BUDAPEST : cimetière Kerepesi (Fiumei úti nemzeti sírkert)
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Le Kerepesi est le plus célèbre cimetière de Budapest (à défaut d’être le plus grand, ce titre étant détenu par celui de Újköztemetö). Fondé en 1847, il se trouve dans le secteur de la gare Keleti. Ces 56 hectares en font une nécropole plus grande que notre Père-Lachaise. Les deux cimetières ne se ressemblent pas vraiment d’ailleurs : au Kerepesi, les tombes modestes partagent l’espace avec des monuments bien plus impressionnants, mais la végétation domine largement, tantôt domptée avec soin, tantôt à l’état sauvage. La première impression, dès l’entrée du cimetière, est celle de l’abondance de la statuaire : bustes, statues et compositions sévères, mausolées pompeux ornés de rubans portant les couleurs du drapeau hongrois…
Au XIXe siècle, comme dans toutes les grandes nécropoles du monde occidental, la notabilité hongroise s’y fit inhumer : hommes d’Etat, bourgeoisie d’affaire, écrivains, artistes... Ils y furent également encouragés par la volonté affichée de faire de ce cimetière un panthéon des grandeurs nationales. Comme dans tous les pays d’Europe centrale et orientale, les grandes nécropoles furent autant de vitrines du sentiment national de peuples attachés à leur indépendance, mais cernés par des voisins encombrants et expansionnistes : Empire ottoman, rattachement à la couronne autrichienne... Là plus qu’ailleurs, les grands leaders nationalistes furent honorés par des monuments grandiloquents qu’imitèrent, en taille plus réduite, les célébrités du pays.
Trois gigantesques mausolées furent construits pour Lajos Batthyány, Ferenc Deák et Lajos Kossuth : ils constituent aujourd’hui des points de repères dans un cimetière où il n’est pas toujours facile de se repérer.
Entre 1908 et 1911, prenant modèle sur les cimetières italiens, furent érigées des arcades sous lesquelles des tombeaux très ornés s’épanouirent.
Le cimetière fut déclaré fermé en 1952, à la fois parce qu’il avait été très endommagé par la guerre, mais également parce que le régime communiste ne voulait pas honorer les sépultures de ceux qui avaient "exploité la classe ouvrière". Plusieurs projets de transformations ne virent heureusement pas le jour, même si une partie du cimetière, occupée par une usine, fut détruite en 1953.
La construction en 1958 d’un mausolée dédié au mouvement ouvrier sauva finalement le cimetière, qui devint une nécropole à la gloire du communisme : après son ère nationaliste et patriote, après les tentations fascistes de l’ère Miklós Horty, le Kerepesi entrait dans celle du réalisme révolutionnaire. Encore aujourd’hui, il est considéré comme un sanctuaire communiste avec toutes les polémiques qui opposent nostalgiques et adversaires de cette époque. Visiter Budapest sans aller au Kerepesi serait donc une erreur : l’après 89 a nettoyé une bonne partie du passé communiste de la ville, les statues de Lénine et des apothéoses révolutionnaires sont maintenant au Szobopark, disneyland fascinant des débris de l’ancien empire rouge. Progressivement, le Kerepesi est devenu un conservatoire de ce passé à la fois si proche et si lointain.
Curiosités
Il n’y a que cela dans ce cimetière : les tombeaux rivalisent de hardiesse pour former autant de compositions savantes et parfois énormes. Beaucoup de statues sont grandeur nature, et présentent les défunts dans leur environnement. La symbolique y est très forte, tant pour les monuments du XIXe siècle que pour ceux de l’ère communiste. L’inspiration des cimetières italiens est ici évidente, particulièrement pour les tombeaux placés sous les arcades, où le renoncement à la vie, parfois difficile, est évoqué par de nombreux mausolées.
Petite information importante : en hongrois, csalad ne désigne pas un prénom fréquent mais tout simplement le mot famille. Cet ajout évitera sans doute bien des contresens lors de votre visite...
Les célébrités
Elles sont très nombreuses mais, il faut bien l’avouer, sont pour la plupart inconnues en France. On pourra néanmoins citer :
- Les Politiciens :
Leur liste (qui est loin d’être exhaustive) résume à elle seule l’histoire contemporaine de la Hongrie.
— Lajos KOSSUTH (1802-1894) : avocat, membre des Diètes
hongroises et porte-parole du parti libéral, il se prononça pour l’indépendance de la Hongrie. Député de Pest en 1848, orateur remarquable et très populaire, il devint ministre des finances et vice-président de Batthyani.
