tassées les unes contre les autres. Toutes d’inconnus. Pourquoi nous bouleverse-t-il donc autant ? Peut-être parce que les hommes qui y sont enterrés sont tous morts très jeunes et en excellente forme physique. Peut-être parce qu’il suffit de lever les yeux pour voir le sommet magnifique, hypnotisant, du Cervin, où la plupart ont perdu la vie. Un rappel cruel des périls de ces splendeurs enneigées. Les épitaphes n’expriment pas de regret, mais l’amour de la montagne. « Ici nous avons perdu la vie, ici nous l’avons retrouvée », clame l’une d’elles. Envoûtant. Perturbant. Chaque année, 3000 grimpeurs tentent l’ascension du Cervin mais un premier arrêt devrait leur être imposé ici, devant les tombes de quatre des sept jeunes alpinistes qui ont péri juste après avoir gravi pour la première fois le mont Cervin. Chose certaine, peu importe l’altitude du sommet visé, votre prochaine course en montagne ne sera pas la même. À visiter le soir, à la tombée de la nuit, à la lueur des petites bougies allumées à l’église St. Peter’s.

Infos : Dans le coeur de Zermatt, à deux pas du Musée du Cervin, sur la Kirchplatz.

La Nouvelle-Orléans, États-Unis

La fête des morts

Depuis sa création en 1789, le minuscule cimetière Saint-Louis numéro 1, qui borde au nord le Quartier français de La Nouvelle-Orléans, a accueilli plus de 100000 dépouilles. Aucune, ou presque, n’a pourtant été « enterrée » ici, car dans l’ancienne possession française, puis espagnole, les tombes sont aménagées au-dessus du sol. « Quand les Français enterraient leurs morts, ils remontaient à la surface à la première pluie », raconte Mary Lacoste, une pétillante guide 78 ans qui connaît la ville située sous le niveau de la mer comme le fond de sa poche. Depuis des siècles, donc, les tombes, blanches pour la plupart, s’empilent ici. La locataire la plus célèbre du cimetière ? Marie Laveau, prêtresse vaudou (1794-1881). Sur sa tombe, une plaque de fonte, et une série d’écriteaux « XXX » inscrits par des passants en quête d’une faveur. « En fait, pour que ça fonctionne, raconte Mary Lacoste, il faut faire son souhait et tourner sur soi-même trois fois dans le même sens. » Au cimetière Saint-Louis numéro 1, des fanfares accompagnent encore aujourd’hui les dépouilles déposées ici pour leur repos éternel. Ces défilés menés pas des troupes de jazz sont ouverts à tous. Vous êtes donc invités à vous joindre à la foule qui danse, qui chante... une tradition bien vivante à La Nouvelle-Orléans.

Infos : Accessible à pied à partir du Quartier français.

Violaine Ballivy
La Presse


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