Après plusieurs succès (abdication de Ferdinand Ier d’Autriche, fuite de Metternich), il fit voter en 1849 par la Diète la proclamation de l’indépendance de la République de Hongrie et la déchéance de la dynastie des Habsbourg. L’Autriche, soutenue par la Russie, attaqua le pays qui capitula. Kossuth s’exila en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis puis en Italie où il mourut. Il est considéré comme le héros nationaliste hongrois par excellence. A Paris, une place du 9ème arrondissement porte son nom.
— Ferenc DEAK (1803-1876) : libéral, membre de la Diète, il revendiqua l’établissement légal de l’autonomie de la Hongrie au sein de l’Empire autrichien. Chef de file des nationalistes hongrois modérés, il participa à la première phase de la Révolution de 1848 en obtenant le ministère de la Justice dans le gouvernement de Lajos Batthyány, mais se retira lorsque Lajos Kossuth tenta d’accéder à l’indépendance par la force des armes. Apprécié pour sa modération par l’Autriche, il joua un rôle essentiel dans l’évolution constitutionnelle de la Hongrie : il proposa alors un compromis fondé sur le maintien de la dynastie des Habsbourg et la reconnaissance de la souveraineté de la Hongrie, dotée d’une constitution libérale. La réflexion de Ferenc Deák influença profondément les rédacteurs du texte final du compromis austro-hongrois de 1867 qui institua une double monarchie, autrichienne et hongroise. Désormais, la Hongrie était régie par la Constitution de 1848 rétablie, elle possèdait un gouvernement indépendant et seuls les ministères des Affaires étrangères, des Finances et de la Guerre étaient communs avec l’Autriche.
— Lajos BATTHYANY (1807-1849) : Libéral, il devint le premier Président du Conseil de la Hongrie en 1848 . Pris en tenaille entre l’Autriche et les séparatistes hongrois, il fut exécuté par les Autrichiens après la reprise en main du pays en 1849. Il est évidemment célébré comme un patriote et l’un des pères de la nation hongroise.
— Dezső Baron BANFFY de LOSONCZ (1843-1911), Premier ministre de 1895 à 1899.
— Le comte Bethlen ISTVÀN (1874-1946), Premier ministre de 1921 à 1931.
— Le comte Mihály KAROLYI de NAGYKAROLY (1875-1955), qui proclama l’indépendance de la Hongrie en 1918 et en devint président de la République. Il laissa les communistes s’installer au pouvoir tandis que le contre-gouvernement de l’amiral Miklós Horthy, soutenu par la France et la Grande-Bretagne, s’installait à Szeged. Début 1920, à la chute de la république, l’amiral Horthy fut élu régent du Royaume, Károlyi n’occupant dès lors plus aucune fonction officielle. Il mourut en exil en France.
— Gyula GÖMBÖS (1886-1936), premier ministre fasciste sous le régime de Miklós Horthy, qui infléchit la politique de la Hongrie vers une coopération plus étroite avec l’Allemagne en même temps qu’il conduisit une politique de magyarisation vis-à-vis des minorités ethniques qui peuplaient encore la Hongrie.
— Janos KADAR (1912-1989) : d’origine modeste, il grimpa progressivement les échelons du parti communiste hongrois. En 1956, après avoir soutenu les insurgés, il forma un contre-gouvernement qui soutint l’intervention soviétique, ce qui lui permit de devenir chef du gouvernement après l’écrasement du mouvement national. Il dirigea le parti communiste, et donc le pays, de 1956 à 1988 Il s’employa à libéraliser le régime dans la limite du système socialiste mais n’hésita pas à faire exécuter Imre Nagy et ses compagnons.
Sa tombe fut profanée le 1er mai 2007. Près de la tombe se trouvait une inscription disant qu’« un assassin et un traître ne peut reposer dans un sol sacré ». La plupart des ossements de Kádár, dont son crâne, ont été volés.
— József ANTALL (1932-1993) : enseignant et historien, il devint le premier Premier ministre de la Hongrie élu démocratiquement de l’ère postcommuniste en 1990, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort d’un cancer en 1993. Son impressionant mausolée figure quatre cavaliers de l’Apocalypse unis par un drapé savant qui recouvre la tombe proprement dite, surmontée d’une croix.
- Les artistes
— L’architecte Ignác ALPAR (1855-1928), qui réalisa à Budapest le château Vajdahunyad (dans le Bois de Ville) incorporant des styles architecturaux hongrois allant du Moyen Age à l’âge baroque. Son tombeau présente des reproductions de ses oeuvres sur des plaques en bronze.
— Le poète József ATTILA (1905-1937), l’un des plus connus à l’étranger, qui mourut en se jettant d’un train.
— Le grand homme du cirque russe, Matyas BEKETOW (1867-1929), qui connut le succès dans toutes les grandes capitales européennes, et qui repose sous un lion.
— Le "rossignol hongrois" Lujza BLAHA (1850-1926), actrice et chanteuse très populaire dans son pays, représentée dans son lit mortuaire, veillée par un barde en deuil et des angelots.
— Ady ENDRE (1877-1919), considéré comme l’un des plus grands poètes du XXe siècle.
— Le compositeur Ferenc ERKEL (1810-1893), père de l’opéra national hongrois et créateur de l’hymne du pays.
— le poète György FALUDY.
Le violoniste et compositeur Jenő HUBAY (1858-1937).
— Le dramaturge Mór JOKAI (1825-1904).
— Le sculpteur Miklós LIGETI (1871-1944). Son tombeau capte l’attention : un fauteuil sur lequel sont disposés les derniers effets du défunt (chapeau, cane...).
— Le peintre réaliste Béla PÁLLIK (1845-1908).
— Le tombeau de la famille PETOFI, surmonté de l’aigle hongrois, n’abrite pas la dépouille du grand poète romantique national Sandor Petofi (1823-1849). Ce dernier mourut au combat durant la guerre d’indépendance et on ignore l’emplacement exact de son corps, inhumé dans une fosse commune.
— L’un des plus grands poètes hongrois du XXe siècle, Miklós RADNOTI (1909-1944), fusillé par les Nazis.
— L’architecte Miklós YBL (1814-1891), qui réalisa de nombreux monuments à Budapest, dont la Basilique Szent István à Buda.
- mais aussi...
— L’ingénieur Otto Titusz BLATHY (1860-1939), spécialiste en éléctricité, auteur de nombreuses inventions dont celle du transformateur.
— Le chocolatier suisse Emil GERBEAUD (1854-1919), qui racheta le café qui porte désormais son nom dans le centre de Budapest et qui en fit l’un des établissements les plus fameux de Hongrie. Le café Gerbeaud reste aujourd’hui un arrêt gourmant incontournable pour tous les touristes après une bonne ballade.
— Le restaurateur János GUNDEL (1844-1915), qui ouvrit ce qui reste le plus célèbre restaurant de la ville.
— George de HEVESY (1885-1966), qui fit partie des pionniers pour l’utilisation d’isotopes radioactifs comme traceurs, d’abord dans des réactions chimiques, puis pour des utilisations médicales. Il reçut le Prix Nobel de chimie en 1943. Ses cendres furent ramenées d’Allemagne en 2001.
— L’ingénieur Kálmán KANDO (1869-1931) spécialisé dans le développement de matériels ferroviaires, qui mit au point des moteurs électriques triphasés de grande puissance. Le système Kandó permit, pour la première fois et où que ce soit, d’amener le courant électrique d’un réseau à haute tension aux systèmes ferroviaires. Pour cela, il est considéré comme le père des trains électriques.
— Le journaliste, écrivain, traducteur et militant des droits de l’homme hongrois Karl-Maria KERTBENY (1824-1882), qui forgea en 1868 les termes "homosexuel" et "hétérosexuel". Sa tombe a été identifiée en 2001 par la sociologue Judit Takács au cimetière Kerepesi à Budapest. La communauté gay lui a érigé une nouvelle pierre tombale et, depuis 2002 y dépose une couronne funéraire annuellement.
— L’ingénieur Tivadar PUSKÁS (1844-1893), qui travailla avec Edison et qui créa à Budapest l’un des premiers réseaux téléphoniques au monde. On lui attribue la création du mot devenu depuis international "Allo", dont l’origine serait le "Hallom" hongrois (j’entends).
— L’ingénieur Pal VASARHELYI (1795-1846), qui rendit le Danube navigable jusqu’à Budapest.
Sources :
Un site assez complet (en hongrois) présente les photos des tombes célèbres de Budapest, et particulièrement du Kerepesi : il faut aller ici. Certaines photos de cette page que je ne possédais pas en proviennent.
Un ouvrage, en vente à l’entrée du cimetière, possède également de belles photos : il porte le nom du cimetière Fiumei Uti Sirkert et date de 2002.
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